Comment vivre son asexualité dans un monde hétéronormatif ?

>> Being Asexual In A Heteronormative World

L’hétéronormativité part du principe que, dans notre culture, l’hétérosexualité est la norme et que tout individu qui en dévie – parce qu’il est homosexuel, asexuel, etc. – est mis, par définition, en minorité. Tous les jours, des personnes qui ne se sentent pas hétéronormatives sont contraintes de vivre dans une culture à laquelle ils n’appartiennent pas mais qui leur est aussi de plus en plus imposée.

Croyez-en une asexuelle (une “as”) : refuser de se conformer à l’hétéronormativité d’une société obnubilée par le sexe est un réel facteur d’isolation. A la télé ou au cinéma – et notamment dans les scènes très crues de la chaîne HBO ou les intrigues tournant exclusivement autour de la possibilité de sortir avec une personne du sexe opposé -, et même au supermarché, quand vous tombez sur la couverture de Cosmo annonçant fièrement “101 trucs pour combler votre homme sous la couette” ou de Sport Illustrated sur “les mannequins pour maillots de bains les plus sexy”, le sexe est partout.

Mais l’aliénation que nous éprouvons au contact de nos amis et de notre famille rivalise avec celle que véhiculent les médias. Même mes amis gays parlent de leurs relations sexuelles, et leur mur Facebook est plein d’images et de statuts en rapport avec le mariage, les fiançailles, les naissances et les premiers rendez-vous. Quand je sors avec des ami(e)s, il y en a toujours un(e) pour faire des remarques sur le charme des personnes que nous croisons dans la rue. Presque constamment, tous les jours, quelque chose me rappelle que je suis anormale, et que je n’ai pas ma place dans ce monde.

Ceux pour qui la question de la normativité ne se pose pas auront peut-être du mal à comprendre cela. Ils ont une vie plus ou moins épanouie, et ils connaissent quelques personnes qui ne sont ni hétéro, ni sexuelles, ni cisexuelles, mais ils n’ont pas vraiment conscience de l’impact que cette situation a sur elles. Pour eux, ces personnes sont l’exception à la règle. D’ailleurs, ils ne voient même pas cela comme une règle mais comme quelque chose qui relève de la normalité. C’est la vie. C’est leur vie.

A titre de comparaison, pensez à n’importe quel événement sportif d’envergure auquel vous ne participez pas : la Coupe du monde, Wimbledon ou les Jeux olympiques. Souvenez-vous du budget publicitaire qui lui est consacré – où que vous tourniez la tête, des magasins vous vendent des articles en rapport avec cette manifestation sportive, comme des T-shirts, des casquettes et des accessoires ridicules. Les supermarchés organisent des promotions sur cette thématique, et vous ne pouvez pas allumer la télé cinq minutes sans voir une pub mettant en scène un sportif de haut niveau, ou une quantité invraisemblable de bandes-annonces pour la compétition elle-même. Toutes les grandes enseignes s’y mettent, avec des affiches gigantesques pour des boissons énergisantes ou des chaussures de sport. Il est même impossible d’aller faire ses courses sans entendre des conversations sur le sujet, et vous devez faire attention de ne pas vous prendre un panneau représentant un sportif grandeur nature !

Si vous travaillez dans un bureau, il y a toujours au moins une cagnotte, les gens n’arrêtent pas d’en parler, et votre collègue insupportable couvre son espace de travail de figurines et de fanions aux couleurs de son équipe préférée. Sans oublier la demi-douzaine de voisins qui proposent de regarder les matches à plusieurs, et un million d’annonces sur les réseaux sociaux qui soutiennent une équipe ou démolissent l’équipe adverse. La plupart des journaux et des magazines en font leurs choux gras, les athlètes font soudain l’objet de documentaires, et le line-up des talk shows n’est soudain composé que de sportifs de haut niveau.

Je pense que vous voyez à présent ce dont je parle et, lors de la prochaine Coupe du monde ou des prochains Jeux, vous vous souviendrez probablement de l’agacement que ces manifestations vous inspirent, et combien vous aimeriez que les gens la ferment un peu, faute de quoi vous vous réfugierez dans un container insonorisé et sans lumière, rien que pour leur échapper. Voilà ce que c’est que de vivre dans une culture aliénante. Le pire, c’est qu’en tant qu’asexuelle, ceci ne m’arrive pas une fois par an, ou tous les quatre ans, mais tous… les… jours.

Je n’en veux à personne de se conformer à l’idéal de la vie à deux. Je suis consciente des nécessités biologiques, et je sais que les raisons de ce phénomène hétéronormatif sont évidentes. Il est naturel qu’une espèce fasse tout ce qu’elle peut pour survivre et se reproduire. Dans le même temps, il est difficile pour ceux qui ne s’y conforment pas de vivre dans un monde qui leur est étranger. Surtout qu’il est impossible d’y échapper : je ne peux même pas rejoindre une communauté hippie, comme ce serait le cas faire si j’en avais marre du capitalisme, de la cupidité et des aliments transformés.

Même si j’apporte un soutien inconditionnel à la communauté LGBTQ, aux transexuels et à leurs alliés, qui s’efforcent chaque jour de faire reconnaître leurs droits, le combat est quelque peu différent pour les asexuels (les “as”). Nous ne demandons pas la reconnaissance de nos droits civiques, mais qu’on nous accepte dans cet océan d’hétérosexualité.

L’hétéronormativité nous est imposée chaque jour par la société, ce qui nous révolte en permanence, à l’intérieur et à l’extérieur, même si nous savons pertinemment que c’est un combat perdu d’avance. La société ne changera pas, et nous non plus. Nous ne pouvons cependant nous empêcher de lutter pour préserver notre individualité, de nous distancer de cette culture à laquelle nous n’appartenons pas, et de tenter de préserver notre propre identité.

J’aimerais parfois être normale. Je ne supporte pas ce conflit, ce rappel permanent de ma “différence” (dans le meilleur des cas), ou de mon “anormalité” (dans le pire des cas). Il y a des jours, et même des périodes, où j’aimerais être hétérosexuelle, pour être comme les autres, cesser le combat, trouver ma place dans la société et ne plus avoir à me poser de questions. Mais ça ne dure jamais, parce que je sais que ce qui me dégoûterait encore plus serait de me conformer à ce que la société attend de moi.

Ce blog, publié à l’origine sur Le Huffington Post Etats-Unis, a été traduit de l’américain par Bamiyan Shiff.

>> Heteronormativity, by definition, is basically the principle that in our culture, heterosexuality is the norm and any deviations from it, be it homosexuality or asexuality or anything else, are in the excluded minority. Every day, people who don’t identify as heteronormative are forced to live in a culture that isn’t ours, but is increasingly forced upon us. Take it from an asexual (ace): Living in a very heteronormative and increasingly sex-enthusiastic culture is very isolating if you don’t conform to it. From TV shows and movies — like graphic sex scenes on HBO and plots that revolve entirely around trying to hook up with members of the opposite sex — to walking down a supermarket aisle and seeing covers of magazines like Cosmo boldly showing headlines like “101 Sex Tips to Please Your Man,” or Sport Illustrated’s “Sexiest Swimsuit Models!” sex is everywhere.

It’s not just media culture that’s alienating; it’s friends and family, too. Even queer friends that I have who still aren’t in the hetero status-quo talk about sex with their partners, their Facebook feeds constantly show pictures and status updates of weddings, engagements, babies and dates. When I’m out with friends, there’s usually at least one person remarking on the attractiveness of people walking by. There’s something reminding me almost constantly, every day, that I’m not normal, that I’m not a part of this.

For people out there who are part of this normativity, it can be hard to see what it is. You see yourself and your happy life and you see a handful of people you know who aren’t straight or sexual or cis-gendered, but you don’t fully realize the impact of it. To you, they’re the exception to a rule that you live by and to you, it’s not a rule, it’s normal, it’s life, and more than that, it’s your life.

To compare, think of any major sporting event that you DON’T partake in, be it the Super Bowl, World Series or March Madness. Think of how much advertising goes into that — everywhere you look, stores are selling something to do with the sport like jerseys, hats and ridiculous accessories. Even the supermarket is having sales on all the “game day essentials,” and you can’t turn on the TV for five minutes without having a Doritos ad featuring some beefed-up sports star or crazy amounts of advertising for the event itself. All the major retailers and food chains get in on the action and have sports posters hanging from the ceiling endorsing donuts and sneakers. You can’t even go out to the mall without tripping over people talking about it… when you’re not walking into giant cardboard athlete cutouts.

There’s always at least one betting pool going around if you work in an office, people discussing it at their desks all day and that one obnoxious co-worker who puts bobbleheads and hats at their desk in support of their favorite team. Then there’s at least half a dozen people in your neighborhood hosting viewing parties and about a million social media posts of people supporting their favorite team or tearing down their rivals. It headlines most newspapers and magazines, the athletes involved are suddenly in documentaries, and the entire lineup for Jimmy Fallon suddenly looks like every celebrity who isn’t an athlete suddenly came down with a crippling case of stage fright.

By now I’m sure you have a pretty good picture of this in your mind, and by the time Super Bowl Sunday, the World Series or the March Madness championship rolls around, you’re probably now remembering how annoyed you are with this particular sport and how much you just really, really want people to stop talking about it before you lock yourself in a dark, sound-proof box just to get away from it all. That’s what it’s like to be alienated by culture, but as an asexual, I don’t just deal with this once a year on Superbowl Sunday. I deal with it every. Single. Day.

I don’t blame people for conforming to the coupling culture; I understand biology and I know that it’s heteronormative for a reason. It’s natural for the species to want to survive and propagate. At the same time, it’s hard for non-conformers to be living in a counter-culture. There’s no way to escape it or avoid it. I don’t even have the option of joining a hippie commune like I could if I was tired of capitalism, greed and processed foods.

While I fully and completely support LGBTQ and trans folks and their allies, who are out there working hard to be recognized and get their civil rights, the battle is a bit more subtle for asexuals, or “aces.” We aren’t asking for civil rights, we’re just asking for recognition and acceptance amid the sea of heterosexuality.

Heteronormativity is something that is pushed upon everyone by society every single day, and it’s something that we’re constantly, internally and externally pushing back against, despite knowing that no matter how hard we try, it’s futile. Society won’t change and neither will we. So we can’t stop struggling for individuality, we can’t stop trying to distance ourselves from this culture that doesn’t belong to us and we can’t stop trying to preserve our own identity.

Sometimes, I wish I could just be normal. I hate the struggle, I hate being constantly reminded that I’m different at best, or “not right” or broken at worst. I definitely have days and sometimes even phases when I wish I was heterosexual just to fit in, just to stop the fight, just to belong to society and not even need to use any more brain power on it. But I always come back around because I know that for me personally, I’d hate conforming without a second thought even more.

Originally posted on Literally, Darling an online magazine by and for twenty-something women, which features the personal, provocative, awkward, pop-filled and pressing issues of our gender and generation. This is an exact representation of our exaggerated selves.