GPA : La tentation du parapet moraliste « on ne marchandise pas le corps » ne fait qu’induire les dérives

Alors que la France commémorait ce mardi 10 mai l’abolition de l’esclavage, quelques militants de la Manif Pour Tous n’ont pas hésité à détourner cette journée symbolique pour protester à Nantes contre la GPA et la pratique des mères porteuses, « une nouvelle forme d’esclavage », selon Ludovine de la Rochère. A Nantes, ancien premier port négrier français, « il y a le mémorial de l’abolition de l’esclavage. Nous nous battons pour l’abandon total de l’esclavage », a-t-elle ajouté, sous les huées d’une trentaine d’étudiants qui, aux cris de « Mon corps m’appartient », ont déroulé un ruban sur lequel était inscrit « Scène d’homophobie ».

La Gestation pour autrui est interdite en France. Mais, « encadrer plutôt qu’abolir est la seule réponse qui puisse inscrire notre société dans le progrès », souligne dans une tribune sur le HuffPost,  Alexandre Urwicz, Président de l’Association Des Familles Homoparentales. La tentation du parapet moraliste « on ne marchandise pas le corps » dénature en effet la vision généreuse du don et « ne fait qu’induire directement le développement de circuits parallèles… La famille évolue, la science évolue, la médecine évolue. Notre devoir est d’accompagner ces changements et non de les craindre, en veillant à ce que chacune et chacun puissent y avoir accès. »

« GPA : fric et bioéthique riment déjà »

Contrairement à une idée reçue, la France sait parfaitement encadrer le don de soi et le rémunérer, ou l’indemniser. Créée en 1978, la Commission d’autorisation de mise sur le marché impose l’obligation d’essais cliniques avant la commercialisation des nouveaux médicaments. La loi Huriet de 1988 encadre les essais thérapeutiques et vient protéger les personnes devenues cobayes dans la recherche biomédicale. Nos lois de bioéthique de 1994 veillent particulièrement à ce que la dignité de la personne soit toujours respectée. Depuis 2004, chaque essai doit obtenir une validation de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) et du Comité de Protection des Personnes (CPP).

4.500 euros net d’impôt, c’est la somme que chaque volontaire peut obtenir par an dans le cadre de ces tests cliniques. La sélection des volontaires est drastique. Un consentement libre et éclairé doit être recueilli de la part de celui ou celle qui va accepter de donner un peu de soi pour le bien d’autrui. Le don de soi n’est pas sans risque comme nous l’a rappelé le décès intervenu d’un volontaire en janvier 2016 au CHU de Rennes. Autre don de soi : le don du sang. Il est gratuit en France. Economiquement sa collecte est un fiasco puisque qu’elle coute bien plus cher (campagnes de pub, infrastructures mobiles, etc…) que celle qui pratique la rémunération du donneur (env. 50 euros versés par donneur en Allemagne). Au lieu de rémunérer des agences de publicité, des médias, de payer des camions mobiles, ne serait-il pas plus pertinent de faire venir directement les donneurs dans les hôpitaux en les indemnisant ? On va crier au scandale, à la marchandisation du corps ? Mais alors pourquoi les hôpitaux français achètent-ils du sang et des médicaments dérivés du sang de donneurs rémunérés à l’étranger ?

L’exemple des essais thérapeutiques sur l’être humain affirme clairement que nous savons et pouvons encadrer un don de soi éthique et l’indemniser légalement, y compris si des risques mortels ne peuvent être totalement exclus. Les cris d’orfraie sur la prétendue marchandisation du corps d’une femme qui porterait l’enfant d’autrui dans un cadre tout aussi éthique et réglementé sont en réalité des épouvantails voulant affoler nos capacités à organiser ce don de gestation qu’est la Gestation Pour Autrui (GPA). En réalité, ce qui tente de troubler le débat, ce n’est pas l’encadrement de ces techniques que nous savons mettre en place, c’est l’argent qui viendrait soudainement spoiler l’ensemble. Mais alors pourquoi ces 4500 euros net d’impôt payés au cobaye dans le cadre d’un essai thérapeutique qui peut se dérouler sur plusieurs mois seraient-ils plus éthiques que ceux qui pourraient indemniser une femme volontaire qui déciderait de porter l’enfant d’autrui ? (sachant qu’elle ne porterait pas son propre embryon mais celui des parents intentionnels). L’argent « sale » culpabilise au point même d’éviter d’en parler dans les 20 pages pourtant très documentées de la brochure « Ce qu’il faut savoir » sur la « Participation à un essai clinique sur un médicament » du Centre national de gestion des essais de produits de santé. Tout est fait dans l’idée qu’un-e volontaire, après avoir décidé-e de faire don de son corps pour un essai médical, touchera accessoirement et discrètement jusqu’à 4500 euros…

Le don d’ovocytes est un des échecs cuisants de notre modèle de bioéthique. Très peu de donneuses, trop de demandes. 5 ans d’attente en moyenne. La dernière martingale trouvée depuis 2012 est riche d’enseignements : si le couple requérant propose lors de sa demande une donneuse tierce qui viendra elle-même en aide à un autre couple, le délai de 5 ans sera alors sensiblement raccourci. Résultat : on voit fleurir habilement sur la toile des annonces pour recruter ces donneuses tierces dont on sait parfaitement qu’elles seront pour la plupart rémunérées par les couples en détresse. L’argent ne venant pas de l’Etat, l’honneur est sauf et notre modèle de bioéthique survivra. C’était moins une.

S’il remplit les conditions médicales requises, un proche qui justifie d’au moins deux ans de lien affectif stable avec un demandeur de rein peut être candidat au don de son vivant. Les risques sont ceux « de l’anesthésie, de l’opération chirurgicale et ses suites immédiates ou lointaines » comme le rappelle l’agence de biomédecine française. Ce don du vivant engendrera une modification à vie de la surveillance médicale du donneur et contrindiquera par exemple la pratique de certains sports. Ces merveilleux donneurs de rein du vivant sont quelques centaines par an à offrir un organe non renouvelable. Une grossesse n’est pas acte mutilatoire, alors pourquoi donner un rein du vivant et subir les risques à vie d’un tel don serait plus possible et éthique qu’assurer le développement d’un embryon confié à une femme tout aussi altruiste et désireuse ? En réalité, il n’y a ni sacrifice, ni mutilation, ni exploitation de l’homme par l’homme lorsque le don est encadré. Bien au contraire, notre société regarde aujourd’hui ces dons comme acte de courage, de solidarité et de générosité, valeurs qui se retrouvent dans le don gestationnel.

Alors qu’une étude américaine publiée en avril 2016 vient de confirmer que fumer pendant une grossesse peut directement induire chez les nouveau-nés des problèmes de développement des poumons et du système nerveux après modification de l’ADN, l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris propose de verser plusieurs centaines d’euros à ces femmes enceintes pour les dissuader de fumer. Cette somme est versée sous forme de bons d’achat car là encore, verser directement de l’argent serait trop visible et culpabilisant. Chacun jugera ce qui est éthique et responsable : Payer une femme dont le comportement met directement en danger son fœtus ou proposer un encadrement pour une femme qui décide en solidarité de porter le fœtus d’un couple en incapacité de procréer.

On ne pourra taxer les Suisses d’excès et c’est pourtant bien la Commission nationale d’éthique Suisse qui a dernièrement accepté le principe d’une légalisation de la GPA altruiste sur son sol là ou 7 pays européens la rendent déjà possible. La société civile a ouvert le débat sur ces sujets et c’est elle qui conduira nos politiques à faire progresser notre humanité. La tentation du parapet moraliste « on ne marchandise pas le corps » dénature la vision généreuse du don et ne fait qu’induire directement le développement de circuits parallèles, de business qui se font et se défont, et qui peuvent parfois conduire à des dérives. Encadrer plutôt qu’abolir est la seule réponse qui puisse inscrire notre société dans le progrès. La famille évolue, la science évolue, la médecine évolue. Notre devoir est d’accompagner ces changements et non de les craindre, en veillant à ce que chacune et chacun puissent y avoir accès.