« Les Garçons et Guillaume, à table ! » : « J’étais le seul à pouvoir jouer ma mère »

Il s’appelle Guillaume et vit dans une grande demeure bourgeoise. Gamin puis adolescent, il avance cahin-caha dans son existence en faisant mine d’ignorer le machin qui l’encombre entre ses jambes. Incroyable, mais vrai : Guillaume est convaincu d’être une fille et il est convaincu itou que son destin d’adulte sera d’aimer les hommes.

Ses deux frères, qui ne jurent que par les codes virils, se foutent de lui et de ses allures de « tapette ». Son père fait semblant de ne rien voir et fait semblant d’y arriver. Et sa mère ? Sa mère, excentrique et pourvue d’un ego surdimensionné, chérit son fils « pas comme les autres » et, sans forcément s’en apercevoir, entretient la confusion des genres dans laquelle Guillaume se débat.

Attention : événement. Dans « Les Garçons et Guillaume, à table ! », Guillaume Gallienne reprend la trame autobiographique de son spectacle à succès et signe un film ultrasingulier (sur le fond comme sur la forme) qui s’impose comme l’un des plus convaincants de l’année 2013. Le passage de la scène au grand écran : l’éclectique Guillaume Gallienne s’explique :

« J’ai toujours voulu que “Les Garçons et Guillaume, à table !” soit un film, mais j’ai d’abord eu l’opportunité de monter un spectacle et j’en ai profité.

Aujourd’hui, j’en suis convaincu : le film parle mieux de mon sujet. Ce dernier n’est pas seulement moi, mais plus profondément l’identité.

Sur scène, j’étais seul, je jouais tout le monde et cela me frustrait. Le film, grâce à la présence des autres, me permet d’évoquer plus subtilement mes thèmes. Et surtout, surtout, j’y défends mieux ma mère… »

Maman superstar

Sa mère, son obsession : LE personnage qui, face au jeune héros dans tous ses états, occupe l’écran et ses esprits. Pour incarner celle qui fut si importante dans sa vie (euphémisme), Guillaume Gallienne n’a pas choisi n’importe qui, mais s’est choisi… lui-même. Le réalisateur se retrouve ainsi doublement acteur, puisque, non content d’interpréter Guillaume, il joue aussi sa génitrice, le look ultraféminin, les cheveux longs, les talons hauts et le verbe éloquent. Un travestissement aussi cocasse qu’existentiel. Il raconte :

« J’étais le seul à pouvoir jouer ma mère. Je connais mieux que quiconque sa violence, mais aussi sa pudeur. Au tout départ, je pensais confier le rôle à une actrice, mais je lui aurais indiqué de façon si directive comment la jouer que cela aurait été insupportable pour elle. Du coup, l’idée de l’incarner moi-même s’est rapidement imposée. Il s’agissait pour moi de mieux la défendre… »

Il poursuit :

« Interpréter simultanément mon propre cas et celui de ma mère relève de l’évidence. Primo, j’illustre ainsi concrètement la confusion schizophrène de ma jeunesse. Secundo, je montre que je n’ai toujours pas réglé mon problème puisque aujourd’hui, à 41 ans, j’éprouve encore le besoin de jouer maman ! De toute façon, je ne crois pas que l’on règle ses problèmes. Au mieux on apprend à les apprivoiser, à ne plus les subir et à les poétiser. »

Question inévitable : madame Gallienne a-t-elle vu « Les Garçons et Guillaume, à table ! » ? Et comment a-t-elle réagi ? Gallienne fils répond, sans faux semblants.

« Ma mère a bien sûr vu le film, comme elle avait vu le spectacle auparavant. Elle m’a dit “ c’est mieux que la pièce, c’est bien foutu ”. Les dossiers, on les connaît tous les deux, on en a beaucoup parlé et elle n’a pas été surprise. Elle avait finalement plus peur pour moi que pour elle. Elle redoutait que je tende un bâton pour me faire battre à nouveau. »

Rire, mais pas que

Peut-on rire de soi en filmant ses douleurs les plus intimes ? Peut-on trousser une fiction délirante sur son identité sexuelle en lambeaux ? Oui, dix fois oui, répond le cinéaste qui entraîne dans une comédie où, d’un épisode espagnol où plane l’ombre d’Almodovar à un final inattendu où Guillaume se réconcilie avec Gallienne, chaque scène séduit et surprend. Comédie ? Oui, mais pas seulement.

« Dans les avant-premières, je suis très surpris que les spectateurs rient à ce point. Je ne m’y attendais pas. Parfois, ces rires ne sont pas clairs. Intéressants mais pas clairs, comme s’il y avait une défense par rapport à certains enjeux du film. Je sais que “Guillaume et les garçons, à table !” est drôle, mais le fond de l’affaire, lui, ne l’est pas puisque le film évoque l’identité sexuelle et l’identité tout court. »

Du divan à l’écran

Depuis sa présentation triomphale au dernier festival de Cannes (Quinzaine des réalisateurs), « Les Garçons et Guillaume, à table ! » fait beaucoup parler de lui. Gallienne le sait, apprécie et s’en amuse.

Et si son film, hasard du calendrier, s’est retrouvé en mai dernier le contemporain des manifestations pro et anti « mariage pour tous », le cinéaste se refuse à toute forme de généralités. En racontant son itinéraire personnel agité, Guillaume Gallienne poursuit en images un travail introspectif de longue haleine, mené sur le divan. Il s’explique :

« La psychanalyse m’a beaucoup appris et m’a sauvé la vie. Sans elle, je me serais probablement jeté par la fenêtre. L’analyse m’a appris à ne plus essayer de rectifier un malheur en m’en rajoutant un autre, à ne plus soigner le mal par le mal. Vous connaissez la phrase : “J’ai fait dix ans de psychanalyse car je faisais pipi au lit. Maintenant, je continue, mais je m’en fous.” Je n’aime pas l’idée de s’en foutre, mais je retiens l’idée d’arrêter de se faire systématiquement souffrir au même endroit. Maintenant, je sais localiser mon problème. »

L’après Guillaume

Après le spectacle et son succès, après le film et son probable triomphe, Guillaume Gallienne s’apprête, sur le terrain artistique, à passer (enfin) à autre chose. Suractif, il enchaîne les prestations d’acteur au théâtre et au cinéma (on le retrouvera en janvier dans le « Yves Saint-Laurent », de Jalil Lespert où il incarne Pierre Bergé) et il écrit d’ores et déjà son second film en tant que réalisateur.

« Je ne pense pas évoquer de nouveau ma vie après “Les Garçons et Guillaume, à table !”. Et une chose est sûre : je ne serai pas le sujet de mon prochain film. Je ne sais même pas s’il y aura un rôle pour moi. Pour l’instant, je n’écris pas en ce sens. »

Il conclut :

« Je fais beaucoup de choses : mes propres films, mon émission hebdomadaire sur France Inter [ “Ça peut pas faire de mal”, ndlr], mes rôles au cinéma et à la Comédie-Française… Je n’ai pas l’impression de me disperser, car il s’agit toujours de la même chose : raconter des histoires, mais, quantitativement, oui, c’est trop. Il va me falloir faire des choix. Tout en me méfiant car je peux sombrer facilement dans l’ivresse de la mélancolie quand je ne fais rien… »

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Olivier De Bruyn | Journaliste
http://www.rue89.com/rue89-culture/2013/11/17/les-garcons-guillaume-a-table-jetais-seul-a-pouvoir-jouer-mere-247543