Reflet d’un machisme ambiant, empreint de stéréotypes : l’homophobie au Brésil est une réalité quotidienne

Etre homosexuel(le) tue. Au Brésil, en tout cas. Le pays concentre actuellement 44% du total des assassinats homophobes. Soit le taux mondial le plus élevé. Bruno, Matheus et Fernanda, trois jeunes étudiants de Sao Paulo, nous font part de leur expérience. 

Toutes les 28 heures, un homosexuel meurt au Brésil. Un chiffre alarmant, mais également paradoxal, dans un pays où le mariage de même sexe est légal depuis 2013. Pour Bruno, étudiant de 22 ans, “le mariage pour tous n’a été légalisé que parce qu’il est passé par la voie judiciaire. Si l’on comptait simplement sur les élus politiques, nous n’aurions toujours pas acquis ce droit“. Le Parlement se montrait en effet particulièrement frileux à l’idée de voter le projet de loi d’égalité, resté en examen pendant plusieurs années. C’est finalement le Conseil national de justice (STF) qui a tranché, en annonçant que les tribunaux publics ne pourraient plus refuser les unions entre deux personnes du même sexe. Si, sur le papier, le Brésil semble être ouvert à l’union homosexuelle, la réalité est donc plus complexe.

L’homophobie est un élément du quotidien !

Fernanda, 25 ans, évoque ainsi les regards et les remarques essuyés alors qu’elle se promène main dans la main avec sa copine. Matheus, 20 ans, raconte quant a lui l’agression qu’il a subie en plein Carnaval, il y a une quinzaine de jours.

J’étais dans un bloco (NDRL : groupes de personnes faisant la fête ensemble dans la rue) en hommage à David Bowie, dans le centre de Sao Paulo. A la fin de la journée, alors que la foule commençait à se disperser, j’ai embrassé un de mes amis. Soudain, un homme a surgi de nulle part et a commencé à nous frapper tous les deux, à nous donner des coups de pied. Plusieurs personnes l’ont rejoint pour l’aider. C’est parti en bagarre générale“.

Au fil de son récit, Matheus insiste sur le laxisme des policiers. Pourtant sensés assurer l’ordre et la paix en cette période de faste et d’animation, ils ont affiché une indifférence assumée, oscillant entre complaisance et amusement. “Quand on a prononcé les mots “violence de genre” et “homophobie”, les policiers nous ont ri au visage. A demi-mots, l’un d’eux nous a dit qu’il ne pouvait rien faire, qu’il ne pouvait pas agir de façon brutale juste pour défendre un couple d’homosexuels“.

Pas question, cependant, de sombrer dans une généralisation simplificatrice. Bruno, Fernanda et Matheus s’accordent tous trois sur le fait que l’homophobie brésilienne se décline en fonction de plusieurs critères. A commencer par la condition sociale et financière. Fernanda explique :”Les homosexuels jouissant d’une condition financière aisée sont souvent mieux perçus que les autres. En fait, même dans le “monde gay”, cette discrimination du “gay riche” et du “gay pauvreexiste“. Sans compter la vulnérabilité à laquelle s’exposent les homosexuels les plus pauvres, pour lesquels il est particulièrement difficile de faire valoir et de revendiquer des droits déjà restreints.  Question géographie, c’est souvent à la campagne, dans les terres de l’intérieur, que l’homophobie et le machisme sont les plus virulents. Parmi les étudiants issus de milieux ruraux, beaucoup n’assument leur sexualité qu’une fois arrivés en ville. Le facteur du genre, enfin, est très influent. Sans aucun doute, l’homosexualité féminine est socialement bien plus acceptée, (ou du moins, tolérée) que l’homosexualité masculine. Une différence de traitement criante, qui, selon Fernanda, s’observe même dans la rue. “Quand deux filles marchent main dans la main ou s’embrassent, elles vont écoper de commentaires à connotation sexuelle ou de remarques déplacées. Par contre, si ce sont deux hommes, les insultes et les regards sont plus insistants, les agressions physiques sont plus fréquentes“. Pour Bruno, comme pour Matheus, ce contraste est le reflet d’un machisme ambiant, empreint de stéréotypes autour des idées de masculinité et de virilité.

Entre peur et espoir 

Si Fernanda confie alors se promener avec sa copine sans peur ni vergogne, Matheus tient un discours bien différent. Pour lui, le sentiment d’insécurité est prégnant. Sans détour, il évoque ainsi sa peur “énorme, quasi mécanique” de démontrer de l’affection pour d’autres hommes en public. Sombre et peu reluisant, le tableau esquissé par Fernanda, Bruno et Matheus laisse pourtant entrevoir quelques lueurs d’espoir. Au fil du temps, l’homosexualité semble de mieux en mieux tolérée. En tous les cas, de moins en moins rejetée. A en croire Bruno, la situation a beaucoup évolué ces dix dernières années. La preuve ? La prolifération des baisers gays dans les “telenovelas, séries télévisées très populaires et véritables miroirs de la société brésilienne. Au coeur de cette bataille pour la tolérance et la liberté, le milieu étudiant occupe une place de choix. Bien entendu, certaines universités se rallient aux conceptions conservatrices. Néanmoins, beaucoup d’étudiants ou d’anciens étudiants, notamment en sciences sociales, s’attachent à lutter contre la violence sexuelle et à déconstruire les stéréotypes de genre. Bruno, Fernanda et Matheus sont de ceux-là.

Fanny Lothaire et Marie Gentric