« Le coming-out n’est pas une revendication identitaire », William Marx, historien et professeur de littérature (VIDEOS)

Auteur du « Tombeau d’OEdipe » et dernièrement de « Haine de la littérature », il vient de publier « Un savoir gai », entre essai et autobiographie, où il acte « une vision sexualisée du monde », et se propose le temps d’un voyage littéraire « de sortir de l’hétérocentrisme pour explorer l’imaginaire homo ».

« Ce n’est pas un livre à thèse, ni une construction théorique », précise-t-il dans un entretien sur France-culture, « mais une réflexion qui vise à éveiller la pensée du lecteur, lui apprendre à regarder le monde autrement. »

« Nous sortons d’une période un petit peu agitée, en ce qui concerne les gays et les lesbiennes, et tous ceux qui ne sont pas dans l’orientation sexuelle majoritaire de la société », poursuit-il, évoquant les manifestations d’opposition au Mariage pour tous, qui ont défilé dans Paris, « avec des foules importantes, même si moins qu’annoncées par les organisateurs », la Manif pour tous.

« Cela a été pour moi et beaucoup d’autres gays qui m’entouraient, la révélation que notre position dans la société n’était peut-être pas aussi assurée que nous le croyions. Alors, à l’occasion je me suis engagé, en publiant des tribunes. Mais, quand même, j’ai été interrogé par ce déferlement de passions tristes et d’homophobie. Même si cette homophobie voulait se cacher derrière des arguments plus ou moins moraux. Et je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose de plus dense, plus complet sur ce qu’était ma propre vision du monde et comment réagit un gay dans la société, d’où l’origine du livre », confie l’historien, particulièrement destiné à ses adversaires, pour leur « expliquer ce qu’est une existence gay ».

L’orientation hétérosexuelle concerne la très grande majorité de la société et forcément, les arts, la culture et littérature la reflètent. « Il n’y a pas à s’en étonner. C’est mathématique », ajoute-t-il. « En particulier tout ce qui relève de la culture populaire, en prise avec la culture de la majorité. En revanche, quand on regarde dans l’antiquité grecque, disons, on trouve à toute époque des allusions, mises en scène, des thématisations de l’homosexualité, même si très minoritaire dans les discours. La littérature aide donc le jeune gay à se construire. Mais il faut trouver les pépites qui vont lui donner des références et modèles, qui lui serviront à constituer sa propre identité. »

Et ça commence avec Platon ! « Incroyable et merveilleux d’avoir, au cœur de la culture occidentale, un auteur, fondateur de la philosophie quasiment, qui parle ouvertement du désir homosexuel, dans sa culture et société », même s’il s’agit de « l’antiquité grecque ».

Néanmoins, il reste une référence extrêmement importante pour un jeune gay ou jeune adulte « qui essaie de trouver sa place et voir qu’il existe malgré tout quelques auteurs de cette dimension, qui parle de manière très positive, au moins dans une certaine partie, de ce désir pour le même sexe, au fondement du désir même de connaissance », souligne l’essayiste citant Platon. Si ce n’est que tout cela aura été « oblitéré par la culture dominante. » Mais il y en a d’autres dans l’histoire, « beaucoup dans la littérature moderne, contemporaine : Gide, Genet etc. »

En quoi notre sexualité peut influencer notre regard ?

Selon l’auteur, l’influence du sexe aujourd’hui dans notre vision du monde est à la fois cognitive, psychologique, sociale, « comme on le sait depuis seulement Aristote, pour reprendre une grande référence antique », insiste-t-il.

« Le corps est indissociable du fonctionnement de l’esprit et de l’âme. Et la façon dont l’enfant, l’adolescent grandit et forme son rapport avec le monde, elle prend également en compte l’ensemble de ses constituants psychiques, désirs… L’enfant construit son rapport à l’espace par les efforts à fournir pour atteindre un objet. C’est la même chose pour le temps ou encore l’orientation sexuelle. Je prends le cas d’un garçon qui serait attiré par des garçons, c’est mon expérience personnelle. Quand ce désir fait jour en lui, l’enfant découvre peu à peu qu’il est différent de sa famille », en général de type hétérosexuel.

Et cette différence, « ce sentiment d’altérité, qui au début n’est pas très clair, contribue à former son propre rapport au monde, à la société, la famille. Alors, comment imaginer qu’une orientation sexuelle différente de la majorité puisse ne pas avoir de conséquences sur notre psyché, notre rapport à la connaissance, au Beau, au Vrai, au Bien ? Quand on est différent dans la société, on pense différemment la société. Et c’est tout cela que j’ai voulu montrer dans ce livre. »

Étranger à une très grande partie de tous les textes, modèles et figures ou œuvres d’art qui nous sont proposés à l’admiration, et à l’école en particulier.

« On a le sentiment de ne pas se retrouver dans cette culture générale et de ne pas être soi-même compris. “L’étrangement” est à double sens. La culture, la société devient étrangère au jeune homosexuel, qui devient en quelque sorte lui-même invisible dans cette société. Rien de ce qui anime mon propre désir pour un autre homme n’est très visible quand j’en manifeste les signes dans les situations quotidiennes. En dehors des quelques lieux communautaires pour les gays, cela ne se fait guère ou très difficilement (…) L’existence même d’un désir gay n’est pas acceptée, n’est pas naturel, spontané dans le système social : il n’est pas prévu ! On nous assigne par défaut une position, une identité hétérosexuelle, comme 95% environ de la société. Tout ce que je pourrais dire ou faire sera mesuré et compris à l’aune de cette assignation hétérosexuelle. Et pour en sortir, il faudra faire son coming-out, un effort très particulier. Et cette sortie du placard, comme on l’appelle, il faut savoir la mesure. Es-ce que ça vaut le coup, dans les circonstances présentes ? Aucun intérêt dans une situation professionnelle mais parfois on est obligé de le dire. Nous sommes sans cesse confrontés dans cette situation. Et pour sortir de cette invisibilité ça coûte un effort et ça a des risques… »

Un risque de se retrouver enfermé dans cette catégorie hétérosexualité/homosexualité ?

« Je suis contre toute essentialisation », affirme encore l’universitaire, « heureux depuis cette conceptualisation autour du Queer, qui permet de sortir de toute vision binaire de la sexualité répartie entre homosexualité et hétérosexualité ».

« On assiste à une sorte de fluidité plus grande entre les sexualités, particulièrement sensible chez les jeunes générations », se réjouit-il, même si là encore, seule une minorité, mais grandissante, n’est concernée. Ce serait « absurde » du reste, de s’identifier à une orientation sexuelle, quelle qu’elle soit. « Elle est importante mais ce n’est pas le seul paramètre qui fonde notre identité », martèle William Marx.

Et puis, on dit souvent aux gays, « je vous ai pas demandé votre sexualité. Discours assez courant dans les milieux professionnels », où les collègues répètent des choses du genre « ah, mais celui-là il nous a dit qu’il était gay, mais j’ai pas besoin de le savoir, je préfère ne pas le savoir, en faisant comme si dire “qu’on a une certaine orientation” serait revendiquer une identité », qui définirait celui qui l’évoque.

« Ce n’est pas exactement cela », regrette William Marx. « Ce que dit le gay qui fait sa sortie du placard, c’est qu’il y a quelque chose de très profond en lui, qui correspond à quelque chose de très important dans son existence. Ses autres amis peuvent parler très librement de leur famille, femme ou enfants. Pourquoi pour un gay, dire cela, sa relation d’affection avec des amis, son compagnon etc., serait plus dangereux ou plus identitaire ? » : « Ce n’est pas identitaire de se revendiquer comme homosexuel. C’est simplement une manière de refuser une identité qui vous est assignée de manière automatique. »

 

 

« Un savoir gai » de William Marx (Éditions de Minuit)

Le sexe est chose mentale. Il colore notre vision du monde, il transforme la connaissance que nous en avons, et en partie même il la fonde. La sexualité implique un rapport spécifique au vrai, au beau, au bien, autrement dit, un savoir, une esthétique, une éthique, une politique.
Or, quand le désir change, la vision du monde en est changée. Que sait un gay sur le monde ? Quelle expérience en a-t-il ? Qu’en ignore-t-il ? Trois mille ans de littérature occidentale ont exploré l’intellect hétérosexuel et la vision du monde qui l’accompagnent. Il est temps d’explorer une autre face, celle du savoir gai, celle de l’étrangement.
Il ne sera pas seulement question d’amour, de drague, de fantasmes, de pornographie et de taille du pénis, mais aussi de Platon, Vélasquez, Proust, Oshima et Cat Stevens, des chauffeurs de taxi, des colonies de vacances, du mariage pour tous, de la longévité des chats et des baleines bleues. De la vie érotique de l’auteur, et de celle de Jésus également. Bref, de la vie tout court.
Lecteur, tu en apprendras ici beaucoup sur l’homosexualité, sur l’hétérosexualité, mais d’abord et surtout sur toi-même. Tu es le sujet de ce livre, toi et ton désir.