Quand des juristes font le scénario de l’abrogation de la loi Taubira

Un débat qui fait rage à droite avant les élections à la tête de l’UMP.

>> Au cœur du débat, la question cruciale de la rupture d’égalité des droits entre les couples qui resteraient mariés et ceux qui ne pourraient pas s’unir.

Abroger la loi Taubira ou pas: le débat fait rage à droite avant les élections à la tête de l’UMP. Si Hervé Mariton ou Laurent Wauquiez défendent l’option de l’abrogation, Nicolas Sarkozy a préféré entretenir le flou lors de son interview sur France 2. «Vous me dites il faut répondre comme ça, là, oui ou non? On est à l’école?» a-t-il protesté à la question qui lui était posée sur un éventuel retour sur le mariage pour tous.

Il faut dire que la réponse est loin d’être simple. Si personne ne suggère de «démarier» des couples de personnes de même sexe ni de «désadopter» des enfants, un retour sur la loi Taubira créerait une inégalité de statut entre les couples de personnes de même sexe qui ont pu se dire «oui» devant le maire et ceux qui ne le pourront plus. Ce double régime peut-il coexister? Comment gérer cette rupture d’égalité entre les couples de personnes de même sexe mariés et ayant adoptés des enfants et les homosexuels qui n’auraient plus accès à ces droits?

Ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire

«C’est la question fondamentale que pose l’abrogation, souligne le professeur de droit public Guillaume Drago, spécialiste du contentieux constitutionnel. D’un point de vue constitutionnel, l’abrogation est tout à fait possible. Ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire même si certains politiques jugent l’exercice périlleux du point de vue sociologique. Le conseil constitutionnel n’a pas inscrit le mariage pour tous dans le marbre».

La question de l’inégalité des droits se pose fréquemment quand la législation évolue et que les régimes «s’empilent». «La polygamie a été abolie à Mayotte lors de sa transformation en département en 2011, donne en exemple Guillaume Drago. Mais les polygames n’ont pas été démariés et les deux régimes de mariage coexistent».
En Californie, la législation sur le mariage gay a changé plusieurs fois

Autre exemple avec le divorce, instauré en 1792 et supprimé par la loi Bonald de 1816 jusqu’au rétablissement du divorce en 1884. «La loi Bonald n’a pas eu d’effets rétroactifs, les divorcés n’ont pas été remariés», souligne Geoffroy de Vries, avocat du collectif des Maires pour l’enfance. En Californie, la législation sur le mariage gay a changé plusieurs fois et les unions entre personnes de même sexe ont été suspendues pendant cinq ans. Après une longue bataille judiciaire, ces dernières ont fini par redevenir légales.
Autre obstacle, la jurisprudence «du cliquet»

Autre obstacle signalé, notamment par le constitutionnaliste Guy Carcassonne (décédé en mai 2013), celui de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dite du cliquet. Selon cette dernière, un État ne peut pas faire marche arrière en matière de liberté acquise. Pour l’éviter, le député UMP Hervé Mariton, candidat à la tête du parti, propose de soumettre l’abrogation au référendum.

Pour la CEDH, les personnes bénéficient d’un statut identique doivent bénéficier des mêmes droits

Si le mariage pour tous pourrait en théorie être détricoté sur le plan juridique, l’argument massue de ceux qui jugent son abrogation impossible tient en quatre lettres: CEDH. En effet, les personnes de même sexe auraient toutes leur chances de faire condamner la France par la cour européenne des droits de l’Homme sur le fondement de l’égalité.

Dans une France «post-abrogation», pour mener cette bataille, les couples homosexuels désireux de s’unir pourraient saisir un tribunal administratif du refus d’une mairie de les marier. Ils pourraient ensuite espérer faire remonter l’affaire jusqu’au conseil d’Etat pour pouvoir, in fine, saisir la CEDH.

Pour la CEDH, les personnes bénéficiant d’un statut identique doivent bénéficier des mêmes droits. «Il faudrait donc donner aux couples de personnes de même sexe un statut proche de celui du mariage mais différent afin d’éviter d’être condamné pour discrimination, imagine Geoffroy de Vries. Autrement dit, inventer une union avec les principaux droits du mariage (succession, pension de réversion…) sans l’adoption».

Dernière solution, plus radicale, pour éviter «le couperet» de la CEDH: «reconsidérer la participation de la France à la Convention européenne des droits de l’homme, le traité signé par les États membres du Conseil de l’Europe», avance Geoffroy de Vries. Les partisans du retour sur la loi Taubira commencent à s’interroger sur la possibilité d’une sortie provisoire de la France de la Convention. De quoi compliquer un peu plus l’exercice politique de l’abrogation déjà jugé très délicat…

Agnès Leclair
lefigaro.fr