En Indonésie, des musulmanes transgenres bravent « l’interdit » après la fermeture de leur école

Située dans un labyrinthe de ruelles du district historique Kotagede à Yogyakarta, dans le sud du centre de Java, « centre culturel longtemps cité en exemple pour sa tolérance », l’école « Al Fatah » accueillait depuis 2008 des jeunes femmes transgenres « pour leur offrir une éducation musulmane ». Mais la situation a changé avec la recrudescence ces derniers mois des attaques contre les LGBT et notamment les menaces du « Front du jihad islamique », une milice qui prétend soigner les « maux de la société », précise l’AFP. Et en février dernier, l’établissement, pourtant considéré comme « un symbole de l’islam tolérant pratiqué dans le pays musulman le plus peuplé au monde », a fermé ses portes, victime de la montée des discriminations.

YOGYAKARTA, INDONESIA - JULY 12

Bravant l’interdit, et malgré les risques de représailles, un petit groupe d’une dizaine d’ex-étudiantes continue toutefois de fréquenter les lieux chaque semaine pour prier et étudier. Un acte de « résistance », sous l’égide de trois prédicateurs par ailleurs tout aussi courageux, « pour prouver que l’islam accepte les transgenres, que l’islam est une bénédiction pour tous les genres humains », explique la cheffe du groupe, Shinta Ratri.

La fermeture de leur école pour « trouble à l’ordre public » est l’un des signes les plus visibles de l’inquiétante vague d’intolérance qui sévit dans le pays. Et la situation dans cette région est la même qu’ailleurs !

« C’est si difficile pour ces transgenres de prier à la mosquée en raison de la stigmatisation », raconte Arif Nuh Safri, prédicateur de 32 ans, qui a choisi de maintenir ses activités et permettre ainsi à la communauté d’avoir accès à une éducation : « Quand je suis arrivé dans cette école, la première chose que je leur ai dite est qu’elles avaient le droit de prier car elles font partie de la création de Dieu », se souvient-il. « Elles veulent apprendre à réciter le Coran, elles veulent faire du bien, et ça, c’est mieux que de boire », renchérit un voisin, Aris Sutanto.

Mais Abdurahman, un dirigeant du Front du jihad islamique, l’entend autrement : « Nous ne pouvons pas être tolérants à l’égard de quelque chose qui est mal », dit-il, soutenant que ses partisans « se mettent toujours d’accord avec la police », avant d’entreprendre des actions contre « ce qu’il juge immoral ».

Complices ou accusés de rester en retrait, le laxisme des autorités aura en tout cas contribué à la montée de cette intolérance, estiment les critiques, évoquant un échec « au détriment des minorités », insiste également Ahmad Suaedy, chercheur sur l’islam et chargé des problèmes culturels et religieux auprès du gouvernement.

Pour autant, si à Yogyakarta les conservateurs s’en prennent aux homosexuels et aux transgenres, comme à la consommation d’alcool ou à la pornographie et au minorité chrétienne, personne n’imagine que l’Indonésie, « pays dont la Constitution reconnaît six religions officielles » (islam, protestantisme, catholicisme, hindouisme, bouddhisme, confucianisme), puisse devenir un Etat appliquant la charia. La plupart des 255 millions d’habitants y pratiquent d’ailleurs une forme modérée de l’islam, avec des particularités d’ethnies locales, et les lois nationales n’ont jamais pénalisé l’homosexualité. Mais aucune réglementation n’instaurant de protections légales spécifiques en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre, les LGBT restent à la merci d’abus, sans aucun recours à leur disposition.