Liban : Acquittement d’une transsexuelle accusée de relations sexuelles avec un homme

La communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels) du Liban a retrouvé un timide sourire : une brèche a été ouverte dans le mur que constitue l’article 534 du code pénal, après la décision du juge unique pénal à Jdeidet el-Metn, le magistrat Naji el-Dahdah. Le 28 janvier, ce dernier avait acquitté une transsexuelle, accusée sur la base dudit article d’« avoir des relations sexuelles contre nature » avec des hommes. La décision a été rendue publique hier.

Selon les faits, à la naissance, l’accusé(e) avait les organes génitaux déformés et non développés, ce qui rendait difficile la définition de son sexe. Mais ses parents avaient décidé de l’inscrire dans le registre d’état civil comme étant un garçon. Mais ce « garçon » a toujours eu des comportements de « fille » et dans les années 1990, « il » a subi une opération pour changer définitivement de sexe pour devenir une femme à part entière. Par la suite, il (elle) a été arrêté(e) pour relation sexuelle avec un homme.
La décision du magistrat Dahdah, rapportée dans l’édition de février de l’Agenda légal, constitue un important indicateur sur la manière de traiter à l’avenir les cas des transsexuels, mais également un autre manière d’interpréter l’article 534, estiment des avocats et des membres de la société civile.

Nizar Saghiyé, avocat, a explique ainsi à L’Orient-Le Jour qu’à travers cette décision, le magistrat Dahdah « a ouvert la porte à l’interprétation de l’article 534, en considérant que le législateur a délégué au juge le pouvoir d’interpréter la notion de “acte contre nature” ». « Le magistrat Dahdah l’a interprété conformément aux droits de l’homme et aux principes des libertés privées », poursuit-il. En effet, il est question dans la décision judiciaire de « l’égalité entre les Libanais conformément aux dispositions de la Constitution ». Le magistrat s’est également référé aux recommandations publiées en 2011 par la Commission pour les droits de l’homme qui appelle à « lutter contre les atteintes aux personnes sur base de leurs orientations sexuelles ».
Selon Me Saghiyé, la décision du magistrat Dahdah fait écho au jugement publié en 2009 par le juge unique pénal à Batroun, Mounir Sleiman, qui avait alors acquitté deux homosexuels pris en flagrant délit, écartant dans leur cas les dispositions de l’article 534. « Nous sommes ainsi devant une deuxième décision de ce genre, ce qui nous donne l’espoir d’avoir une jurisprudence établie qui permettra de considérer que l’article 534 est tombé en désuétude, insiste Me Saghiyé. Il ne s’agit plus d’une décision isolée. Nous constatons une tendance chez certains juges à écarter cet article et nous espérons que cette tendance aboutira à une jurisprudence établie. Cela est fort probable d’autant que nous avons commencé à plaider les cas des homosexuels devant le tribunal en nous basant sur une argumentation qui nous permet d’écarter ledit article. » À la question de savoir pourquoi une action n’est pas menée pour abolir l’article 534, Me Saghiyé répond qu’« il est inconcevable pour nous de parler de la dépénalisation de l’homosexualité devant le Parlement, qui est opportuniste, paresseux et réactionnaire ».

La société civile se félicite
Cette décision du magistrat Dahdah est fortement saluée par la société civile. Jean-Pierre Katrib, membre de la Fondation des droits de l’homme et des droits humanitaires (FDHDH) – Liban, indique ainsi qu’ « à la Fondation, c’est désormais une tradition que d’encourager et d’honorer des magistrats dont les jugements sont fondés sur le droit naturel qui consacre les principes des droits de l’homme et non le droit positif ». « Sur le plan mondial d’ailleurs, la tendance est de se fonder sur les principes nobles que sont le droit naturel et les droits de l’homme, poursuit-il. Le droit positif doit être en harmonie avec le droit naturel. Dans le cas contraire, il ne sera pas équitable. »

Même son de cloche chez Georges Azzi, membre de la Fondation arabe pour les libertés et l’égalité. Il assure que cette décision « constitue un pas en avant, d’autant qu’elle prend en considération l’identité du genre ». « Nous espérons que d’autres magistrats suivront le mouvement, ce qui permettra d’établir enfin une jurisprudence », souligne-t-il.

Nada MERHI | OLJ
http://www.lorientlejour.com/article/857520/acquitter-une-transsexuelle-une-decision-qui-peut-faire-jurisprudence.html