Pour la première fois en France, deux pavés de mémoire rendent hommage à un couple homosexuel persécuté par les nazis

Deux « pavés de mémoire », appelés Stolpersteine en allemand, ont été posés ce 16 mai 2025 à Strasbourg en hommage à Josef Martus et Eugène Eggermann, un couple franco-allemand victime du régime nazi en raison de leur orientation sexuelle. Arrêtés en 1942, Josef fut exécuté, Eugène déporté. Leurs noms sont désormais gravés dans la pierre, au 19 rue des Grandes-Arcades, leur dernier domicile commun.

Un amour interdit en temps de terreur

Josef Martus, policier allemand et membre du parti nazi, rencontre Eugène Eggermann, comptable alsacien, dans un bar strasbourgeois en 1940. Malgré les dangers, ils entament une relation amoureuse et s’installent ensemble en 1941. Josef, pourtant marié et père, quitte progressivement le foyer conjugal pour vivre avec Eugène.

En mars 1942, leur liaison est dénoncée par l’épouse de Josef. Arrêtés, les deux hommes tentent de fuir : Josef parvient un temps à libérer Eugène, mais ils sont rapidement repris. Josef est condamné à mort par un tribunal SS et fusillé à Stuttgart en août 1942. Eugène est interné au camp de rééducation de Schirmeck. Il en sortira vivant, mais profondément marqué. Il décède en 2003.

Une répression longtemps passée sous silence

Entre 1933 et 1945, environ 50 000 personnes furent condamnées pour homosexualité en Allemagne nazie, dont jusqu’à 15 000 déportées en camp de concentration. À Strasbourg, au moins 54 personnes furent poursuivies à partir de 1942 en vertu du paragraphe 175 du Code pénal allemand, criminalisant les relations homosexuelles masculines. Une législation restée en vigueur bien après la guerre.

Après 1945, les persécutions homophobes sont restées dans l’angle mort des mémoires officielles. Il faudra attendre 1982 pour que le droit français établisse enfin une égalité de traitement entre homosexualité et hétérosexualité.

Faire mémoire pour réparer l’oubli

La pose des pavés, en présence de lycéens et de représentants des villes jumelées de Strasbourg et Stuttgart, s’inscrit dans une démarche portée par la Ville et l’association Stolpersteine 67. Plus d’une centaine de pavés ont déjà été posés à Strasbourg depuis 2019, mais c’est la première fois que l’hommage concerne des victimes de la répression homophobe.

Pour Frédéric Stroh, historien à l’Université de Strasbourg, ces gestes sont essentiels pour réparer « l’oubli persistant » qui entoure les persécutions des personnes homosexuelles sous le IIIe Reich.

Ce 17 mai également, à l’occasion de la Journée internationale contre la LGBT+phobie, Paris a inauguré le premier mémorial national en hommage aux victimes homosexuelles de la déportation. Situé dans les jardins du port de l’Arsenal, près de Bastille, ce monument a été conçu par l’artiste Jean-Luc Verna, en collaboration avec l’association Les Oublié·es de la Mémoire.

La reconnaissance progresse aussi sur le plan législatif. Un projet de loi visant à réparer les condamnations pour homosexualité prononcées en France entre 1945 et 1982 est actuellement en discussion. Voté à l’unanimité par le Sénat le 6 mai, le texte a toutefois été amputé de son volet d’indemnisation, et doit donc revenir à l’Assemblée nationale. Une étape de plus dans la construction d’une mémoire longtemps occultée, une mémoire vivante, en mouvement, qui reste un levier essentiel pour combattre les discriminations toujours présentes.