Nigeria : Une trentaine d’hommes vont être jugés à Lagos pour « actes homosexuels » (VIDEO/REPORTAGE)

Il y a deux ans, Daniel, étudiant de 19 ans, a été arrêté et humilié par des policiers, alors qu’il se promenait dans une rue de Lagos, capitale économique du Nigeria, en raison de son look « efféminé ». Les agents ont vérifié les contenus de son téléphone portable et menacé d’appeler ses parents « pour leur révéler qu’il est gay ». Daniel a été relâché en échange d’un « pot-de-vin ».

« Je leur ai tenu tête », dit-il. « Je connaissais mes droits. On n’arrête pas quelqu’un parce qu’il marche comme une fille… Mais la vérité, c’est qu’une fois rentré chez moi, j’ai fondu en larmes ! »

Traumatisé, le jeune homme a depuis choisi de changer ses habitudes pour « passer inaperçu ». Il était « flamboyant », adorait son style « androgyne », mais fait désormais attention à la manière dont il s’habille, marche ou parle. « Il faut bien que je reste en vie si je veux continuer à mener le combat », lâche-t-il. « Maintenant, il n’y a plus de doute, je suis un mec. »

Au Nigeria, l’homosexualité est un délit passible de 10 à 14 ans de prison, depuis la promulgation en 2014 d’une loi liberticide, adoptée à l’unanimité par les parlementaires nigérians. Tout témoignage public de « relations amoureuses » ou personne faisant « fonctionner ou qui participe à des clubs gays, des sociétés ou des organisations pour homosexuels », encourent également des peines d’emprisonnement.

Les sites de rencontres, tel « Grindr », sont devenus le seul moyen de briser l’isolement et trouver un partenaire, mais la police s’y infiltre en créant de faux profils, comme les arnaqueurs, dit « Yahoo boys », qui rançonnent les « homos ».

Pour déjouer les pièges, Walter, la vingtaine, a lancé « Kito Diaries », « Le journal du sexe » en argot, un forum gay où quelque 3000 inscrits s’échangent anonymement des informations sur les personnes à éviter et précautions à tenir, comme de s’assurer que « les rendez-vous soient fixés dans des lieux publics ». Il encourage aussi ses membres à ne pas se replier et « internaliser la douleur », mais au contraire « raconter et partager leur histoire avec les autres. »

Certains ont décidé de quitter le pays, pour échapper à la justice, aux pressions familiales et religieuses. Mais pour la majorité, « il n’y a pas d’autre choix que de vivre avec les risques ».

En août 2017, plus de 80 personnes qui participaient à une réunion de sensibilisation sur le VIH, dans le hall d’un hôtel de Lagos, ont été interpellées, accusées d’avoir « commis des actes homosexuels » et « encouragé des hommes à se rencontrer pour perpétrer des faits contre-nature ».

Beaucoup ont marchandé leur libération. Mais 28 hommes vont être jugées, ce mercredi 22 novembre, malgré les requêtes adressées au ministre de la Justice, Abubakar Malami. Douze mineurs présents au moment des faits avaient déjà été auditionnés à huis clos, sans qu’aucun détail ne soit dévoilé à la presse.

« On ignore tout de ce qu’il est advenu des autres », indique à l’AFP Bisi Alimi, militant LGBT et premier Nigérian à avoir fait son coming-out, à la télévision en 2004. Depuis, il vit en exil à Londres. « Souvent, les accusés trouvent des moyens de sortir du circuit de la justice, et on n’entend plus jamais parler d’eux », poursuit-il, en allusion aux sommes régulièrement versées à des juges pour enterrer des affaires.

Personne au Nigeria n’a jamais été officiellement condamné pour homosexualité. Mais dans un pays où la justice est particulièrement corrompue, les associations LGBT dénoncent une législation qui encourage la corruption et l’extorsion.

« Ce pays est tellement pourri que si tu es riche et gay, tu t’en sortiras toujours. Mais pauvre, tu vas passer le reste de ta vie à croupir en prison », estime Daniel, qui vit lui-même dans un quartier précaire et surpeuplé de la capitale. Mais il refuse de fuir. « On sait maintenant qu’il y a des gays dans ce pays. Et nous sommes là pour durer », conclut-il.

« Il y a trop de combats à mener ici », ajoute Walter. « J’ai eu trois ans pour apprendre à vivre avec mes peurs. Ils ont voulu nous faire taire avec cette loi, mais on s’organise et nous luttons ensemble. »