Frigide Barjot, la manif non-stop

Les journées de Frigide Barjot se suivent et se ressemblent. Elles se composent d’une longue cohorte d’interviews, auxquelles l’égérie de la Manif pour tous se donne, sans barguigner, tout au long de l’examen du projet de loi sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, qui s’est achevé ce venredi 12 dernier par le vote du texte.

Huit jours plus tôt, blouson rose, longues bottes noires, Frigide Barjot tient conférence de presse dans le froid, devant le palais de justice de Paris. Elle avait prévu de l’organiser dans le café des Deux Palais, mais il n’a pas de salle assez grande pour accueillir tout le monde. C’est toujours comme ça avec «La manif pour tous» : l’improvisation règne.

Dans quelques minutes, une procédure en référé pour diffamation aura lieu contre le sénateur Jean-Pierre Michel. Ce dernier a accusé Frigide et ses troupes de «représenter la pire des homophobies». «C’est indigne d’un homme qui fait partie de l’appareil d’Etat» rétorque Ludovine de la Rochère, bras droit de Frigide. «Il a refusé de nous recevoir pour écouter nos arguments» (…) Frigide Barjot met sa main sur son épaule pour l’arrêter. Le délibéré sera rendu le 18 avril.

«Le gouvernement ne veut pas nous écouter»

Frigide Barjot résume pour les caméras : «Il faut que la justice passe. Quand elle aura dit le droit, nous reprendrons ce dialogue : il faut suspendre cette loi.» Elle regrette le manque d’attention du gouvernement pour son mouvement. «Le gouvernement ne veut pas nous écouter, il ne veut pas nous entendre, pour eux, on n’existe pas.»

Plus tard dans le café, Ludovine de la Rochère évoquera les dangers de la «radicalisation» de certains manifestants, un terme qui n’est pas «adapté» selon elle. «C’est notre détermination qui augmente», explique-t-elle.

La discussion roule sur les échaufourrées qui ont émaillé la manifestation du 24 mars. Six personnes ont été placées en garde à vue. Une seule passera devant le tribunal correctionnel le 23 mai. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, avait parlé entre autres du Gud, du Renouveau français et des Jeunesses nationalistes qui auraient fait le coup de poing le 24 mars. Sur son site, le Renouveau français «félicite ses dizaines de jeunes qui ont su courageusement résister et faire face à la violence pendant plusieurs heures en première ligne. Il présente ses vœux de rétablissement aux blessés». Commentaire de Ludovine de la Rochère: «Ces groupuscules profitent du succès populaire de la Manif pour tous pour se faire voir. On ne peut pas les filtrer.»

«La façon de faire du Printemps français, ce ne sont pas nos méthodes»

Derrière ces propos, un fossé se creuse. Celui d’une dissension entre les troupes de la «Manif pour tous» et le «Printemps français». Béatrice Bourges, «ancienne» organisatrice de la Manif pour tous, a rejoint ce groupe plus radical, qui programme des actions plus musclées, comme le réveil de ministres, l’invasion de réunions de la LGBT, en utilisant les affiches de la Manif pour tous. Frigide Barjot a annoncé son intention de porter plainte contre eux. «Ils mènent des actions coups de poing qui sortent du cadre de la loi. Si tu représentes le Printemps français, tu ne peux pas aussi représenter la Manif pour tous», concède Ludovine de la Rochère. Et Frigide d’ajouter : «Béatrice Bourges est partie faire autre chose, c’est sa liberté. Les portes sont ouvertes dans les deux sens. La façon de faire du Printemps français, ce ne sont pas nos méthodes.»

Ce qui apparaît, c’est que plus on met des bâtons dans les roues des organisateurs de la Manif pour tous, plus ils se sentent renforcés. «On ne cherche pas à ce qu’on nous tape dessus, mais parfois, cela joue en notre faveur» explique Albéric Dumont, responsable de la sécurité à la Manif pour tous. Ainsi des 700 000 pétitions pas prises en compte par le Conseil économique et social (CESE), ainsi du refus d’aller manifester sur les Champs Elysées, ainsi -enfin- du comptage controversé de la journée du 24 mars (340 000 selon la police, 1,4 million selon les organisateurs). «On vit dans le mensonge et dans le déni, commente Frigide Barjot. Si un ministre peut mentir (allusion à Jérôme Cahuzac, ndlr), un préfet aussi».

«Etonnée du lyrisme de Taubira»

Avant le début de l’examen du texte au Sénat, Frigide Barjot voulait croire à un vote serré : «170 voix pour et 168 contre». Au premier jour de l’examen, elle restera une heure dans l’hémicycle, avant de ressortir «frappée que les rangs de la gauche soient ainsi clairsemés, étonnée du lyrisme de Taubira». Puis de relancer une conférence de presse devant des caméras qui se poussent du coude, devant le Luxembourg. Les pancartes «Sénateur, c’est ton heure», ou «en Bretagne, on a Quimper et qu’une mère», des drapeaux bleu-blanc-rouge, et des sifflets, beaucoup de sifflets. Frigide Barjot s’exprime : «Nous pensons que le Sénat pourrait bien rejeter ce projet de loi», espérait-elle alors.

Jeudi soir encore, alors que le Sénat achevait l’examen du texte, Frigide Barjot rassemblait une nouvelle fois des opposants à proximité de la Haute assemblée. Pour évoquer les actions futures. Elle a déjà appelé à une nouvelle manifestation nationale le 26 mai.