Reportage : Dans le quartier de Château-Rouge, à #Paris, @Aides offre des #tests du #VIH en ciblant les #populations à #risque

«Deux ans que je ne m’étais pas fait dépister : ces camions, c’est une bonne occasion»

«Vous pouvez m’aider à répondre ? Je ne comprends rien», s’exclame en anglais Omar, un Ghanéen arrivé à Paris récemment. Il ne parle pas un mot de français, mais tient à répondre au questionnaire qu’il doit obligatoirement remplir avant de faire le test du VIH. Aujourd’hui, le dispositif mobile de dépistage de l’association de lutte contre le sida Aides s’est installé dans le secteur de Château-Rouge (XVIIIe arrondissement de Paris), à proximité du métro et d’un marché très fréquenté. Stationné dans ce quartier cosmopolite, connu pour la prostitution et le trafic d’héroïne, le camion ne paye pas de mine. Il se fond dans le paysage. «Le but est d’être discret pour garantir une certaine confidentialité à ceux qui se font tester. Et en même temps, nous venons chercher cette population qui se dépiste rarement et qui est l’une des premières concernée par la contamination», précise Antoine Henry, l’un des responsables d’Aides.

L’équipe de ce dispositif né en 2011, appelé aussi «dépistage hors les murs», assume ce ciblage. Pour ses membres, l’équation est simple : puisque les personnes les plus exposées à la contamination du VIH sont les populations migrantes, les prostituées, les toxicomanes, les homosexuels, «Aides doit aller les chercher directement».

«Piqûre d’épine». L’opération mise en place à Château-Rouge nécessite dix personnes, réparties sur deux endroits. Les uns gèrent un stand «prévention» à la sortie du métro pour informer les gens sur le sida, et les autres sont chargés d’«alpaguer les passants» pour les convaincre de se faire tester. Une tâche difficile. «Non, je n’ai pas le temps», «Je suis pressé», «Je dois aller manger», «Je repasserai peut-être après». Les passants ont leurs excuses pour ne pas entrer dans le camion mais la conséquence est la même : ils ne font pas le test. «Pour 32% des personnes que nous recevons, il s’agit du premier dépistage réalisé au cours de leur vie», précise Nicolas, militant de l’association. Pour mieux convaincre, les membres d’Aides ont rodé leur argumentaire : «Le test ne dure qu’une vingtaine de minutes et ne fait pas plus mal qu’une piqûre d’épine», lancent-ils aux passants.

Ceux qui acceptent de monter à bord commencent par «remplir un questionnaire personnalisé». Ensuite, il y a la phase «entretien pour évaluer le degré de connaissance vis-à-vis de la prévention». Enfin, arrive «LE test». L’annonce du résultat est un moment stressant redouté par la plupart des gens qui acceptent de franchir la porte du camion.

Sylvain, la vingtaine, passe deux fois devant l’équipe puis finit par rebrousser chemin. «J’avoue que j’ai hésité à me faire tester, mais je ne me sens pas prêt, j’irai un autre jour», explique-t-il avant de filer. «Certaines personnes adoptent un comportement irrationnel autour du dépistage et plus généralement du VIH. Il y a la peur d’être stigmatisé si l’on est séropositif et l’idée que l’on peut encore mourir du sida persiste dans les têtes, analyse Jean-Marie Legall, responsable des actions de recherches à Aides. Et puis cette maladie est associée à des pratiques répréhensibles liées à la culpabilité. Tout cela joue dans la réticence à aller se faire dépister.»

Debout devant le camion, Errol attend de se faire tester. Son angoisse est palpable. Chaque minute lui paraît interminable. Enfin il monte à bord. A la sortie, vingt minutes plus tard, il a retrouvé le sourire. «Tout va bien, le résultat est négatif. Même quand on se protège au maximum c’est toujours angoissant.Je ne m’étais plus fait dépister depuis deux ans. Ces camions dans la rue, c’est une bonne occasion de le faire plus souvent, et puis on apprend des choses.» Ainsi, l’équipe informe les sans-papiers de leur droit à bénéficier de l’aide médicale de l’Etat (AME), ce qu’ils ignorent souvent. Chaque personne est également informée de la possibilité de prendre un traitement d’urgence (TPE) en cas d’accident, «quand la capote craque par exemple» ou quand «on a eu un comportement sexuel à risque», précise un membre de l’équipe.

Le dispositif casse les codes habituels des centres de dépistage anonymes et gratuits. Aides ne veut pas ressembler à une institution médicale. Les membres de l’association n’ont pas de blouse blanche, ni de badge particulier et font très attention aux messages délivrés. «Nous ne voulons pas avoir le côté paternaliste du milieu médical. Nous parlons de plaisir plutôt que de risque pour savoir si la personne s’est protégée, par exemple. Et nous n’enfermons personne dans une identité. Quelqu’un qui se considère hétéro mais qui a déjà couché avec un homme ne sera pas rangé dans la catégorie bi ou gay, s’il estime ne pas l’être», souligne Nicolas. Pour lui, «le plus important, c’est de créer le dialogue, la seule garantie pour que les gens se dépistent plus souvent. Lasociété est déjà assez moralisatrice pour ne pas en rajouter».

«Déficit». Evidemment, le travail de ces militants de terrain se complique «lorsque le résultat est positif». Il faut trouver les mots et le ton pour le «dire aux gens». Un des membres a déjà annoncé trois résultats positifs depuis deux ans. La priorité est alors donnée à l’accompagnement. Les membres de l’équipe se chargent de prendre un rendez-vous chez un médecin spécialisé et accompagnent la personne à sa première visite. «Le but est que la personne rentre dans le circuit médical», explique Antoine Henry. En 2012, près de 23 000 personnes ont participé à ces dépistages mobiles. Parmi elles, 1% ont appris leur séropositivité à l’issue du test. Cinq fois plus que dans les dépistages classiques dans les laboratoires d’analyses ou les centres anonymes. Une preuve supplémentaire de l’intérêt de ces dispositifs qui ciblent les foyers à risque.

Si ces opérations sont incontestablement utiles, l’association ne sait pas si elle pourra continuer ses campagnes de terrain. Un test coûte environ 80 euros, mais les pouvoirs publics ne prennent en charge que 25 euros. «On espère que la situation va changer car pour l’instant on creuse du déficit», déplore Jean-Marie Legall. Au ministère de la Santé, on fait bien sût l’éloge de ce type d’action… mais sans pour autant annoncer de nouveaux crédits.

David PERROTIN (liberation.fr)