Evoquer l’homosexualité dès le primaire pour casser très tôt les stéréotypes

Sale pédé” est une insulte souvent lancée dans les cours de récré de primaire, pourtant les enseignants osent rarement aborder la question de l’homosexualité; une situation qu’il convient d’inverser pour combattre les discriminations, estiment des experts et des enseignants précurseurs.

Réunis jeudi, en amont de la journée mondiale contre l’homophobie, pour un colloque organisé par le SNUipp (syndicat du primaire), tous jugent “nécessaire d’agir tôt pour combattre les représentations et les comportements discriminatoires et pour que ne se figent pas dans les esprits les convictions de hiérarchie des êtres et des sexualités”.

Et ce, d’autant plus qu’avec le long débat autour du mariage pour tous, le sujet de l’homosexualité est souvent revenu dans les cours d’école. En 2012, le nombre de témoignages d’agressions ou d’insultes en milieu scolaire est en hausse de 37% par rapport à l’an passé, d’après le rapport annuel de l’association SOS Homophobie publié mardi.

“Cette année, nous avons beaucoup entendu les élèves évoquer entre eux la question de l’homosexualité, souvent à travers des insultes mais aussi car cela générait beaucoup d’interrogations. Mais pour beaucoup d’enseignants, qui sont mal à l’aise pour évoquer les thématiques liées à la sexualité, cette question est complexe à gérer”, explique Christine, professeur des écoles dans les Hauts-de-Seine.

Les professeurs des écoles ne sont pas formés, dénonce Nathalie Mestre présidente des Enfants d’Arc-en-ciel, une association de familles homoparentales, elle-même enseignante. “Depuis quelques mois, nous avons davantage de témoignages d’enfants d’homos qui ont été visés par propos discriminants de la part de leurs camarades”, regrette-t-elle. Elle évoque une petite fille de maternelle qui s’est entendu dire “Tu as deux mamans, ce n’est pas normal! On va les tuer!”.

Parents affolés

Pour Emmanuelle Schaumann, enseignante à Villejuif (Val-de-Marne), la difficulté vient aussi du regard des parents. “Quant au début de l’année, j’ai expliqué que nous allions travailler sur ce thème, j’ai eu des réactions très négatives et affolées de pères ou de mères. L’une d’elles m’a même affirmé “Mais si vous parlez de ça à mon fils alors il va devenir homo, c’est terrible”.

Pourtant, les enseignants qui choisissent d’évoquer cette question estiment que les échanges sont toujours intéressants et que les élèves sont en demande. En primaire, les ateliers imaginés s’appuient sur une littérature jeunesse ou des films d’animation qui abordent la question de la différence sexuelle mais aussi des familles homoparentales.

“Comme le pratiquent les pays nordiques, la déconstruction des assignations sexuées, voire sexistes, repose sur l’organisation d’ateliers d’expression des émotions, d’expression de la force, du bricolage autant pour les garçons que pour les filles”, estime Réjane Sénac, chercheure au CNRS.

Le point de départ est souvent de discuter “de ce qu’est un homme et de ce qu’est une femme” et de “déconstruire les stéréotypes”, explique Dominique Sage, autre professeure des écoles.

Sexisme et homophobie sont présents à l’école et il existe un rapport extrêmement étroit entre les deux”, renchérit Nicole Mosconi, professeure émérite en sciences de l’éducation. “L’assimilation des gays aux femmes donne le droit de les mépriser comme on méprise les femmes et on en veut aux lesbiennes de ne pas se soumettre aux devoirs de leur sexe”, ajoute-t-elle.

Et comme le rappelle le psychiatre Serge Héfez, “les insultes, la mise à l’écart, les violences génèrent une honte ancrée pour la vie”. “Comment construire son identité quand, au moment de cultiver une certaine estime de soi, une fierté d’être soi, on apprend la dissimulation, le rejet de soi-même, l’intériorisation d’une certaine honte de soi?”