Une soixantaine de Français déportés “vraisemblablement” pour homosexualité

Une soixantaine de Français ont été recensés comme ayant été déportés dans les camps nazis “vraisemblablement” pour motif d’homosexualité (5.000 à 15.000 déportés à l’échelle de l’Europe), avait expliqué cet été à l’AFP l’historien Mickael Bertrand.

Ayant dirigé un ouvrage collectif sur le sujet, il s’exprimait à l’occasion de la mort de Rudolf Brazda, dernier survivant connu des déportés en raison de leur homosexualité par le régime nazi.

Cité par l’historien sur son blog, l’ouvrage intitulé “La déportation pour motif d’homosexualité en France: débats d’histoire et enjeux de mémoire” (éditions Mémoire active) recense 62 déportés français pour homosexualité, dont 22 arrêtés en Alsace-Moselle, 32 au sein du Reich (hors Alsace et Moselle), un dans un lieu indéterminé et sept en zone occupée. Au moins 13 ont trouvé la mort en déportation.

Q : Combien de personnes en Europe et en France ont été déportées dans les camps de concentration en raison de leur homosexualité ?

R: “A l’échelle européenne, on accepte une estimation de 5.000 à 15.000, reconnue par le mémorial de l’Holocauste de Washington. En France, on a longtemps estimé ce chiffre à plusieurs milliers mais depuis nos recherches, il y a trois ans, on recense 63 déportés vraisemblablement pour motif d’homosexualité. Mais on n’a pas la preuve réelle qu’ils ont été arrêtés en raison de leur sexualité. On travaille au cas par cas. Il y en a vraisemblablement plus mais cela se joue à quelques dizaines. Ca ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de déportés homosexuels pour d’autres motifs parce qu’ils étaient juifs, résistants…etc. On n’a aucun exemple de femme homosexuelle déportée pour ce motif en France. Il y en a quelques unes en Allemagne. Le lesbiannisme était moins visible et les nazis eux-mêmes ne le considéraient pas comme une déviance, tandis que l’homosexuel masculin gâchait à leurs yeux la semence nazie pour repeupler la race aryenne”.

Q : Les archives françaises mentionnent-elles ces déportations ?

R: “Pas vraiment. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Dans les années 20, 30, l’homosexualité était assez bien acceptée à Berlin et Paris, considérées comme des villes plutôt ouvertes sur cette question. Puis il y eut le coup de tonnerre de la fin des années 30. On en retrouve des traces, notamment une lettre d’un sénateur français se plaignant de ne plus savoir comment traiter les homosexuels dans le port de Toulon. La réaction du gouvernement à ce moment-là est de dire qu’on ne peut pas faire de fichage ni les persécuter. On les attaque mais autrement (pour attentat à la pudeur, racolage sur la voie publique, relations sexuelles avec des mineurs…)”.

Q : Les déportés dont l’homosexualité a été la cause de déportation ont-ils été indemnisés ?

R : “La sexualité est considérée dans le droit français comme quelque chose d’intouchable. Les historiens ont souvent accès à ces dossiers par dérogation. Plusieurs cas apparaissent. Jusqu’aux années 60 environ, l’homosexuel rentré des camps de concentration ne raconte pas et sinon, on ne l’écoute pas. Ensuite, certains ont fait des demandes d’indemnisation en sachant pertinemment que leur motif était leur homosexualité. L’administration française a refusé. Ensuite, ça a été le combat de Pierre Seel, décédé en 2005. C’est le seul déporté pour motif d’homosexualité qui se soit fait connaître et le seul connu à avoir été indemnisé à ce jour. Il a obtenu cette reconnaissance au début des années 90. Rudolf Brazda, que j’ai rencontré, était allemand.