Tunisie : Bravant l’hostilité, les militants LGBT sont sortis de l’ombre mais leur condition reste très précaire

La défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels, longtemps discrète et taboue, s’affiche peu à peu depuis la révolution de 2011 et la libération de la parole qui en a résulté.

Le débat a fait irruption sur la scène publique au printemps dernier avec de francs appels à la dépénalisation de l’homosexualité. L’article 230 du Code pénal, qui date de l’époque coloniale, punit en effet la sodomie et le lesbianisme de trois ans de prison.

« Je ne vois pas pourquoi nous devons vivre cachés. Notre vie privée ne regarde que nous », confie à l’AFP le jeune vice-président de Shams, Ahmed Ben Amor, qui à 19 ans a été chassé par sa famille et expulsé de son lycée pour avoir affiché son homosexualité. « Je n’ai plus rien à perdre désormais, c’est au moins ça », ironise-t-il.

Bravant l’hostilité d’une large frange de la population, des associations ont tenu ces derniers mois des réunions ouvertes au public. Drapeau arc-en-ciel à la main, des militants LGBT ont même défilé à Tunis le 14 janvier, lors des célébrations du 5ème anniversaire de la révolution. Signe de l’opprobre, voire de la haine à leur encontre, des dizaines de personnes leur ont toutefois crié de « dégager », obligeant la police à les escorter vers une rue adjacente.

Aujourd’hui, l’homosexualité est devenue un sujet récurrent dans les médias tunisiens.

Entendre des personnes parler publiquement d’homosexualité était pourtant « une chose impensable il y a quelque temps », relève Wahid Ferchichi, universitaire et président de l’Association tunisienne de défense des libertés individuelles.

« Le contexte post-révolution a permis à une minorité de s’exprimer et de revendiquer son existence », explique le sociologue Mohamed Jouiri, pour qui « la situation des homosexuels en Tunisie est bien meilleure que dans d’autres pays arabes », mais reste toutefois très délicate.

« Quand tu es homo en Tunisie, il faut que tu vives avec deux visages », confie à l’AFP un jeune homosexuel de Bizerte (nord). « Avec les hétéros, tu ne montres pas que tu es différent car il y a le risque d’être confronté à la violence. Et il y a un autre risque très important, la loi ».

L’an dernier, plusieurs jeunes ont été arrêtés et condamnés à de la prison pour homosexualité. Un tribunal de Kairouan (centre) a même assorti son jugement à l’encontre de six étudiants d’une peine de cinq ans de bannissement de la ville.

Si le président Béji Caïd Essebsi a jugé cette dernière mesure archaïque, il ne s’est pas prononcé sur la peine de prison et a catégoriquement exclu toute dépénalisation de l’homosexualité. « Je refuse » l’abrogation de l’article 230, a-t-il asséné dans un entretien à une télévision égyptienne.

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Des ONG fustigent aussi le recours aux tests anaux lors des interpellations, un traitement « cruel, inhumain et dégradant ».

Au quotidien, les homosexuels continuent en outre de souffrir d’un profond rejet social et de l’hostilité ambiante.

« Etre homosexuel en Tunisie, c’est pire qu’avoir la peste », témoigne Mohamed Ali, 22 ans, l’un des étudiants arrêtés à Kairouan.

Le jeune homme se dit encore traumatisé par l’examen anal qu’il a subi sous le regard de deux policiers et par son passage dans une prison de Sousse (centre-est), où il raconte avoir été agressé et ridiculisé parce qu’homosexuel.

« Des détenus me forçaient à danser tout nu alors que les gardiens regardaient, amusés et complices », affirme-t-il.

Si le débat a le mérite d’exister, les réactions sont souvent houleuses et la violence verbale est régulière.

Sur une vidéo circulant sur internet, un imam de Sfax (centre-est) a récemment affirmé lors d’un prêche que si deux hommes étaient déclarés coupables de sodomie, ils devaient être condamnés à mort et exécutés en étant jetés du haut d’un bâtiment puis lapidés. Un mode d’exécution labellisé « Daesh », que le dignitaire assume parfaitement.

Devant le Parlement, un élu du parti islamiste Ennahdha, Abdellatif Mekki, a défendu la pénalisation de l’homosexualité en jugeant que l’autorisation de l’association Shams représentait « un danger » pour la paix sociale et « un péché majeur ».

Les partis dits progressistes se montrent, eux, très frileux sur cette question, quand ils n’y sont pas carrément opposés, de crainte notamment des retombées dans l’opinion publique.