Jugé à Paris pour le meurtre d’un homosexuel, 20 ans après les faits

Il pensait, sans doute, avoir laissé cette «affaire» derrière lui. En tout cas, il s’en était donné les moyens… En fuite, il avait été condamné par contumace à 25 ans de réclusion en 2004 pour le meurtre d’un professeur d’anglais. Arrêté par hasard en 2014, Karim Dahmoun, 44 ans, sera finalement rejugé lundi par la cour d’assises de Paris, 20 ans après les faits.

Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, l’homme avait été arrêté le 3 février 2014 par des agents des douanes dans un train à destination de Barcelone alors qu’il voyageait sous une fausse identité. Placé en garde à vue, il avait refusé de livrer son nom, se présentant comme un simple clandestin qui avait trouvé des papiers d’identité. Mais ses empreintes, enregistrées au fichier automatisé des empreintes digitales (Faed), vont permettre aux douaniers de mettre un nom sur l’inconnu. Et, surprise… il est recherché depuis 19 ans pour le meurtre d’un professeur d’anglais, Daniel Augeron, retrouvé étranglé et lardé de coups de couteau dans son appartement du VIIè arrondissement de Paris.

Le fugitif a déjà été jugé pour ce meurtre par la cour d’assises de Paris qui l’a condamné en 2004 par contumace à 25 ans de réclusion criminelle. Il est soupçonné d’avoir piégé la victime, homosexuelle, en se faisant passer pour une possible relation afin de le voler. Karim Dahmoun conteste les faits qui lui sont reprochés, a indiqué son avocate, Me Carole Foissy, sans plus de commentaire.

L’affaire remonte au 26 novembre 1995 avec la découverte du corps dénudé de la victime enfouie sous des draps sur le canapé-lit déplié de son salon. C’est la concierge de l’immeuble, alertée par la mère de la victime inquiète de son silence depuis trois jours, qui avait donné l’alerte en découvrant l’appartement sens dessus dessous, avec des traces de sang sur un mur. Sur place, les policiers de la brigade criminelle constatent une absence d’effraction, un foulard autour du cou de la victime, de nombreuses traces de sang séché mais également des traces papillaires. Le médecin légiste note des plaies par coups de couteau, des signes d’asphyxie et conclut à une mort par strangulation survenue le 23 novembre.

La victime, professeur d’anglais dans un lycée d’Athis Mons (Essonne) et animateur du club de théâtre, décrit comme “sensible, raffiné, cultivé et gentil”, était appréciée de ses collègues. L’examen des appels téléphoniques reçus les jours précédant sa mort va mettre les enquêteurs sur la piste de Karim Dahmoun, qui l’avait appelé pour un rendez-vous fixé quelques jours avant le drame.

Selon son entourage, Dahmoun avait quitté l’Algérie en 1994 pour échapper au service militaire et vivait depuis en situation irrégulière en France. Son oncle précisait qu’il commettait des vols au domicile de personnes âgées et des escroqueries. Un autre témoin ajoutait l’avoir vu dans une boîte fréquentée par des homosexuels qu’il séduisait pour leur soutirer de l’argent. Une amie polonaise avec qui il vivait a rapporté l’avoir vu revenir un soir avec un tee-shirt taché de sang et déchiré, des griffures et blessures au poing droit. Averti que la police le recherchait, Dahmoun avait quitté Paris pour rejoindre Marseille chez un ami auquel il aurait confié vouloir regagner l’Algérie.

Des empreintes papillaires de Dahmoun ont pu être recueillies par Interpol. Elles se sont révélées identiques à celles retrouvées dans l’appartement de la victime. Le procès est prévu jusqu’au 7 mai.

«C’était un homme charmant»

Dans le petit immeuble niché dans la rue de Montessuy qui file vers la Tour Eiffel, le souvenir de Daniel Augeron et de sa sinistre fin est encore vivace parmi les habitants de l’époque. «Ca nous a fait un choc, dans la maison, confie Mireille. C’était un homme charmant, soigné de sa personne…» Françoise, qui a connu Daniel Augeron de son arrivée dans l’immeuble, en 1981, jusqu’à son meurtre en 1995, fait partie des premiers témoins, un dimanche matin, de sa disparition : «Sa maman n’avait pas de nouvelles de lui, n’arrivait pas à le joindre au téléphone. Elle a appelé la gardienne, qui avait les clés. Quand nous sommes entrées, tout était sombre. Dans le salon, il y avait un corps, emballé dans une couverture, posé sur le canapé. Nous avons appelé, sans succès, alors nous avons alerté les secours».
Dans l’immeuble, l’homosexualité du professeur était connue, perceptible selon Danielle «à un certain raffinement. Ce n’était pas une folle, il n’avait rien d’efféminé, mais je l’ai compris… Il aimait Wagner, moi Mozart, enseignait l’anglais, moi l’allemand, nous nous sommes très bien entendus, mais jamais nous n’en avons parlé». La nouvelle du meurtre a pour tous été un choc. «On a compris ce jour qu’une partie de sa vie était cachée. Il s’est dit qu’il avait fait une mauvaise rencontre par messagerie minitel», se souvient Françoise. «Dans les jardins du Trocadéro», croit savoir une autre habitante. «Je ne pensais pas qu’il aurait l’imprudence de laisser monter des inconnus», soupire Danielle, voisine du dessus, qui prenait de temps en temps un apéritif avec le professeur célibataire.
Vivace est également le souvenir de la réaction de la mère de Daniel. Après la mort de son fils, cette femme veuve d’un ingénieur aurait ainsi, raconte Françoise, quitté la maison familiale de Barbizon (Seine-et-Marne) pour «finir ses jours dans l’appartement où il a été assassiné. ça a sidéré tout le monde. Elle y a vécu jusqu’à il y a trois ans, quand elle est partie en maison de retraite». Fermant comme un mausolée l’appartement où son fils, un jour de 1995, a succombé.

avec AFP