Egalité pour tous : L’abolition de la référence au père et à la mère n’entrave pas le modèle familial traditionnel

Je dois vous avouer que j’ai accueilli avec circonspection la décision de la CSDM de remplacer les mots «père» et «mère» par le mot «parents».

D’une part, je me suis réjouie pour mes amies mères lesbiennes qui n’auront plus à rayer le mot «père» pour inscrire leur nom sur la ligne pas vraiment prévue à cet effet. Ça m’a confirmé une fois de plus que le Québec accepte et reconnaît la validité d’un modèle familial auquel j’aspire éventuellement. Ça m’a rappelé les nombreuses fois où, enfant, j’ai dû inscrire «nil» – comme ma mère me l’avait montré – à la ligne «père» des formulaires administratifs, soulignant chaque fois l’absence de quelque chose, une différence que j’ai appris à estimer comme une force avec le temps. J’ai donc considéré l’affaire comme une grande avancée.

Puis, j’ai redouté le ressac. J’ai craint qu’en cette période où il est de bon ton de «mettre ses culottes», de trouver que les «accommodements vont trop loin», certains animateurs de radio poubelle vomissent en ondes leur incompréhension d’une nouvelle  que le gouvernement reconnaît pourtant depuis 2002.

La critique est plutôt arrivée recouverte d’un vernis intellectuel et coiffée d’une définition caricaturale des théories du genre, au Journal de Montréal, sous la plume de Mathieu Bock-Côté. Aussi attendu que cela puisse paraître, oui, ça m’a fâchée.

Ce qui m’a le plus fâché, ce n’est pas qu’un jeune conservateur s’inquiète de voir nos repères traditionnels s’estomper. C’est son droit, et c’est tout aussi attendu. Ce qui m’agace, plutôt, c’est l’habileté avec laquelle Mathieu Bock-Côté, tout en naviguant dans les limites raisonnables des paramètres propres à la rectitude politique québécoise, conduit tranquillement le discours vers une légitimation d’une certaine colère hétéro envers des demandes de parents homosexuels qui seraient exagérées. On vous tolère, mais surtout, n’ambitionnez pas.

Mathieu Bock-Côté sait pertinemment qu’en 2013, le mariage homosexuel est un concept accepté qu’il serait malvenu de remettre en question. Pourtant, sa critique de la «théorie du genre» (pour ceux qui sont peu familiers avec l’affaire, je vous suggère la lecture de ceci, ou cette version plus ludique) est la même que celle qui était employée à grands renforts cet été dans les Manifs pour tous en France, ces manifs qui visaient à contrer le projet de loi autorisant le mariage pour tous. Évidemment, les manifestants n’étaient pas homophobes, ils n’avaient rien contre les homosexuels, seulement, leur slogan, parfois accompagné d’une danse, était «Un papa, une maman».

Je ne crois pas que Mathieu Bock-Côté soit homophobe. C’est un gentil garçon bien de son temps. Sa chronique, clairement, ne l’est pas. On pourrait même croire qu’elle se veut constructive, puisqu’il la termine avec ce conseil bienveillant envers la communauté LGBT : «l’abolition de la référence au père et à la mère ne devrait pas entrer dans le programme de la lutte à l’homophobie».

J’éprouve moi-même un malaise envers une sorte de chasse aux sorcières de l’hétéronormativité qui a poussé récemment un journaliste à piéger demander au président d’une compagnie de pâtes pourquoi ses publicités ne mettaient pas en vedette des familles homoparentales. Bien que leur nombre croisse, les familles homoparentales constituent encore et constitueront probablement toujours une minorité, et je ne m’attends pas à ce qu’elles dictent les stratégies marketing des entreprises, de la même façon que je ne m’attends pas à ce que les publicités reflètent la réalité des familles métissées, des personnes de petite taille ou des unijambistes. Choisissons nos combats.

Par contre, Mathieu Bock-Côté alimente une peur infondée que les concepts de père et de mère disparaissent lorsqu’il dit que «la théorie du genre […] cherche à abolir dans tous les rapports sociaux la différence sexuelle, jusqu’à en censurer ou effacer les traces dans le langage». Come on, Mathieu, ait un peu plus confiance que ça envers le modèle familial traditionnel. Il est bien loin de disparaître.

Et lorsqu’il écrit : «On voit ici que la lutte contre les discriminations peut elle aussi déraper lorsqu’elle entend reconstruire toutes les institutions et les références culturelles sans discernement au nom du “droit à l’égalité”», je me demande à quoi sert une telle campagne de peur…

Mais surtout, la décision de la CSDM n’a rien à voir avec quelle que théorie du genre que ce soit. La raison invoquée : «ça rejoint un des objectifs du Plan d’action gouvernemental de lutte contre l’homophobie». Dans ce plan, on définit l’hétérosexisme ainsi : «affirmation de l’hétérosexualité comme norme sociale ou comme étant supérieure aux autres orientations sexuelles; pratiques sociales qui occultent la diversité des orientations et des identités sexuelles dans les représentations courantes, dans les relations et les institutions sociales, entre autres en tenant pour acquis que tout le monde est hétérosexuel».

Ainsi, l’ajustement fait au formulaire de la CSDM correspond parfaitement au genre d’accommodement qui, ne mettant l’identité de personne en danger, soulage des familles d’avoir à raturer et ainsi à souligner continuellement leur différence. Ce changement mineur corrige une présomption qui n’est plus pertinente en 2013. Si on veut caricaturer, c’est comme s’il avait toujours été écrit «parent blanc» et «mère blanche» sur les formulaires, et que là, on enlevait une couche d’information. Ne m’écrivez pas tous en même temps pour me dire qu’on n’aurait JAMAIS fait ça, c’est une image.

Ceux qui émettent certaines réserves quant à ce changement ne font donc pas preuve d’homophobie passive, comme le craint Mathieu Bock-Côté, mais peut-être d’une certaine forme d’hétérosexisme tout à fait compréhensible, compte tenu du poids des années durant lesquelles l’hétérosexualité a été considérée comme étant la norme. Je peux comprendre que ce changement en ébranle certains pour qui la famille traditionnelle constitue le fondement de l’ordre du monde.

Personnellement, ce qui m’inquiète, c’est qu’on a compris récemment à quel point il était facile d’alimenter la peur de l’Autre en misant sur une paranoïa identitaire, en faisant croire à la majorité que sa réalité est menacée par un surplus de tolérance qui serait imperméable au «gros bon sens». Conjuguez à cela un mépris ambiant des droits fondamentaux et nous avons une formule gagnante pour perdre les acquis chèrement gagnés par la communauté LGBT sous la pression populaire. Je me demande ce que nos amis du courant homonationaliste en pensent…

C’est peut-être le fait d’avoir grandi dans un matriarcat radical – et d’avoir eu à écrire «nil» sur la ligne du père – qui me fait voir les choses autrement. Chose certaine, il n’y a pas un aménagement administratif qui empêchera une mère de se sentir mère, et un père de se sentir père, simplement parce qu’on les considère avant tout comme des «parents».

Par Judith Lussier
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