« Mon Maroc, pourquoi es-tu si homophobe ? Est-ce que le soleil de l’humanisme a quitté ton ciel ? »

Indigné par l’agression filmée de deux jeunes présumés homosexuels, vraisemblablement à leur domicile, l’écrivain et journaliste marocain Hicham Tahir a publié une tribune, relayée sur le Huffpostmaghreb, pour dénoncer le militantisme mondain des associations, qui prétendent défendre les droits humains au Maroc, mais évite de trop s’impliquer pour garder leurs statuts avec tout ce que cela apporte en avantages. Le mutisme du gouvernement, qui, au lieu de se concentrer sur les vraies causes, les vrais problèmes, et l’éducation de son peuple en assurant leur santé et sécurité, opte pour la facilité et se complait dans l’injustice. Et puis, la communauté LGBT marocaine, qui par dessus tout, continue de se cacher, se juge toujours et préfère vivre dans le noir plutôt que de montrer qu’ils sont là.

Mon Maroc,

Une fois de plus je t’adresse une lettre, quelques mots. Si seulement je le faisais pour te raconter de belles choses, pour te remercier, pour te dire que je t’aime. Ou que je suis fier de toi. Mais il semblerait que tu réussis mieux à blesser plutôt que nous réconcilier avec toi.

Mais mon Maroc, je me suis réveillé ce matin avec plein d’horreur. Ton peuple, tes enfants, réussissent une fois de plus à engendrer une peur. Une crainte. Un désespoir quant à ton évolution. Est-ce que le soleil de la bonté, de la générosité, de l’humanisme a quitté ton ciel ? Est-ce qu’il t’a laissé sombrer dans une haine digne de Daech dans un pays qui se veut démocratique ?

Deux hommes. Deux citoyens. Deux simples humains se font battre, presque abattre sous ton toit. Ils étaient là, à s’adonner à leur amour. Chez eux. Derrière des portes fermées, quand une meute de personnes se décide d’appliquer la loi d’un Dieu qu’ils semblent connaître mieux que le reste. Les deux hommes nus, se sont retrouvés vêtus de sang, de bras qui leurs infligeaient des coups. Deux hommes nus se sont retrouvés habillés d’insultes, avant d’être mis dans la rue.

Est-ce l’image que tu essayes de donner ? Celle d’une terre d’accueil qui n’a pas tant de ressources naturelles et qui prie, mendie le monde pour que quelques étrangers viennent s’y réfugier le temps de quelques soleils. Quelle image penses-tu offrir aux yeux du monde avec de tels comportements?

Mon Maroc,

Tu es le père ou la mère de ces gens. Tu es responsable d’eux. Si aujourd’hui, dans ce pays, nous en sommes arrivés là, c’est parce que nous sommes tes victimes. Nous pouvons parler de l’éducation que tu nous donnes, nous pouvons parler de toutes ces frustrations que tu nous as offertes. Nous pouvons parler d’un tas de choses que tu as faites dans le passé et dont on goûte le fruit depuis quelques années. Mais à quoi bon?

Aujourd’hui, il ne faut pas être différent. Aujourd’hui, il ne fait pas bon d’être homosexuel chez toi. Aujourd’hui, on ne peut pas aimer. Aujourd’hui, même chez soi on ne se sent plus en sécurité. Ne parlons pas de tes rues.

Aujourd’hui, deux hommes faisaient l’amour, chez eux. Quand cette meute de terroristes s’est décidé de violer l’intimité de l’amour. Est-ce si mal que ça, si deux hommes, deux femmes s’aiment ? Quelle éducation comptes-tu donner à tes citoyens ? Sais-tu que le nombre de Marocains homosexuels est si important que tu ne peux plus les renier. Sais-tu qu’Internet nous a ouvert les portes. Et qu’aujourd’hui, nous ne sommes plus seuls. Nous ne pensons plus être les seuls. Aujourd’hui, la population homosexuelle se réveille, se libère. Elle a peur, elle se cache, mais elle est là. Elle est derrière ses écrans. Elle est frustrée parce que tu lui fais croire qu’elle est en tort. Avec ta loi, avec ton éducation et avec ce que tu fais croire aux gens.

Connais-tu le nombre de jeunes garçons qui aiment d’autres garçons ? Connais-tu le nombre de jeunes filles qui aiment d’autres filles ? Ce sont des Marocains. Ce sont des êtres humains. Ce sont tes enfants. Et eux aussi, ils veillent au développement de tes terres, de ton économie. Eux aussi ils se revendiquent Marocains, même si c’est très difficile parfois. Même eux ont marché dans tes rues, réclamé ton Sahara. Même eux ont crié, plusieurs fois dans leurs vie « Allah, Al Watan, Al Malilk ».

Mais comment veux-tu, aujourd’hui, que ces jeunes soient honnêtes, sincères. Quand « Allah » leur promet un enfer. Quand « Al Watan » leur promet la prison. Quand « Al Malik » n’abroge pas une loi qui fait d’eux les coupables de ce qu’ils sont ? Donne-moi une raison de dire « je suis fier d’être Marocain ». Donne-moi une raison de dire aux gens « vous devez connaître mon pays. Vous devez visiter mon pays ». Comment est-ce que je peux raconter ta beauté sans paraître hypocrite. En étant crédible. Suis-je vraiment amoureux de toi, suis-je vraiment fier de toi. Ou suis-je coincé dans une nostalgie d’un quartier qui m’a bercé ? D’un pays que je ne voyais qu’avec des yeux d’enfant insouciant.

Cela fait trois ans que je t’ai quitté. De loin, mon attachement envers toi est devenu plus fort. Mon amour pour toi est devenu plus sincère. Ma haine envers toi s’est atténuée. Ma peur de toi s’est estompée. Mais sais-tu pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, j’ai eu la chance de voir autre chose. De vivre autre chose. De respirer un autre air. Chanter de nouveaux airs. Rêver. Oui. Aujourd’hui je peux rêver, de choses simples, d’aimer. D’être aimé. Sans crainte. Sans peur. La crainte que l’on parle de moi. Que l’on me juge. La peur que l’on m’envoie en prison parce que je m’exprime. Pourtant, je n’ai jamais rien fait de mal. Même moi j’ai payé mes taxes. Même moi j’ai aidé les autres. Même moi j’ai nettoyé tes rues. Encouragé le tourisme. Crié ta souveraineté.

Je n’étais pas différent d’une bonne partie de Marocains. Mais j’ai toujours été et je le suis toujours, un Marocain considéré comme un citoyen de seconde classe. Je suis au plus bas de tes classes. Je suis presque une sous-merde, sans droits, sans rien.

Ces deux hommes le sont aussi. Même le dicton « Vivons heureux, vivons caché » ne vaut plus rien. Aujourd’hui, ils ont été humiliés, violentés, exhibés. Tout le monde saura qui ils sont. Que doivent-ils faire maintenant ? Car, à tous les coups, ils iront certainement en prison. Et si ce n’est pas au sens propre du terme, il restera le sens figuré. Ils seront coincés dans une société qui va les juger. Les épier. Les menacer.

Que peuvent-ils faire ? Se battre dans une société qui va les haïr ? Se suicider parce qu’ils ne valent rien ? Quitter ton territoire ? C’est ce que tu veux ? Que tous les discriminés de ton pays quittent tes terres ? Figure-toi que dans ce cas là, tu resteras seul. Car nous sommes tous tes victimes. Et c’est pour cette raison là que nous attaquons les plus faibles. C’est pour cette raison là, que les homosexuels sont une proie facile. Parce que s’ils ouvrent leurs gueules, ils iront en prison. S’ils portent plainte, ils iront en prison. S’ils ne font pas très attention. Ils iront en prison.

Mais une fois de plus, mon Maroc, ce serait très facile de te blâmer. Car tu n’y es pour rien. Il y a aussi ton gouvernement qui, au lieu de se concentrer sur les vraies causes, les vrais problèmes, optera pour la facilité. Ton gouvernement, au lieu d’assurer l’éducation de ton peuple, assurer sa santé et sa sécurité, il fermera les cafés de chicha.

C’est aussi la faute à tes associations qui prétendent défendre les droits humains et qui, au lieu de faire leur travail, cherchent à s’engager dans des combats qui ne heurteront pas les esprits mondains. Ces associations qui cherchent surtout à récupérer des sous à droite et à gauche, garder leurs statuts avec tout ce que cela apporte en avantages, en voyages et en reconnaissance éphémère. Tant qu’ils évitent tes tabous. Ces associations qui te caressent dans le sens du poil, tout en se donnant bonne conscience de temps à autre.

Mais par dessus tout, c’est la faute aux homosexuels marocains qui, aujourd’hui, en 2016, se cachent toujours, se jugent toujours et préfèrent vivre dans le noir plutôt que de montrer qu’ils sont là. De prouver qu’ils sont là. Que l’homosexuel n’est pas une exception. N’est pas qu’un simple garçon du quartier. Que l’homosexualité n’a rien d’une maladie, de péché ou d’étrange.

Tant que les homosexuels marocains, du plus jeune étudiant au au plus haut placé, resteront cachés, les cas de Beni Mellal, de Fès, de Tétouan, de Lksar Lekbir, de Casablanca, de Salé et les autres victimes d’homophobie, prouveront qu’il n’y a que des exceptions.

Il faudrait que la communauté LGBT marocaine cesse de justifier sa peur. Qu’elle se décide d’ouvrir sa bouche au lieu de rester derrière ces icônes et photos de faux-profils. La société ne changera jamais si elle continue de penser que cela n’existe pas.

Le droit et la liberté se méritent. Ça ne vient pas comme ça. Ce ne sont jamais les autres qui chercheront nos droits si l’on ne se mobilise pas. Le droit et la liberté ne sont pas acquis. Et ne le seront jamais. Et si, Mon Maroc, tes homosexuels ne posent pas leurs couilles et ovaires sur la table. S’ils ne cessent par de justifier l’injustifiable, s’ils se cachent derrière les personnages que la société veut voir. C’est normal qu’à la moindre extravagance, ils se fassent battre.

Je pense que mon Maroc, tu n’es pas à blâmer après tout. Car si les homosexuels veulent vraiment que ça change, ils finiront par se bouger. Par trouver un moyen. Rien ne change tant qu’on ne le décide pas. Les minorités continueront d’être des victimes tant qu’ils continuent à se voir comme telles. Un jour, peut-être, les choses changeront. Mais d’ici là, je cesserai d’être surpris quand de telles attaques se passent.

Mon Maroc,

Je ne vais pas te blâmer. Je vais continuer à t’aimer, comme on aime ses parents, malgré leurs défauts. Mais je t’aimerai de loin. Et comme ça, nous seront tous les deux heureux.