Purge anti-LGBT : « Novaïa Gazeta » menacé par les autorités religieuses de Grozny après ses révélations (VIDEO)

Le quotidien indépendant russe, qui a dénoncé l’escalade de la répression et le sort des homosexuels, passés à tabac dans les geôles tchétchènes, a lancé vendredi un message d’alerte suite aux menaces émises par les autorités religieuses de Grozny, contre l’éditeur et journalistes associés à l’enquête.

Qualifiés « d’ennemis d’état et de la foi », Adam Chakhikov, le conseiller du président Ramzan Kadyrov, installé par Vladimir Poutine, avait promis ce 3 avril de les « châtier », dans un discours télévisé, depuis la mosquée centrale de la capitale, où plus de 15.000 fidèles s’étaient réunis.

« Dignitaires, érudits et autres leaders d’opinion » ont ainsi adopté une « résolution d’urgence », encourageant les fanatiques à la violence pour répondre aux « accusations » du journal, jugées « calomnieuses et diffamatoires ».

« On ne peut pas arrêter de gens qui n’existent pas », s’était déjà pourfendu, Alvi Karimov, autre porte-parole du dirigeant radicalisé, récusant, malgré leurs concordances, les témoignages des rescapés, qu’il estimait sans fondement parce qu’« anonymes ». Comment s’exprimer autrement en Tchétchénie, « inféodée » à la Russie, où charia et « crimes d’honneur » prévalent sur la Constitution et les lois fédérales, déjà hostiles aux LGBT ?

Ex-filtrés à Moscou par des ONG, les fugitifs toujours en danger, ont confirmé « la terreur » et les « purges préventives » à des reporters de France 2, rencontrés dans le plus grand secret. Trois morts en captivité et peut-être plus encore, parmi les quelques 200 raflés depuis l’automne. « Les prisonniers finissent par craquer et dénoncent leurs amis. »

« Ils m’ont arrêté chez moi, je ne m’y attendais absolument pas. Je menais une vie tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Ils ont commencé à me battre avec les poings, les pieds, les chocs électriques. Ils m’ont insulté, ils disaient que les gens comme moi ne devraient pas avoir le droit de vivre et qu’il fallait tous nous tuer », relate un jeune homme de 26 ans, contraint de fuir la république après avoir été relâché par les militaires, pour échapper à la « vendetta » de son entourage.

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Dans la plupart des cas, plutôt que de les assassiner eux-mêmes, « les nervis du pouvoir » se contentent de dire aux familles que leur fils a avoué « ne pas être dans la norme », ce qui suffit à les condamner : « Si mes proches apprenaient que j’étais homosexuel, ils me tueraient sans la moindre hésitation ! », confie une autre victime de 28 ans.

Des exécutions extrajudiciaires donc si nécessaires, insufflées par ailleurs à la radio par le Mufti de Tchétchénie, Salah Haji Mezhiev, enjoignant ses fidèles à des « représailles contre les instigateurs » qui ont « injurié les fondements centenaires de la société tchétchène », où et quels qu’ils soient, « sans délai de prescription » : « Ils ont offensé le peuple et l’ensemble du clergé », a-t-il ajouté, attisant une nouvelle vague d’intolérance, sur les réseaux sociaux notamment, qui ont alerté les associations et Anita Soboleva, du Conseil des droits de l’homme auprès du président russe.

Réclamant en commission que des poursuites soient engagées pour les menaces explicites à l’encontre des journalistes, elle a souligné la responsabilité du pouvoir à garantir leur sécurité ainsi que la protection des minorités dans le Caucase.

L’ancien vice-président des États-Unis Joe Biden a réagi en exhortant l’administration américaine actuelle à respecter ses promesses d’égalité et tenter d’infléchir la situation.

Kheda Saratova, responsable du conseil local des droits de l’homme de Kadyrov, plus compréhensive envers les assassins homophobes, avait affirmé sur une radio russe, avant de se rétracter, que les arrestations de masse évoquées par la presse dataient de décembre et n’étaient pas motivées pour soupçons d’homosexualité mais de « connivence avec les terroristes ». Des exactions auxquelles auraient en outre participé le président du parlement tchétchène lui-même, Magomed Daoudov.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a pour sa part assuré ce 14 avril n’avoir toujours aucune information fiable pour justifier l’ouverture d’une investigation, regrettant néanmoins « la solution de l’intimidation » pour contrer les révélations de Novaïa Gazeta, qui déplorait le durcissement du régime Tchétchène et l’implication directe de son leader dans des meurtres non-élucidés de ses reporters, Anna Politkovskaïa en octobre 2006 et Natalia Estemirova en juillet 2009, ou encore celui en février 2015 de Boris Nemtsov, fervent opposant au pouvoir de Poutine.

Le mois précédent, Ramzan Kadyrov, défilait en tête des manifestations anti-Charlie à Grozny réunissant 800.000 personnes, soit deux tiers de la population, se réjouissant de l’attentat à Paris.

Terrence Katchadourian
stophomophobie.org