Sondage Ifop pour Atlantico : 68% des Français désormais favorables au mariage pour tous

68% des Français désormais favorables au mariage pour tous et 53% à l’adoption par les couples homosexuels : Lundi 17 novembre marquera les deux ans de la première grande mobilisation organisée par la Manif pour tous contre le projet de loi de mariage pour Tous. Aujourd’hui, une majorité de Français s’est ralliée à la réforme, mais la question de l’adoption continue de diviser.

>> Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’IFOP.

Quels enseignements peut-on tirer de ce sondage, alors que 68 % des Français sont favorables au mariage homosexuel et que 53 % d’entre eux sont favorables à l’adoption ?

Jérôme Fourquet : Les deux dispositions sont majoritairement soutenues par les Français mais on a toujours un écart entre le droit au mariage simple et le droit à l’adoption qui cristallisait les critiques. Ce décalage perdure mais ces deux mesures sont majoritairement soutenues par les Français avec une forte prime pour le mariage des couples homosexuels. Nous serons lundi deux ans jour pour jour après la première grande mobilisation organisée par la Manif pour tous le 17 novembre  2012. Or on constate que jamais on avait vu autant de Français favorables au mariage pour tous et qu’on est quasiment au plus haut concernant l’adoption.

Deux ans après cette première manifestation, une majorité de Français se rallient donc à cette mesure.

ifop_mariage_2_terOn avait déjà vu ce mouvement d’opinion au moment du PACS qui avait lui aussi fait couler beaucoup d’encre. Une fois que le texte était voté, les Français qui étaient alors opposés avaient adopté une sorte de réflexe légitimiste et s’étaient progressivement ralliés. Ce fut la même mécanique lors du mariage pour tous avec d’abord des tensions extrêmes et une forte mobilisation. Quand on regarde de près la courbe on voit qu’elle nous montre un fléchissement concernant le mariage et surtout l’adoption lors du pic de la mobilisation fin 2012 et début 2013. L’adoption redevient alors minoritaire chez les Français. Quand le sujet revient au cœur de l’actualité l’électorat un peu mou et hésitant rebascule en effet dans l’opposition mais une fois que c’est voté et que la bataille est finie cet électorat flottant se rallie à la majorité et à la légalité. Ce sont en effet des gens qui se posent des questions.

C’est la même mécanique qu’au moment du PACS. On a donc eu un avant et après sur la question du mariage comme sur le PACS. Le débat a ouvert une fenêtre de tir à un moment donné lorsque beaucoup d’arguments ont été échangés sur une période brève. Il y a eu un débat et l’opinion s’est fait son avis. Elle est chauffée à blanc alors que ce sujet n’intéresse qu’un segment très réduit en temps normal. Pour autant l’opposition à l’adoption pour les couples homosexuels est encore forte car 53 % des Français sont favorables à l’adoption. On passe seulement de 46 % à 53 % en deux ans.

Lors d’une interview aux Inrocks cette semaine, Alain Juppé avait surpris en se déclarant favorable à l’adoption par un couple du même sexe. Le maire de Bordeaux a-t-il perçu une évolution sociétale sur cette question ?

Cette évolution de fonds et d’opinion de la société française a une actualité très récente avec la déclaration d’Alain Juppé. Le sondage a été fait avant la prise de position du maire de Bordeaux. Soit Alain Juppé avait anticipé le mouvement et senti auprès ce mouvement de l’électorat de droite, soit il est à mon avis l’un des exemples de ces personnes a priori contre à la base et qui se dit que maintenant que la loi est passée et que le débat a eu lieu, on ne revient pas en arrière et on ne va pas remettre ça sur le tapis, il faut passer à autre chose.

Quelles évolutions politiques peut-on constater notamment à droite et au FN, où la courbe se croise ?

On retrouve les mêmes évolutions selon les sensibilités politiques que lors du PACS. La droite était plus opposée mais à partir du moment où la loi a été votée il y a eu là aussi un effet de légitimité et de légalisme qui fait que l’électorat de droite se rallie progressivement aux autres. Sur la question du mariage, c’est très clair. Ce sondage commence le 9 août 2012 lors du début de la mobilisation des évêques de France qui font lire un texte mettant en garde contre les dangers de cette loi. On est à l’époque  à droite à 46 % en faveur du mariage puis aux alentours de 40 % jusqu’au mois de novembre avant la première grosse manifestation. On tombe après à 33 % début janvier lors du pic de la mobilisation. Elle prend alors une coloration très antigouvernementale et très anti-Hollande.

Les ténors de l’UMP ne sont pas dans les premières manifestations car cela les embête et tout le monde est surpris du grand succès de cette mobilisation. Les élus UMP prennent le train en marche et ce faisant ils politisent et radicalisent les choses, ce qui fait qu’on arrive au point bas de janvier. Ce fut la même chose lors du PACS : 42 % sont favorables à droite en 1998 et 55 % en 2000. Sur l’adoption c’est grosso modo le même cheminement mais l’électorat de droite est toujours massivement opposé à l’adoption.

On a à l’inverse un électorat FN qui suit une trajectoire différente. Ce n’était pas à l’origine le combat du FN. L’électorat frontiste est désormais plus opposé sur cette question car on est sur une opposition et une contestation plus globale. Il était moins motivé que l’électorat UMP notamment parce que ce débat s’était fortement politisé et avait été préempté par l’UMP. Marine Le Pen disait que la question du mariage pour tous était un leurre pour éviter de parler des vrais sujets et son électorat était en porte à faux. Maintenant que l’UMP a plus ou moins avalisé la chose le FN retrouve une position plus claire d’opposition “au système”. La grille de lecture qui prévaut est donc le fait que cette mesure gouvernementale est soutenue par “les partis du système” donc  le FN est mécaniquement contre. Autrement dit, la trajectoire entre les deux partis est symétrique : l’UMP monte par légalisme tandis que le FN est contre car tout le monde se rallie.

En ce qui concerne la gauche, les évolutions sont assez similaires mais en revanche moins sensibles : plus de 80 % des sympathisants de gauche sont favorables au mariage pour les couples homosexuels sur la période comprise entre 2012 et 2014 et les sympathisants de gauche se déclarant favorables à l’adoption sont toujours compris entre 60 % et 70 %.

Comment analyser les différences en matière d’âge et de sexe ?

On retrouve sur l’adoption des clivages marqués au niveau de l’âge mais ils sont très classiques. Il y a un vrai dégradé à ce niveau. Les moins de 35 ans sont à 69 % favorables à l’adoption tandis que les 65 ans et plus qui petit à petit vont être remplacés par des générations plus jeunes sont favorables à 42 %. Certains avaient été surpris par la présence des jeunes dans les manifestations mais les jeunes sont plus à l’aise dans les mobilisations. Si la jeunesse  s’était donnée à voir, c’est d’abord une France âgée qui s’est prononcée contre.

ifop_mariage_6Concernant le clivage homme femme on peut voir une différence de 10 points sur la question de l’adoption qui fait le plus débat. Les femmes se prononcent à 58 % pour l’adoption contre 48 % pour les hommes. Le rapport entretenu à l’homosexualité  est différent entre les deux et pour une femme cette question est moins problématique et moins tabou. Ce n’est pas une surprise même si on en parle moins que les différences de jugement liées à l’âge. On l’a vu dans toutes nos enquêtes réalisées sur le même sujet depuis 2012 : les femmes sont plus allantes que les hommes sur cette question.

A la lecture de ce sondage, peut-on dire que la Manif pour tous a finalement échoué ?

Le but avoué était d’empêcher l’adoption de la loi mais elle a été adoptée. Il ne faut pas perdre ce type de bataille politique car ensuite il y a un effet légitimiste qui se met en place. La première défaite a donc été légale et on peut aussi parler de défaite dans l’opinion qui a fini par se rallier.Il faut toutefois mettre au crédit de la Manif pour tous le fait qu’elle ait réussi à s’inscrire dans la durée. Elle a fait baisser le taux d’adhésion aux deux mesures lors du pic de la mobilisation et il y a donc eu des effets. Près de deux ans après la première manifestation ils ont réussi à mettre du monde dans la rue dernièrement et à maintenir la flamme allumée. La Manif pour tous a semé des choses pour plus tard. Si le gouvernement voulait aujourd’hui légiférer rapidement sur la PMA et la GPA ce serait plus compliqué en raison du rapport de force qui a été créé.

Source : www.atlantico.fr/