« Faire son coming out au bureau » : un sujet sensible perçu comme un « inconvénient » pour les jeunes LGBT

Si évoquer son orientation sexuelle sur son lieu de travail peut sembler désormais plus anodin pour certains, le sujet demeure sensible pour de nombreux jeunes appartenant à la communauté LGBT, voire même embarrassant, selon une enquête réalisée par le cabinet international de conseil en stratégie Boston Consulting Group (BCG).

Selon cette étude parue mercredi et menée en ligne sur un échantillon restreint de 165 étudiants et jeunes diplômés : 58% des répondants pensent qu’être « out au bureau » est un « potentiel inconvénient » dans l’environnent professionnel, notamment dans les secteurs de l’industrie, de la banque et de l’assurance. A l’inverse, 16% l’envisage comme un avantage, surtout dans le numérique ou les métiers de la communication. Et 27% n’ont aucune appréhension sur le propos !

Outre les disparités de secteurs… il est à noter que les jeunes lesbiennes et trans semblent plus en retrait. 64% des femmes homosexuelles interrogées choisissent ainsi la discrétion, quitte à passer pour une célibataire, contre 78% des personnes transgenres, qui n’estiment guère plus propice d’en parler.

Ils sont également 45% à préférer esquiver les discussions trop personnelles avec leurs collègues et responsables pour se préserver, à la faveur d’un mensonge par omission ou la « présomption d’une hétérosexualité ». « Stratégies actives de dissimulation » : Quatre répondants sur cinq auront pourtant fait leur « coming out » auprès de leur famille, proches ou amis.

Des situations souvent plus compliquées en province, avec 67% des sondés qui confirment aussi cette inquiétude de la « sortie du placard », contre 50% sur la région parisienne, où les entreprises seraient perçues comme beaucoup plus inclusives.

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48% des répondants estiment par ailleurs que les entreprises françaises sont de plus en plus sensibles à la promotion de la diversité et parfois même tout aussi compétitives que leurs voisines européennes. Ils n’étaient pourtant que 33% à le penser en 2015, souligne Les Echos qui relaie l’information. Malgré cette évolution, « le milieu de l’entreprise peut avoir quelque chose d’inquiétant », explique Manel Oliva-Trastoy, porte-parole en charge de cette étude pour le BCG. Les jeunes LGBT peuvent en effet se retrouver dans des situations gênantes face à leur employeur. Et si on leur demandait de partir en mission dans un pays réprimant l’homosexualité, seuls 23% « partiraient avec enthousiasme ».

Enfin, l’étude s’est intéressée aux actions attendues. Dans le top 3 on trouve l’inscription de la non discrimination dans les valeurs de l’entreprise, l’adhésion à une charte nationale ou internat ionale de défense des droits LGBT et la mise en place de session de formations sur la diversité. Une réflexion qui démontre une nouvelle fois tout l’intérêt de l’engagement des compagnies pour soutenir l’intégration des employés LGBT : un critère valorisant pour les candidats.

Trois questions à l’économiste Thierry Laurent, du centre d’étude des politiques économiques de l’université d’Evry-Val d’Essonne, auteur de plusieurs études sur le sujet.

Révéler son orientation sexuelle peut être « potentiellement un inconvénient » dans le milieu professionnel, estiment 58 % les sondés. Cette crainte est-elle justifiée ?

Cela dépend évidemment et avant tout de l’entreprise et du lieu de travail. Mais si on s’intéresse à l’impact sur le salaire, c’est plutôt vrai. Nous avons observé qu’à caractéristiques identiques, les hommes homosexuels gagnent en moyenne 6 % de moins que les hétérosexuels dans le privé, et 5 % de moins dans le public. L’écart est similaire à celui constaté entre les hommes et les femmes, qui est d’environ 5,5 %. Pour les lesbiennes, on ne constate toutefois pas de différence notable de salaire avec les hétérosexuelles.

L’âge joue aussi un rôle : les jeunes gays subissent une moindre pénalité salariale que les plus âgés. En effet, les augmentations de salaire interviennent souvent lors de promotions, au moment des changements de postes. Ces changements étant, en moyenne, moins favorables aux gays qu’à leurs collègues hétérosexuels, les écarts de salaires en fin de carrière sont non négligeables. 

Lors de la recherche d’emploi, les jeunes LGBT ont-ils pour autant les mêmes chances que les autres ?

Il est difficile de mesurer la discrimination à l’embauche des jeunes LGBT. Nous avons constaté qu’à un instant donné, le taux de chômage est deux fois plus important pour les gays que pour les hétérosexuels, toutes choses égales par ailleurs. Etre gay est même plus pénalisant qu’être né en Afrique ou être un senior, deux catégories pourtant très exposées au risque de chômage.

Mais l’interprétation de ce résultat est délicate. Même si la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle existe certainement par endroits, le résultat obtenu peut également être la conséquence de comportements spécifiques des gays sur le marché du travail. Ayant moins d’enfants que les hétérosexuels, vivant moins en couple, ils sont par exemple plus mobiles, ce qui peut favoriser des changements d’emploi les faisant passer plus souvent par la case chômage.

Chez les hommes de moins de 40 ans, 16 % des gays ont changé d’entreprise dans l’année, contre 9 % des hétérosexuels. Et plus le salarié est jeune, plus il change souvent. Une interprétation de ce constat – il peut y en avoir d’autres –, c’est qu’il est peut-être plus difficile pour un jeune gay de trouver le « bon » emploi : aux critères habituels d’intérêt du travail, de rémunération et de faible temps de trajet s’ajoute, pour les gays, le besoin spécifique de se sentir bien dans leur entreprise, compte tenu de leur orientation sexuelle. Cette recherche du « bon » emploi peut produire les tâtonnements observés en début de carrière. 

Un étudiant LGBT sur deux ne se sent pas serein à l’idée de répondre à une question de son manager sur son couple, et 11 % d’entre eux déclarent, dans le sondage, préférer mentir à ce sujet. Vaut-il mieux cacher son orientation sexuelle pour trouver (et garder) son job ?

Même s’il y a beaucoup de situations différentes sur le marché du travail, révéler son orientation sexuelle peut coûter cher en termes de salaire. Nous avons calculé le coût du coming out, c’est-à-dire la différence de salaire entre un gay qui révèle son orientation sexuelle à son employeur par rapport à celui qui la cache : elle est en moyenne de 1 200 euros par an.

Pour autant, on sait aussi depuis longtemps que le fait de cacher son orientation sexuelle, ce qu’on appelle les « stratégies actives de dissimulation », peut avoir d’importants effets psychologiques, avec des conséquences sur la santé et sur l’efficacité au travail. Or si vous êtes moins productif, vous risquez d’être moins bien rémunéré ! Ce qu’on peut conseiller aux jeunes LGBT qui hésitent à révéler leur orientation sexuelle au travail, c’est peut-être de prendre le temps de chercher et de trouver l’entreprise au sein de laquelle ils pourront faire leur coming out.

Propos recueillis par Laura Buratti