A Genève : Un hébergement d’urgence pour les jeunes gays et lesbiennes rejetés par leurs parents

Se découvrir homosexuel au sein d’une famille religieuse peut être le début d’un destin de clochard. C’est ce qu’ont découvert deux jeunes Genevois et Lausannois qui ont échappé à la rue ces dernières semaines grâce à une structure inaugurée au début de juin par l’association homosexuelle Dialogai. Le Refuge Genève, c’est son nom, consiste en un lieu d’accueil de jour et quatre places d’hébergement d’urgence en appartement. Deux de ces dernières sont donc occupées, pour une durée qui ne devrait idéalement pas excéder un semestre.

Arrivés à la mi-juin puis au début de juillet, les occupants, deux garçons de 19?ans, ont connu des déboires semblables. Chez eux, la religion «interdit» leur orientation sexuelle et c’est à la suite d’un conflit avec leurs mères respectives qu’ils se sont retrouvés à la rue.

«Ces deux mères, de confession musulmane, ne peuvent concilier leur foi avec l’homosexualité de leurs enfants, relate Alexia Scappaticci, l’éducatrice spécialisée qui coordonne Le Refuge. L’un d’entre eux a décroché de son parcours scolaire et n’a pas fait grand-chose ces trois dernières années. Le fait qu’il soit pédé, comme sa mère le dit, a été le prétexte pour le mettre à la porte. Dans l’autre cas, la mère refusait l’homosexualité de son fils depuis des années. Juste après l’avoir surpris en train d’embrasser son copain, elle l’a chassé pour un autre motif. Elle lui a pris ses clés et son porte-monnaie, le livrant à la rue.»

Cap sur l’autonomie

Survivre dans la précarité, échouer dans un squat, se démener au jour le jour pour manger et parfois en arriver à monnayer son corps. Le rejet de jeunes par leurs familles peut mener à ce genre de situations qui ont motivé, dès 2003, la création des Refuges en France – un modèle repris à Genève. Les deux premiers protégés de Dialogai ont vécu plusieurs jours de galère avant d’être aiguillés vers cette structure toute neuve et encore peu connue. Première étape pour eux: se remettre de leur angoisse.

«Il faut évaluer les besoins de ces jeunes, le but étant de les rendre autonomes, précise Mathilde Captyn, directrice de Dialogai. Nous devons penser dès maintenant à leur futur logement, ce qui implique aussi qu’ils devront trouver une activité.» Le chantier s’annonce vaste: si l’un des deux jeunes hébergés compte reprendre des études gymnasiales en soirée dès la rentrée, l’autre n’a pas de projet. Tous deux sortent moralement brisés de leur drame familial.

Chrétiens comme musulmans

Renouer avec leurs familles? Le Refuge est prêt à entreprendre des médiations. Mais cela n’est pas encore envisageable avec ces deux premiers rescapés. «Ils sont majeurs et une médiation ne peut s’envisager qu’avec leur accord, note Alexia Scappaticci. Pour l’heure, ils sont très en colère, ce qui peut d’ailleurs aussi constituer un moteur pour avancer. Pour un jeune, il est invivable de prendre conscience de son homosexualité tout en réalisant que la famille ne l’acceptera pas car sa religion l’interdit. Une partie de mon travail consiste à montrer que certains parviennent à concilier leur foi et leur orientation sexuelle.»

La religion, chrétienne autant que musulmane, est presque systématiquement au cœur des problèmes vécus par les six autres jeunes que Le Refuge suit en accueil de jour (lequel est aussi ouvert aux mineurs, contrairement à l’hébergement, dernier recours ouvert aux seuls majeurs, pour des raisons juridiques). Pour Mathilde Captyn, «il vaudrait la peine que nous entrions en contact avec les communautés religieuses pour chercher ensemble des solutions à ce genre de cas».

Risques suicidaires

Pour l’association, les déboires familiaux vécus par les jeunes du Refuge sont au cœur des problèmes sanitaires mesurés chez les personnes homosexuelles. Selon une étude de l’Université de Zurich parue en 2013, un risque suicidaire nettement plus fort que la moyenne suisse caractérise les gays, en particulier les jeunes lors de la révélation de leur orientation sexuelle.

Doté d’un budget annuel de 250.000 francs, Le Refuge Genève a été financé par des aides issues de fondations privées, de la Loterie Romande et de la Ville de Genève. Une éducatrice et un animateur ont été recrutés pour encadrer les jeunes. Le projet doit faire l’objet d’une évaluation dans deux ans.

(TDG)