Le Paris Foot Gay face aux questions

Depuis plusieurs mois, le Paris Foot Gay connaît une crise en interne; ses joueurs ont fait scission et se font désormais appeler les Panam Boyz. Une affaire qui n’arrange pas vraiment le club militant, accusé d’être une coquille vide par ses anciens pensionnaires, alors que la lutte contre l’homophobie dans le football français présente toujours un état stationnaire.

C’est une véritable gay-guerre. Le Paris Foot Gay est enlisé depuis l’automne 2012 dans un conflit interne qui est bien parti pour durer. « Il y a eu un problème entre le conseil d’administration de l’association et les joueurs de l’équipe du Paris Foot Gay » explique Jacques Lizé, l’ancien président de SOS homophobie devenu aujourd’hui responsable pédagogique du PFG. « Le conseil a constaté beaucoup d’indiscipline. Nous n’avions pas de règlement, seulement un accord tacite et moral avec les joueurs, qui devaient participer en plus du championnat loisir aux matches de gala que l’on organise assez souvent pour des questions de visibilité. Or, à chaque fois, il y en avait qui étaient blessés, malades, ou invités à un mariage… L’été dernier, on venait de signer Nike comme équipementier et certains continuaient à porter leurs anciens maillots. C’était tout le temps comme ça. Le ton est donc monté et le conflit est arrivé à un point de non-retour ». Après avoir conclu un accord bancal avec les PanamBoyz pour qu’ils continuent de représenter le club jusqu’en juin, l’association fondée en 2003 par Pascal Brèthes s’est depuis mis en tête de changer son effectif. « Enfin bon, ça va, c’est pas non plus le mercato, ça reste du foot loisir » dédramatise Jacques Lizé, qui reste persuadé que 25 nouveaux joueurs auront signé en septembre, car, de l’avis de tous, il y a « de gros avantages à jouer au PFG ».

Une scission sans rancune ?

La décision de cette séparation, ou du moins son origine, incomberait à Pascal Brèthes. « Un jour il a pété un câble à l’entraînement et a décidé de virer tout le monde » se souvient Léo Cohen, qui a passé six ans au Paris Foot Gay. « Ce n’était clairement pas une décision consultée, il m’a d’ailleurs avoué plus tard qu’il l’avait fait sur un coup de tête. Seulement, il s’est très vite rendu compte qu’il a eu tort, et nous a demandé de revenir. Nous, consensuels, on a accepté ». Nommé responsable sportif en janvier, au moment où l’association se constitue juridiquement, Léo explique rapidement au président que sa gestion du groupe ne lui convient pas : « En championnat on s’appelle PanamBoys et en gala on s’appelle PFG. On veut juste notre façon de penser l’association ». En cause, une gestion jugée trop autoritaire et liberticide. « Pascal est un grand caractériel qui a une conception très seigneuriale de l’association, qu’il entend incarner à lui tout seul ». En réalité, « ça fait 10 ans qu’il y a pas d’AG, ni d’élections, On lui a d’abord dit gentiment mais au bout d’un moment on a claqué la porte. Il faut bien voir que ce n’est pas une partie des joueurs qui s’est barrée mais bien tout le monde qui s’en est allé d’un commun accord » surenchérit Alexandre*, que les responsables du Paris Foot Gay considèrent comme « une personne déterminée à nuire par perversité ou esprit de vengeance ».

« On regrette tous cette situation, c’est du gâchis et ça ne vole pas très haut » se défend l’intéressé, avant d’ajouter : « moi je souhaite longue vie au PFG s’il reste encore quelque chose de cette association ». Alexandre explique plus en profondeur son idée : « A la base, on était un club qui luttait sur le terrain alors que petit à petit le PFG est devenu une structure de lobbying opaque ». « C’est l’anti transparence absolue » confirme Léo, qui souhaite bon courage aux dirigeants pour retrouver des joueurs aussi militants : « Moi je me suis tapé les Gay Games à Barcelone, j’ai fait trois ou quatre Gay Pride alors que je suis même pas homo. Mais bon je vais pas cracher dans la soupe, à chaque fois c’était un plaisir ». Réticent à évoquer le sujet, Pascal Brèthes botte en touche : « Des épisodes similaires se produisent dans toutes les structures associatives de France, sauf que là c’est le PFG et que c’est une association connue et reconnue en France et en Europe, donc pour faire parler de soi rien de tel que de charger le PFG, c’est ce qu’on appelle la rançon de la gloire. Pour moi il n’y a pas de soucis, nous nous quittons en bons termes, d’ailleurs certains joueurs veulent encore défendre occasionnellement nos couleurs lors des matches de Gala ».

S’il reconnaît volontiers regretter la tournure des évènements, Jacques Lizé ne croît pas non plus que cela nuise véritablement au PFG : « Au départ, l’équipe de foot était la priorité, mais depuis quelques années elle est surtout devenue la vitrine pour des matches de visibilité et ne représente aujourd’hui plus que 5% des activités de l’association. Nous souhaitons seulement conserver une équipe par tradition historique ». Une conception qui va à l’encontre de toute logique selon Léo : « Un Paris foot gay sans foot, ça veut dire un Paris gay. La réalité de la lutte contre l’homophobie dans le sport c’est celle que nous vivons chaque vendredi soir, pas celle qui se fait en tribune présidentielle du parc des princes. C’est celle qui était à l’origine du club. En jouant chaque semaine avec ce maillot, en allant sur le terrain faire des tournois, on est aussi la matière première de la lutte contre l’homophobie. Sans nous, le PFG n’est qu’une coquille vide aux budgets colossaux. »

10 ans d’action pour quel bilan?

Sans équipe, mal géré, trop subventionné selon certains, le Paris Foot Gay fait plus que jamais face aux critiques, d’autant qu’après 10 ans d’existence, les résultats tardent à se manifester. « En réalité dans le football on ne peut que constater que notre cause n’avance pas. Soyons clairs, en France, il n’y a toujours pas de joueur homosexuel prêt à faire son coming-out donc on ne peut pas se féliciter. En Allemagne, en Angleterre et aux Pays-Bas les fédérations mettent en place de gros programmes pour véhiculer des messages positifs, car elles ont pris conscience que le football est un foyer de développement de l’homophobie. En France, les sportifs restent plus discriminants que la moyenne de la population, et rien n’est fait pour y remédier. Autant la société semble évoluer dans le bon sens, malgré la violence autour du mariage gay, autant sur le plan du football l’homosexualité reste complètement taboue » explique Jacques Lizé.

Un constat partagé par Pascal Brèthes, qui remarque cependant « une libération progressive de la parole, notamment grâce à notre charte contre l’homophobie, qui a été signée par la LFP et par des clubs majeurs comme Saint-Etienne, Bordeaux et le PSG, pour ne citer qu’eux. Notre charte a aussi été reprise par le Ministère des Sports afin d’être appliquée au sein des différentes fédérations sportives ». Si les résultats peuvent sembler légers, ils ont le mérite d’exister. Il faut comprendre que le club militant est parti de loin, seul contre tous, en terrain miné. « Il y a 8 ans aucun joueur de foot de L1 ou L2 ne voulait répondre à une interview sur le sujet. Aujourd’hui, on arrive à en engager certains dans des clips contre l’homophobie. Il y a donc une avancée. Le véritable symbole de notre combat c’est Louis Nicollin, qui est passé en quelques années du statut d’homophobe de service à celui de défenseur sincère de la cause, et qui n’hésite jamais à nous aider bénévolement. Pendant des années nous étions en conflit par presse interposée avec Montpellier et maintenant le club est devenu un soutien majeur dans la lutte contre les discriminations ». Engagé dans une « dynamique très positive », Pascal Brèthes pense qu’un « déclic s’est produit dans beaucoup de clubs professionnels » grâce à son action.

Ils sont d’ailleurs nombreux chez les PanamBoyz, comme Léo Cohen, à reconnaître la force de caractère d’un homme parti de rien, qui est aujourd’hui à la tête de l’association de référence en Europe en matière de lutte contre l’homophobie. “A la différence d’autres structures, le Paris Foot Gay a un véritable impact médiatique; C’est vrai qu’il y a une personnalisation regrettable du PFG autour de Pascal Brèthes mais la question est de savoir si le PFG aurait pu grandir aussi vite et aussi fort sans lui; Moi je pense que non. Sa cause est noble et son travail exceptionnel. C’est un homme de réseaux qui a une énergie inépuisable; il s’est investi sans relâche et a fait énormément pour la cause homosexuelle dans le foot, c’est incontestable”. Engagé corps et âmes dans son projet, Pascal Brèthes a rapidement su fédérer autour de sa cause. Progressivement, des personnalités comme Vikash Dhorasoo, Alain Cayzac ou Michel Hidalgo ont apporté leur soutien.

Rester soudés face à l’homophobie

« Quand j’ai crée le PFG en 2003, je ne pensais pas du tout en arriver là où on en est aujourd’hui » rebondit Pascal Brèthes. D’abord raillé, son club où se côtoient homos et hétéros est sorti grandi de l’affrontement avec le Créteil Bebel en 2009 et de l’épisode Yohan Lemaire, écarté du FC Chooz en 2010 pour sa sexualité. Autant d’épreuves et d’épisodes où le PFG « a prouvé son utilité et sa raison d’exister », dans un monde du ballon rond où suinte l’homophobie. Cette dernière s’inscrit selon le sociologue du sport Anthony Mette « aussi bien dans les comportements que dans les mentalités, au niveau amateur comme au niveau professionnel ». Pour lutter contre l’enracinement des préjugés, Pascal Brethes martèle en permanence le même message : « la solution passera forcément par l’éducation. C’est à la source qu’il faut combattre le problème car on peut expliquer le respect à un enfant alors qu’il est difficile de faire changer un homophobe convaincu ». A ce titre, le PFG met chaque année sur pied de nombreux évènements (comme les rencontres b.YOURSELF), lance de vastes programmes de formation et de sensibilisation, joue son rôle de vigie solitaire. « A part nous, personne ou presque ne s’occupe de la lutte contre les discriminations homosexuelles dans le football » regrette Jacques Lizé.

Mus par le même désir de voir la tolérance triompher, les deux associations prônent aujourd’hui l’apaisement, malgré leur différent. Ivan Amosse, au PFG depuis 10 ans, a décidé de jouer dans les deux clubs l’année prochaine. « La situation des Panam Boyz est présentée comme extrêmement claire dans la presse, avec un groupe soudé opposé au PFG, mais ce n’est pas du tout le cas. La vérité c’est qu’à aucun moment les joueurs ne sont pas entrés en guerre avec le PFG. Il faut maintenant que les tensions s’apaisent, puisque notre vocation est d’être un club ami » . Une conception partagée par Léo Cohen, le joueur des PanamBoyz, qui explique : « Ils nous voient comme une menace alors qu’on pourrait être complémentaires. Nous on fait notre truc sur le terrain mais nous n’avons pas vocation à faire ce que fait Pascal. J’espère moi aussi que les tensions vont s’apaiser car finalement ce qu’on poursuit c’est la même chose ». Avant de prévenir, prophétique : « Il ne faut pas que la lutte contre l’homophobie passe du statut de cause à celui de marché. Le jour où il y aura compétition dans la lutte contre l’homophobie cela voudra dire qu’on aura tous perdu ».

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Par Christophe Gleizes

* le nom a été changé suite à une demande d’anonymat (sofoot)