Pays-Bas Un différend sur un couple d’accueil lesbien assombrit la visite d’Erdogan à La Haye

Une querelle diplomatique entre Ankara et La Haye a assombri la visite jeudi du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan à son homologue néerlandais Mark Rutte, un différend sur un enfant d’origine turque dont la garde a été confiée à un couple lesbien n’ayant pu être résolu.

La communauté internationale avait certes les yeux rivés sur la réaction du Premier ministre turc à l’appel au cessez-le-feu jeudi du chef kurde emprisonné Abdullah Öcalan, mais pour La Haye et Ankara, la visite de Recep Erdogan était l’occasion, manquée, de mettre à plat leur désaccord sur une question qui a provoqué de vives réactions dans les deux pays.

Ankara et La Haye ont pourtant campé sur leurs positions lors de la rencontre, initialement destinée à renforcer les liens économiques et diplomatiques entre les deux pays aux relations quadricentenaires, ainsi qu’à discuter de la question syrienne et de la situation des droits de l’Homme en Turquie.

“Quand un enfant est placé chez un couple homosexuel, cela ne correspond pas avec les normes et les valeurs d’un peuple islamique”, a déclaré le Premier ministre turc lors d’une conférence de presse, confirmant une position déjà affirmée fin février par son vice-Premier ministre Bekir Bozdag.

Le gouvernement islamo-conservateur turc s’est en effet lancé dernièrement dans une campagne pour favoriser le retour de certains enfants turcs de l’immigration adoptés par des Européens dans des familles qu’il juge plus conformes à leurs valeurs et leur culture.

Interpellé via les médias par les parents biologiques du petit Yunus, 9 ans, Ankara avait tenté de faire pression pour que l’enfant soit rendu à ceux-ci ou placé dans une famille musulmane.

Ce comportement avait été peu apprécié côté néerlandais, le vice-Premier ministre Lodewijk Asscher ayant qualifié vendredi l’attitude turque de “présomptueuse”.

Recep Erdogan a soutenu jeudi que des ONG devraient être impliquées dans le processus du choix des familles d’accueil afin de “s’assurer que les enfants soient placés dans une situation à laquelle ils ont été habitués avant cela”, le Premier ministre se référant clairement aux familles musulmanes.

“Responsabilité des Pays-Bas, et de personne d’autre”, pour Mark Rutte.

Yunus avait été placé par les services de protection de l’enfance peu de temps après sa naissance car ceux-ci soupçonnaient ses parents biologiques, qui nient, de le maltraiter. Les frères aînés de Yunus avaient également été placés, mais sont depuis à nouveau avec leurs parents.

Selon les médias néerlandais, Yunus et ses parents d’accueil, dont les services de protection de la jeunesse disent être très satisfaits, vivent depuis quelques jours à une adresse tenue secrète, par précaution.

“En ce qui me concerne, le placement d’enfants néerlandais dans des familles d’accueil est la responsabilité des Pays-Bas, et de personne d’autre”, a pour sa part soutenu Mark Rutte lors de la conférence de presse, rejetant dès lors fermement la proposition de M. Erdogan de discuter de l’affaire au niveau ministériel ou avec des ONG.

Assurant que l’intérêt de l’enfant “passe avant tout”, Mark Rutte a indiqué qu’il n’était pas toujours possible de placer un enfant dans une famille ayant la même culture ou valeurs que sa famille d’origine.

“Au final, aucune distinction n’est faite sur base des orientations sexuelles ou de la religion”, a indiqué Mark Rutte, selon lequel “il serait très positif qu’un nombre plus important de familles musulmanes se proposent comme familles d’accueil aux Pays-Bas”.

Des manifestations relativement réduites organisées jeudi aux Pays-Bas à l’occasion de la venue de Recep Erdogan se sont déroulées paisiblement, selon la police.

Une d’entre elles, à Rotterdam, était organisée pour protester contre le système des familles d’accueil aux Pays-Bas, d’autres à La Haye l’avaient été pour protester contre M. Erdogan et son gouvernement. Elles se sont déroulées calmement.

Le ministre néerlandais des Affaires étrangères Frans Timmermans, qui a rencontré dans la journée son homologue turc Ahmet Davutoglu, a pour sa part qualifié la relation turco-néerlandaise de “très adulte”, car elle n’a selon lui pas été endommagée par le différend sur la question du couple lesbien.

La famille biologique de Yunus avait elle aussi tenté d’apaiser les esprits mercredi soir en assurant qu’elle “n’avait jamais eu l’intention d’agir contre les orientations sexuelles des parents d’accueil”.

La mère de Yunus s’était pourtant précédemment exclamée dans les médias : “comment vous sentiriez-vous si votre enfant vivait avec des lesbiennes?”