Jean-Marie Le Pen jugé pour injure et incitation à la haine à raison de l’orientation sexuelle (VIDEOS)

Le cofondateur du Front national, 89 ans, coutumier des poursuites judiciaires, est de nouveau cité à comparaître ce 7 février devant la 17e chambre du Tribunal correctionnel de Paris pour une série de propos contre les homosexuels, qu’il aura notamment assimilé à des pédophiles. Il est jugé pour injure et incitation à la haine à raison de l’orientation sexuelle.

Le 18 mars 2016, alors qu’il était interrogé sur les affaires de pédophilie dans l’Église catholique, Jean-Marie Le Pen a affirmé que « l’abaissement des règles morales est une constante d’une société décadente, et je crois que la pédophilie, qui a trouvé ses lettres de noblesse… interdites, mais tout de même, dans l’exaltation de l’homosexualité, met en cause toutes les professions qui approchent l’enfance et la jeunesse ».

Le 21 décembre suivant, interrogé cette fois par des journalistes du Figaro sur la représentation des homosexuels au sein du Front national, l’eurodéputé a déclaré que « les homosexuels c’est comme le sel dans la soupe, si y’en a pas assez c’est un peu fade, si y’en a trop c’est imbuvable ».

Le 23, Mousse déposait plainte. Mais Jean-Marie Le Pen, qui revendique son droit à exprimer une opinion, assure ne pas nourrir pour autant d’hostilité à l’encontre des LGBT.


Me Etienne Deshoulières, notre conseil et avocat de l’association, estime au contraire que les propos de l’ex-dirigeant frontiste constituent « une provocation inacceptable à la haine d’autrui et à la haine de soi. Ce discours fait naître chez les homosexuels une haine intime contre la composante essentielle de la personnalité que constitue leur orientation sexuelle. Ceux qui adhèrent aux idées politiques de Jean-Marie Le Pen sont les premières victimes de cette homophobie intériorisée ».

Peut-on condamner des propos visant l’homosexualité ?

Les enjeux sont importants. Ce procès soulève en effet deux questions susceptibles de faire l’objet d’une « jurisprudence » sur les questions juridiques LGBT.

La première tient au fait de savoir si des propos condamnant l’homosexualité visent les personnes homosexuelles elles-mêmes ou seulement un comportement librement critiquable, argument constamment invoqué en défense dans les procès pour homophobie, en aussi bien en France qu’à l’étranger.

De jurisprudence constante, dans les affaires où des critiques sont formulées contre des doctrines religieuses, la jurisprudence considère que les propos ne visent pas les personnes adeptes de la religion, mais les doctrines elles-mêmes. Dans ces affaires, ce sont les théories religieuses qui font l’objet de critiques, non pas les comportements des croyants inhérents à la pratique d’une religion. Cette position permet notamment aux religieux eux-mêmes de discuter et de critiquer librement leurs propres théories religieuses.

Il en va de même pour la critique des théories sociologiques, telles que les théories féministes constructivistes, souvent désignées comme les « théories du genre ». Dans une démocratie libérale comme la France, de telles théories doivent pouvoir faire l’objet d’un libre débat et de libres critiques, quand bien même ces critiques seraient défendues par les associations de défense des droits des homosexuels. Une critique à l’encontre des « théories du genre » ne constitue pas une critique à l’encontre des homosexuels eux-mêmes.

A l’inverse, lorsqu’elles visent non pas une doctrine, mais un comportement constitutif d’un groupe, les critiques doivent être considérées comme visant le groupe lui-même. Ainsi, à propos de critiques de comportements inhérents à une communauté religieuse, la jurisprudence considère que la critique vise le groupe de personnes à raison de sa religion.

Ainsi, dans une affaire imputant des comportements racistes aux chrétiens d’Europe de l’Est, la Cour de cassation a considéré que les communautés chrétiennes des pays de l’Est étaient visées à raison du « comportement prêté à leurs membres ». De même, dans l’affaire Brigitte Bardot, la critique des personnes pratiquant Aïd-el-Kébir a été considérée comme constituant une critique à raison de l’appartenance à la religion musulmane. De même, lorsque les critiques ne visent non pas une théorie sociologique, telle que les « théories du genre », mais un comportement sexuel inhérent à une orientation sexuelle, on doit considérer que la critique vise le groupe de personnes à raison de leur orientation sexuelle.

La seule manière de critiquer des personnes à raison de leur orientation sexuelle, c’est de critiquer leur homosexualité entendue comme un comportement sexuel objectif. Il n’y a de critiquable chez les homosexuels que leur homosexualité. Leur comportement sexuel est la seule chose qui les distingue des autres groupes de personnes et qui les expose, ce faisant, à une condamnation morale. La liberté de vivre son orientation sexuelle ne relève pas de la liberté de conscience. Dans un Etat démocratique, la liberté des homosexuels de vivre leur homosexualité consiste avant tout à pouvoir adopter des comportements homosexuels. Critiquer l’homosexualité, c’est critiquer la liberté fondamentale dont jouissent les homosexuels dans les Etats démocratiques.

L’assimilation entre orientation sexuelle et comportement sexuel a d’ailleurs été clairement exprimée par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Christine Boutin, par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire du don du sang et par la Cour suprême du Canada dans une affaire concernant la suspension d’une publication condamnant moralement l’homosexualité.

Peut-on condamner des propos appelant à la haine de soi ?

Cette seconde question concerne le point de savoir si l’appel à la haine est également condamnable lorsqu’il constitue un appel à la haine de soi. Cette question est cruciale dans une optique LGBT, car le taux de suicide est 7 fois plus élevé chez les jeunes LGBT.

La question de l’appel à la haine se pose de manière particulière lorsqu’il est prononcé à raison de l’orientation sexuelle. Les propos de Jean-Marie Le Pen font en effet naître chez les homosexuels eux-mêmes une haine intime contre la composante essentielle de la personnalité que constitue leur orientation sexuelle. Cette haine distillée par les propos de Jean-Marie Le Pen touche de nombreux homosexuels qui doivent vivre au quotidien avec la haine de soi.

A cet égard, une étude menée par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) démontre que les discours homophobes ont une influence directe sur la santé mentale des homosexuels eux-mêmes. Selon cette enquête « les valeurs et manifestations hétérosexistes et homophobes présentes dans la société et ses institutions exposent les minorités sexuelles à une pression qui pourrait expliquer l’apparition de problèmes de santé physique et mentale chez une plus grande proportion de cette population ».

Les homosexuels qui adhèrent aux idées politiques de Jean-Marie Le Pen sont les premières victimes de cette homophobie intériorisée. Ils vivent dans ce que les sociologues appellent la « dissonance cognitive », c’est-à-dire la tension entre un système de valeurs auquel ils adhèrent et des pratiques vécues comme contradictoires avec ce système. Pour tous ces homosexuels, les propos de Jean-Marie Le Pen sont un appel à la haine d’eux-mêmes, au rejet de leur orientation sexuelle.

Cette haine de soi est également dénoncée dans un rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme de juin 2014, qui a mis en évidence la vulnérabilité particulière des jeunes LGBT, en soulignant les importants risques de suicide.

En avril 2017, M. Le Pen a aussi qualifié l’hommage à Xavier Jugelé,  gardien de la paix assassiné sur les Champs-Élysées, d’exaltation publique du « mariage homosexuel », le policier étant gay, militant et marié.