Après l’assassinat d’un militant gay, le Cameroun doit lutter contre l’homophobie

Les amis d’Eric disent qu’il répandait la bonne humeur autour de lui. En tant que journaliste et activiste, il a écrit d’excellents articles sur les problèmes de la communauté LGBT camerounaise. Ses collègues rapportent qu’ils se tournaient souvent vers lui pour demander des informations ou des contacts.

Le samedi 13 juillet 2013, ses amis ont remarqué son absence. C’est le lundi 15 juillet vers 17 heures qu’ils ont trouvé son corps sans vie à son domicile. Ils disent qu’il avait été torturé si violemment qu’ils pouvaient reconnaître seulement ses pieds : sa tête et ses testicules étaient gonflées et tout son corps portait des marques de fer à repasser.

Ses amis ne peuvent comprendre comment des personnes ont pu exercer une telle cruauté envers un être humain.

Depuis la découverte de son corps, le meurtre d’Eric Ohena Lembembe a été condamné par des Etats-Unis, l’Union européenne, la France et un certain nombre d’organisations locales et internationales. La nouvelle a été reprise par de nombreux médias, au Cameroun comme à l’étranger.

Le ministre camerounais de la Communication a réagi en convoquant une conférence de presse et a refusé de commenter ou condamner l’assassinat et a même demandé à la presse de ne plus en parler.

Menaces et violences

Bien avant l’assassinat d’Eric, les activistes LGBT faisaient face à des menaces et des violences. L« Eglise catholique camerounaise a récemment publié un communiqué contre l’homosexualité, d’autres organisent des “journées contre l’homosexualité”, tandis que le gouvernement fait mine d’ignorer la violence.

Les échelons les plus élevés du gouvernement semblent pris entre, d’une part, l’intolérance aveugle d’une partie des citoyens envers les homosexuels, et d’autre part par la pression de la communauté internationale et des bailleurs de fonds. Ces derniers exigent en effet du gouvernement de faire cesser la violence contre les personnes LGBT, d’abroger les lois discriminatoires et de respecter les conventions internationales signées par le Cameroun.

Pour se rendre compte de l’homophobie ambiante, Il est possible, pour ceux qui ont l’estomac solide, de parcourir les commentaires sur les sites d’informations camerounais.

Cette lecture peut aussi montrer à quel point l’homosexualité est mal comprise au Cameroun. Elle est souvent associée avec des rites magiques néfastes dits du “ magico-anal ”, prétendument destinés à accéder à des positions de pouvoir et l’homosexualité semble ainsi être devenue un symbole de la corruption de ceux au pouvoir (lorsque des listes d’homosexuels présumés dans des positions de pouvoir ont été publiées en 2006 par des journaux cherchant des ventes à tout prix, le gouvernement a réagit en soutenant que la sexualité de chacun doit rester une affaire privée).

Dans cet imaginaire, l’homosexualité est aussi assimilée au harcèlement sexuel, à la pédophilie, à la zoophilie, etc.

Le fait que les pays et institutions occidentaux aient exprimé leur indignation contre la violence envers les personnes LGBT est instrumentalisé pour détourner l’attention du public camerounais des nombreuses autres violations de droits humains dont font état plusieurs rapports.

L’homosexualité est ainsi faussement présentée comme un symbole des différences des valeurs “ occidentales ” en opposition aux valeurs “ africaines ”.

Dans ce cadre, il est souvent avancé que beaucoup de Camerounais sont chrétiens et que l’homosexualité ne saurait donc être acceptée dans le pays. Ceci est assez paradoxal étant donné que cette religion a été violemment implantée dans la région par des missionnaires européens.

Les articles publiés dans la presse internationale expriment pour la plupart le souhait que les meurtriers soient trouvés. Cependant, même a- delà du contexte d’homophobie, la probabilité de trouver les véritables assassins d’Eric semble faible. En effet, la police est une des institutions les plus corrompues du pays.

De plus, certains membres des forces de police eux-mêmes harcèlent les personnes perçues comme homosexuelles, et utilisent la loi contre l’homosexualité comme un outil de chantage.

Pas de progrès de l’enquête

Il n’est pas surprenant que l’enquête sur l’assassinat d’Eric ait jusqu’ici été menée avec peu de zèle : la police n’aurait même pas pris de photos de la scène du crime et les recherches ont plutôt porté sur l’orientation sexuelle d’Eric et de ses collègues.

Quelques-uns de ses amis ont même été mis en prison pour plusieurs jours : ni comme témoins, ni en garde à vue, et ainsi complètement hors du cadre légal. Il semble très probable que les assassins ne seront pas inquiétés.

Assurément, les activistes des droits des LGBT au Cameroun portent un lourd fardeau. Cependant, au regard du nombre considérable de communiqués de presse, de condamnations, d’articles de blog et de “tweets” concernant le meurtre d’Eric, ainsi que le grand nombre d’organisations internationales œuvrant pour les droits humains s’étant manifestées à cette occasion, les activistes camerounais-es semblent avoir de nombreux soutiens. Mais est-ce vraiment le cas ?

En réalité, la plupart des organisations locales qui ont fourni les informations sur la mort d’Eric ont du mal à joindre les deux bouts. Elles manquent de fonds pour maintenir les centres d’accueil médicaux, informer sur le VIH/SIDA, offrir un soutien légal à ceux qui sont arrêtés, enquêter sur les violences, etc.

Cela signifie aussi que les activistes n’ont pas non plus de bureaux suffisamment sécurisés, peu d’appui juridique et il leur est difficile de se mettre en sécurité lorsque la situation devient trop risquée.

Nombre d’entre eux, comme Eric, font ce travail bénévolement, tandis qu’ils/elles font face à des menaces quotidiennes et sont aussi parfois exclu-e-s de leur communauté et de leurs familles.

Le courage de beaucoup de ceux et celles que j’ai rencontré-e-s est impressionnant. C’est ce constat qui m’a poussé à écrire cet article après de nombreuses discussions avec les principales organisations LGBT qui m’ont demandé de donner un point de vue “ externe ”. Toutefois, je ne parle ici qu’en mon nom.

Le soutien des ONG internationales

Tandis qu’une ou deux de ces organisations bénéficient d’un appui à long terme par les bailleurs de fonds internationaux, la majorité n’ont que des ressources précaires et très limitées. La plupart des bailleurs préfèrent octroyer peu de grandes subventions à des organisations bien établies, ce mode de financement étant plus facile à gérer

De ce fait, les donateurs se concentrent tous sur les mêmes organisations locales. Dans certains domaines, comme les droits des peuples autochtones, les ONG internationales ont des partenariats avec plusieurs organisations locales et répartissent ainsi des grandes subventions pour promouvoir un développement institutionnel local sur le long terme.

Ce n’est malheureusement pas le cas concernant les droits des personnes LGBT au Cameroun et ce problème est répandu dans d’autres secteurs d’activité de “ développement ”.

Les projets de lutte contre le VIH /SIDA, financés par USAID et le Fonds global à hauteur de plusieurs millions de dollars, utilisent les activistes LGBT pour mettre en place leurs activités sans toutefois fournir un appui institutionnel solide et en prenant soin d’éviter les questions liées aux droits humains.
Les ONG comme “main-d’œuvre” ?

A la suite du meurtre d’Eric, les principales ONG LGBT du Cameroun ont cessé leurs activités dans le cadre de ces projets en réaction à ce qu’elles qualifient d’un “ partenariat qui réduit les associations identitaires à une simple main-d’œuvre et les maintient dans l’insécurité et la précarité ”.

En effet, les accords dont j’ai eu connaissance prévoient des paiements dérisoires sur des contrats à très court terme. La principale réaction au meurtre d’Eric par les organisations dans le domaine de la santé a été de demander les délais dans lesquels reprendrait la mise en place de leurs projets.

Il semble peu probable que ces organisations puissent suffisamment changer leur état d’esprit pour appuyer les activistes locaux sur le long terme.

De plus, il semble que dans les mandats des ONG internationales de droits humains, il existe un vide qu’il faille combler.

Presque aucune des organisations internationales travaillant spécifiquement sur les droits des personnes LGBT, ni de celles qui ont une visée plus large, n’ont la vocation d’appuyer les organisations locales sur le long-terme.

Néanmoins, elles comptent toutes sur les activistes locaux pour fournir les informations qui sont à la base de leurs campagnes médiatiques et de collecte de fonds. En même temps, cette “ hypermédiatisation ” des questions LGBT au Cameroun a rendu les activistes locaux beaucoup plus visibles et il est manifeste qu’ils/elles encourent seuls les risques liés à cette médiatisation.

Les activistes camerounais-es ont un contrôle limité sur ces campagnes de presse, bien qu’ils/elles soient les premiers concerné-e-s.

Ils/elles me disent qu’on leur demande souvent de signer des rapports et des communiqués de presse internationaux lorsque ceux-ci sont déjà rédigés. Ils/elles ont le sentiment qu’il est alors difficile de refuser de signer car cela pourrait être interprété comme un manque d’engagement de leur part et une trahison de la cause commune.

Dans plusieurs cas, des articles ont même été publiés sur la base d’informations qui portaient la mention expresse de ne pas les partager. De plus, certains ne saisissent pas entièrement les implications possibles à consentir à ce que leurs noms et/ou photos soient publiés dans des rapports, articles et films.

Bien évidemment, de façon générale les activistes internationaux pour les droits des personnes LGBT sont mus par des bonnes intentions.

De plus, l’alliance entre les organisations internationales et locales peut devenir très fertile : ayant un but commun, elles peuvent chacune apporter des compétences et des perspectives différentes.

Par exemple, les organisations internationales peuvent s’exprimer plus librement sans s’exposer à trop de risques car elles ne sont pas basées dans le pays-cible.

Cependant, les organisations internationales n’ont pas la légitimité de dire certaines choses, ne sont pas en mesure d’offrir un support aux victimes de violence, ou de comprendre en profondeur la variété des contextes culturels locaux. Plus important encore, elles ne pourront jamais se substituer à un changement issu de l’intérieur de la société camerounaise.

Prendre en compte les organisations locales

Je pense que les organisations internationales travaillant avec les personnes LGBT doivent être plus ouvertes et mieux prendre en compte les organisations locales, leurs idées et leur sécurité. Je ne veux pas donner de recommandations pour régler ces problèmes car ces solutions doivent venir d’une discussion entre toutes les parties prenantes à l’échelle du Cameroun.

D’une part, cette discussion devrait viser à remédier au vide dans les mandats des organisations internationales afin qu’elles puissent appuyer les organisations locales et les activistes sur le long terme.

D’autre part, il faudra trouver une approche pour établir des relations plus équilibrées garantissant que les organisations locales soient impliquées dans les actions depuis leur conceptualisation jusqu’à leur mise en oeuvre. Cela nécessitera aussi que les organisations locales parlent clairement et sans trop de discorde.

Je pense que ces changements drastiques sont indispensables. Le choc de l’assassinat d’Eric pour nous tous pourrait être le déclencheur d’une meilleure collaboration pour assurer le respect des droits humains de tous les Camerounais. C’est pour cet objectif qu’Eric était prêt à risquer sa vie.

Emmanuel Freudenthal | Chercheur droits humains en Afrique Centrale

http://www.rue89.com/2013/09/08/apres-lassassinat-dun-militant-gay-cameroun-doit-lutter-contre-lhomophobie-245487