Dans un village breton, trois enfants, deux papas, une famille heureuse !

L’an dernier, Yann et David sont devenus les pères d’un garçon et de deux filles, issus des favelas de Rio. Et depuis ? Depuis tout va bien, merci.

« Bonjour, nous sommes les parents ! »

La directrice de l’école se souvient de sa fugitive surprise, en découvrant ce couple, qui venait inscrire ses trois enfants. Se tenaient devant elle deux trentenaires souriants et légèrement barbus : Yann, un grand sérieux aux allures sportives et David, un bon vivant au regard gentil. « Les parents ? » a balbutié la directrice, puis, comprenant : « Ah bon, très bien. » Ce ne fut qu’une seconde de surprise, vite oubliée : depuis ce jour, dans cette petite école rurale du Finistère, le fait que ces trois enfants aient deux pères est resté un non-sujet.

A l’époque, pendant l’hiver 2010, Yann et David ne vivaient pas encore avec leurs enfants. Ils s’apprêtaient à partir pour Rio, pour aller les chercher : une fratrie, trois gosses des favelas recueillis par les services sociaux, qui attendaient dans un orphelinat depuis trois ans et demi. Les deux hommes étaient impatients, leur projet d’adoption était mûri de longue date.

Au printemps suivant, l’école a accueilli ces enfants venus du bout du monde avec joie. Maurilho, 10 ans, Millene, 9 ans, et Kaylane, 7 ans, avaient deux papas, et alors ? C’était un détail parmi bien d’autres traits bien plus extraordinaires : ils ne parlaient pas français, ils étaient noirs dans cette école d’enfants à 100% blancs, ils étaient adoptés, ils rayonnaient de joie de vivre, et à leur arrivée, ils embrassaient tout le monde…

Une cérémonie organisée par le maire

famille heureuseJamais l’existence de « deux pères » n’a soulevé de questions parmi les enfants. Les trois nouveaux arrivants, eux-mêmes, l’évoquent rarement. Un jour, l’aîné a hésité devant sa copie. Il fallait se présenter en quelques mots. Maurilho a demandé à sa maîtresse s’il devait écrire « j’ai deux papas » ou « j’ai deux parents ». « Les deux sont vrais, donc tu fais comme tu veux », lui a-t-elle répondu.

Le village lui aussi a fait bon accueil à la famille. Le maire, un agriculteur, a même organisé une cérémonie d’accueil, pour leur offrir à chacun une peluche et un paquet de bonbons.

C’est par la directrice de l’école, que je connais depuis très longtemps, que j’ai eu vent de cette histoire heureuse. David et Yann, que j’ai alors contactés, ont accepté de me laisser passer une journée et demi avec eux, dans leur maison : une ancienne ferme, sur laquelle veille, dans sa corniche au-dessus de la porte, une vierge à l’enfant.

« Venez, mais vous risquez de vous ennuyer »

Ils m’ont juste demandé de ne mentionner que leurs prénoms. Ils ne sont pas militants et ne tiennent pas à être exposés médiatiquement. Mais dans le contexte actuel, ils sont contents de montrer, concrètement, qu’une famille à deux pères n’a rien d’extraordinaire. Ils m’ont d’ailleurs prévenu :

« Venez, mais vous risquez de vous ennuyer. Notre vie est vraiment très normale. »

J’ai vu des parents aller chercher leurs enfant à l’école et au collège, les emmener au foot et à la piscine, jouer au Uno ou au Jungle speed avec eux autour du sapin de Noël, les gronder pour un gros mot, rire de leurs mimiques, les câliner, les aider à faire leurs devoirs, leur demander de fermer la porte du poulailler, regarder au tableau des tâches ménagères quel est celui des trois qui est « de couvert ».

J’ai vu des villageoises faire la bise à un des papas à la sortie de l’école, un parent barbu coiffé d’une casquette de marin lui demander s’ils passeraient Noël en famille, chez la grand-mère des enfants (c’est le cas) ; une copine de classe passer à la maison pour jouer avec la cadette, Millene, à se coiffer…

Pas de méchant mot dans la boîte aux lettres

Rien que de très banal. Yann et David sont actifs dans l’association des parents d’élèves, fréquentent de temps en temps les fest-noz du mercredi soir, donnent ou reçoivent des coups de main : une famille comme les autres, bien intégrée dans son village. Les deux hommes n’y ont jamais ressenti une once d’homophobie.

« Bien sûr, je ne suis pas dans la tête des gens, mais jamais on n’a eu ici le moindre problème, on n’a rien reçu de désagréable dans notre boîte aux lettres, on n’a jamais entendu la moindre réflexion : rien », raconte Yann.

« Les gens ont vu qu’on était comme eux »

Ils se sont connus dans le Sud-Ouest, d’où ils viennent. Yann, montpellierain, est contrôleur aérien, avec des horaires variés, diurnes et nocturnes, mais aussi un emploi du temps qui lui laisse plusieurs journées de libre dans la semaine. Son compagnon, David, toulousain, est designer indépendant : il travaille à la maison.

Leur atterrissage dans ce village de 1 200 habitants remonte à 2006. Ils achètent alors cette ferme, à vendre depuis quatre ans. Le lieu, quand il était occupé, était célèbre pour son patriarche, un bonhomme haut en couleur qui tirait des coups de carabine en l’air quand il était ivre. La maison reprenant vie, des voisins passent la tête. Il faut savoir que « voisins », dans le coin, peut désigner des personnes vivant à 2 km. Yann :

« On a découvert les habitants petit à petit. On allait acheter du foin à une ferme voisine pour nos deux chevaux. Ou alors l’électricien passait pour quelque réparation. Ils nous voyaient travailler. Un jour, alors qu’on cassait un mur, un voisin qui promenait son chien nous a pris pour des ouvriers : “Eh ben ceux qui ont acheté cela, ils n’ont pas dû faire une bonne affaire”, nous a-t-il dit. On s’est présentés en riant : c’est nous, les acheteurs. »

La population aurait probablement davantage été dérangée par des Parisiens, bottes Aigle aux pieds, pensent-ils. « On est des gens simples. Les gens d’ici ont vu qu’on ne venait pas changer leurs habitudes, qu’on était comme eux. »

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