VIDÉOS. Anniversaire de la disparition de la pétulante diva libanaise Sabah, icône gay au Moyen-Orient

La très célèbre actrice et cantatrice libanaise, adulée dans tout le monde arabe, est décédée à Beyrouth dans la nuit du 25 au 26 novembre 2014, à l’âge de 87 ans.

Le Daily Star, un quotidien anglophone libanais, a saisi en une phrase l’empreinte indélébile que la diva aux trois mille chansons, quatre-vingts trois films et neufs maris a laissée sur ses compatriotes :

« Dans la mémoire collective libanaise, il y a très peu de moments de joie partagé, Sabah a été responsable de plusieurs d’entre eux ».Née le 10 novembre 1927, dans une famille modeste, à Bdadoun, un petit village de la montagne chrétienne, à l’est de Beyrouth, Jeannette Feghali de son vrai nom monte sur la scène dès les années 40. Sa hardiesse et sa bonne humeur, qui compensent son manque de technique, tapent dans l’oeil des producteurs et du public. Sous le sobriquet de Sabah – qui signifie matin, en arabe, elle interprète des airs traditionnels libanais, avant d’attirer l’attention des grands compositeurs de l’époque, comme les Frères libanais Rahbani et les Egyptiens Baligh Hamdi et Mohamed Abdel Wahab.

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La chanteuse Sabah

Avec sa voix expressive, sa capacité à fixer une note pendant plus d’une minute, elle devient l’une des reines du mawal, un genre de récitation, très prisé au Proche-Orient. Dans les années 60, les comédies musicales que les Rahbani écrivent pour elle, font les riches heures du festival de Baalbeck. Plébiscitée par la diaspora arabe, elle se produit dans les plus grandes salles occidentales, comme l’Olympia à Paris, l’Albert Hall de Londres et l’Opéra de Sidney. Avec sa garde-robe pleine de frou-frous et de paillettes, sa cascade de boucles blond vénitien et sa vie privée que l’on devine très vite tumultueuse, Sabah s’invente un style à elle, coquine et coquette.

Elle mène parallèlement une carrière remarquée au cinéma. Dans les studios du Caire, la plaque tournante du septième art arabe, elle tourne aux côtés des idoles masculines de l’époque, Abdel Halim Hafez et Farid Chawki et surtout Rouchdi Abaza, le bourreau des coeurs de l’Egypte nassérienne. Ce dernier sera l’un de ses nombreux et éphémères époux.

« La plupart de mes mariages ont duré cinq ans. Au bout de la cinquième année, je deviens folle ! Ces hommes ont tous voulu gérer ma vie et ma carrière. En contrepartie, ils ne m’offraient rien », a-t-elle déclaré à L’Orient-Le Jour, le quotidien francophone libanais. L’une des multiples légendes qui court sur son union avec Rouchdi Abaza veut même qu’ils ne soient restés mariés que trois jours, le temps que Sabah découvre que son mari n’avait pas répudié sa précédente épouse, la danseuse Samia Gamal.

Légère et piquante, la saga Sabah, relatée jour après jour par les gazettes, contribue à « décoincer » la société libanaise des années 70 et 80. Autant Feyrouz, l’autre étoile de la scène libanaise, est solennelle, majestueuse, autant celle que l’on surnomme Chahroura (merle chanteur) ou Sabouha (diminutif de Sabah) est instinctive, effrontée. Une « Barbarella levantine », écrit L’Orient-Le Jour.

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Connue pour avoir son soutien à la communauté homosexuelle, dans une région où la question reste tabou, elle n’a jamais renié ses opinions. Son ami le transformiste Bassem Feghali lui avait d’ailleurs plusieurs fois rendu hommage :

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L’âge venant, Sabah ne renonce pas à son indépendance d’esprit et à sa vitalité. Elle continue à animer des émissions de télévision, notamment la version libanaise de la Star Academy. Insensible au qu’en dira-t-on, la fringante septuagénaire, à la silhouette de jeune fille inchangée, s’affiche au bras de beaux jeunes hommes et multiplie les opérations de chirurgie esthétique. Ses soupirants la baptisent « Madame La Banque », en hommage à sa prodigalité, dont elle fait bénéficier son village natal. Elle passe les dernières années de sa vie à l’écart des projecteurs, dans un hôtel des hauteurs de Beyrouth. En vieille dame indigne, sans remords ni regrets. « J’ai été très courageuse dans ma vie, racontait-elle à L’Orient-Le Jour.J’ai tout décidé moi-même et je n’en ait fait qu’à ma tête. On ne vit qu’une seule fois ».

Elle a donné tellement d’amour à son public, qu’il le lui a rendu au centuple, transformant ses funérailles en une véritable fête. Une fête comme elle l’avait rêvée, avec feux d’artifice, chansons…

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avec Benjamin Barthe (Beyrouth)