Mariage pour tous: un élu du peuple peut-il être objecteur de conscience?

Le Conseil constitutionnel examinait ce mardi 8 octobre la question prioritaire de constitutionnalité sur la liberté de conscience des officiers d’état civil, déposée par le collectif des maires pour l’enfance. Mais qu’est ce qui relève de la liberté de conscience ? Éléments de réponse avec François de Lacoste, auteur de « Je refuse ! L’objection de conscience, ultime résistance au mal » (Editions de l’Emmanuel). Entretien.

Sept élus réunis au sein du Collectif des maires pour l’enfance ont demandé au Conseil constitutionnel de se pencher sur une question prioritaire de constitutionnalité visant à reconnaître une « clause de conscience » pour les officiers d’état civil qui refusent de marier deux personnes du même sexe. Ce mardi 7 octobre, le Conseil constitutionnel a mis en délibéré au 18 octobre sa décision. « Il ne s’agit pas de dire que les mariages n’auront pas lieu, mais de se demander comment ils auront lieu », explique Franck Meyer, maire de Sotteville-sous-le-Val et porte-parole du collectif, qui revendique plus de 20 000 adhérents.

Aujourd’hui un officier d’état civil qui refuse de célébrer un mariage risque cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende, selon l’article 432-1 du code pénal. Alors cette demande est-elle légitime ? Eléments de réponse avec François de Lacoste, auteur de Je refuse ! L’objection de conscience, ultime résistance au mal (Editions de l’Emmanuel). Entretien.
JOL Press : Comment définir la liberté de conscience ?

François de Lacoste : Pourquoi existe-t-il une liberté de conscience ? Tout simplement parce que la conscience est le lieu qui permet à chacun de choisir sa façon d’agir, ce qu’il faut faire, ou ne pas faire. C’est vraiment le lieu de la décision la plus intime de notre action personnelle. Et la conscience se détermine en fonction de ce qu’elle estime être bien, du bien qu’elle pense devoir faire, ou du mal qu’elle pense devoir éviter. La conscience, dans sa substance la plus profonde, est à la fois sous la dépendance de notre intelligence qui nous aide à déterminer ce qui est bien et de notre volonté qui nous pousse à agir.

Cette définition de la conscience est assez différente de celle que l’on entend habituellement. Dans le langage courant, le mot conscience ne se réduit qu’à une pure subjectivité. « Moi, personnellement, je… » ou encore « j’ai ma conscience pour moi… », ces expressions ne recouvrent pas les mêmes réalités que celles à l’origine de la liberté de conscience. Or la liberté de conscience est intimement liée à la dignité humaine.
JOL Press : Qu’est ce qui, dès lors, relève de la liberté de conscience ?

François de Lacoste : Il peut arriver que la liberté de conscience se heurte à la loi. Il est bon que la loi fixe ce qui est autorisé et ce qui est défendu, parce qu’il faut vivre en société et parce qu’il ne faudrait pas que nous puissions poursuivre nos intérêts sans limites, ni entraves. La loi a un rôle positif. Mais que se passe-t-il quand la loi nous dit de faire quelque chose que notre conscience reconnaît comme intrinsèquement mauvais ? Faut-il quand même obéir à la loi ? Si la loi, demain, me demandait de dénoncer les délinquants, je ne ferais pas car ma conscience me l’interdit.

Pour ce qui est du mariage entre personne du même sexe, certains maires considèrent que le mariage est le fondement de la société et qu’il ne peut se faire qu’entre un homme et une femme, ce choix appartient à leur conscience.
JOL Press : En tant qu’élu, le maire représente ses électeurs. La liberté de conscience peut-elle être collective ?

François de Lacoste : C’est une bonne question que je vais retourner. Le fonctionnaire est-il dénué de conscience, parce qu’il est chargé d’une fonction publique ? Si vous me répondez oui, au nom de quoi a-t-on condamné tous les fonctionnaires qui étaient accusés de crimes contre l’humanité, alors qu’ils étaient soumis aux ordres ? Je ne cherche absolument pas à associer les deux questions mais quand on dit que le maire est privé de conscience, qu’il n’a pas le droit de faire valoir son objection de conscience, cela pose vraiment problème.
JOL Press : Mais si un maire considère que la loi n’est pas juste, pourquoi ne démissionne-t-il pas ?

François de Lacoste : La fonction publique ne serait-elle donc réservée qu’à ceux qui se considèrent comme dénué de conscience ?
JOL Press : Non, elle serait réservée à ceux qui sont en accord avec la loi…

François de Lacoste : Pensez-vous honnêtement que tous les représentants de la fonction publique sont d’accord avec la loi ? Si pour être fonctionnaire, il faut être d’accord avec toutes les lois, quel que soit le gouvernement, vous devrez changer de fonctionnaires à chaque changement de majorité mais surtout c’est une logique qui va extrêmement loin.

Se soumettre ou se démettre ? Voilà la question que va se poser le Conseil constitutionnel. Est-ce qu’on admet qu’un Etat, sur une question grave, prive de conscience ses représentants ? La conscience des maires serait-elle, aujourd’hui, entre les mains du procureur ? La question est grave et mérite d’être posée. Par ailleurs la plupart des maires actuellement en poste ont été élu avant même que cette loi n’ait été débattue.
JOL Press : En reconnaissant l’objection de conscience, ne va-t-on pas vider la loi de son essence, de son caractère universel ?

François de Lacoste : L’objecteur de conscience n’objecte pas pour les autres. C’est d’ailleurs un des critères de vérité de l’objection de conscience. Il ne porte pas de jugement sur la conscience des autres. Il sait qu’il engage sa responsabilité dans l’acte qu’il va poser, il va chercher la vérité de la situation. Si les autres conseillers municipaux sont d’accord pour célébrer ces mariages, qu’ils le fassent. Mais si la question se pose, c’est que cette loi n’est pas si universelle, c’est que cette loi pose un certains nombres de problèmes.

Fondamentalement l’objecteur de conscience est celui qui met en lumière les problèmes et ce n’est pas la première fois dans l’Histoire. Dans mon livre, je prends l’exemple de Thomas More face à Henry VIII ou de Franz Jägerstätter face au nazisme, un objecteur de conscience met toujours le doigt là où cela fait mal.

ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS DE LACOSTE
Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press