Discrimination, exclusion : Combien faudra-t-il de suicides pour que les trans aient enfin des droits ?

Alan, un jeune adolescent trans de 17 ans s’est donné la mort en 2015, à la veille de Noël. Son suicide a été médiatisé parce qu’il avait été le premier homme trans mineur à bénéficier d’un changement d’état civil en Catalogne (Espagne). En cause, le harcèlement qu’il subissait au sein de son institution éducative, selon sa mère. “Combien faudra-t-il encore de suicides ?”, interroge Brigitte Goldberg, Pdte de Trans-Europe, collectif de défense des droits LGBT, qui dénonce “l’insoutenable”, dans une tribune sur LePlus du nouvelobs.

J’aurais bien aimé commencer cette nouvelle année par un billet léger et optimiste. Malheureusement, après une fin d’année 2014 endeuillée par le suicide de Leelah Alcorn – une transsexuelle de 17 ans qui a fini sous les roues d’un camion poussée par l’intolérance de la société – c’est Alan, un jeune transsexuel espagnol qui a mis fin à ses jours la veille de Noël.

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20% des trans en France ont déjà tenté de se suicider

Alan avait été un des premiers adolescents mineur à obtenir un changement d’état-civil en Catalogne. Le harcèlement dont il a souffert au sein de son école a fini par rendre son existence insupportable au point que ce jeune homme décida d’y mettre un terme définitif.

On pourra s’étonner d’un tel geste dans un pays qui fut le premier État européen à reconnaître les droits des personnes transsexuelles.

Que l’on ne s’y trompe pas, si une loi facilitant le changement d’état civil des personnes trans est apparue comme une nécessité dans une grande partie de l’Europe, ces avancées ne changent pas pour autant le regard de la société à notre égard. C’est ainsi que, selon la FELGBT (organisation espagnole de défense des lesbiennes, gays, bisexuels et transexuels), 43% des jeunes LGBTI ont des pensées suicidaires.

Chez nous, si l’on en croit une étude du Comité Idaho, 85% des personnes transgenres ont déjà souffert de transphobie, 60% d’entre elles sont tombés dans un état dépressif, et 20% ont tenté de se suicider.

Les œillères des gouvernants

Puisque de toute façon, les personnes transgenres et transsexuelles sont par nature discriminées, exclues, dépressives et suicidaire, le gouvernement à donc décidé de ne rien faire pour améliorer une situation qui restera de toute manière désespérée.

La CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) a bien rappelé dans un rapport demandé par Najat Vallaud-Belkacem et Christiane Taubira que les personnes transidentitaires subissent actuellement un traitement discriminatoire, alors même qu’elles ont droit à une égalité devant la loi, en insistant sur une durée excessive de la procédure mettant en péril notamment leur accès au logement, à l’emploi, et aux droits sociaux. Malheureusement, comme prévu, ce rapport a fini dans les poubelles des ministères concernés.

Durant cette longue période où le sexe d’origine s’efface devant celui revendiqué mais non reconnu, trouver un travail ou simplement le garder, louer un logement, ouvrir un compte bancaire, ou voter, constituent un véritable parcours du combattant que nos dirigeants préfèrent ignorer.

Les trans, la bonne conscience de la gauche

Mais rassurons nous car rien n’est perdu. Dans son immense sagesse, le législateur – au bout de trois longues années de réflexion – s’est enfin penché sur notre problème. En est ressortie une proposition de loi. En la lisant attentivement, j’ai bien cru que ce texte avait été rédigé sur un coin de table à l’issu d’une soirée bien arrosée tant ce dernier ressemble à la mauvaise copie d’un étudiant en première année de droit.

Mettre, comme le propose ce texte, le changement d’état-civil des personnes transsexuelle entre les mains du procureur, cela ne revient jamais qu’à violer ouvertement l’article 99 du Code civil qui fait de la modification de l’état-civil la prérogative exclusive des magistrats du siège.

Autrement dit, cette proposition, de loi ne pourra que finir dans le cul de basse fosse du Conseil d’État….

En fait, la chose est sans importance puisque qu’à l’aune du texte déposé en 2011 par la députée Michèle Delaunay, cette proposition de loi ne sera jamais soumise au vote. Finissant dans la poussière des archives du Parlement, elle ne servira jamais qu’à donner bonne conscience à une gauche vis à vis d’engagements électoraux qu’elle n’a jamais eu l’intention de respecter.

Un sacrilège, sérieusement ?

En plein débat aussi inutile que stérile sur la nationalité, il ne serait pas inutile de s’interroger sur le droit des trans à la citoyenneté ?

La citoyenneté c’est l’affirmation des “droits civils” désignant l’ensemble des droits et des devoirs attachées à la personne. Et parmi ces droits figure le droit au respect de la vie privée.

Le respect de la vie privée, c’est d’ailleurs le motif de la condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 1992 concernant le droit des trans à changer d’état-civil, droit que la Cour de Cassation leur refusait obstinément. Comme l’a écrit Michel Jeol, premier avocat général à l’époque : “Qu’un homme ou une femme rejette le sexe dans lequel il est né avec une détermination pouvant le conduire au suicide […] voilà qui peut paraître extravagant, sinon choquant, voire sacrilège.”

C’est donc au nom de cette morale quasi religieuse et donc bien peu républicaine puisque le terme “sacrilège” est ici utilisé que, même après cette condamnation par la CEDH, la Cour de Cassation a imposé des conditions de changement d’état-civil drastiques. Elle a fait des opérations de réassignation un impératif absolu et exigé des expertises aussi coûteuses qu’humiliantes, le tout ayant pour conséquence une longueur de procédure de plusieurs années violant ouvertement ce droit au respect de la vie privée.

Vivre des années durant dans un sexe qui n’est pas le sien en en ayant les obligations de tout citoyen mais pas le droit d’être reconnu comme tel est une situation indigne de la patrie des droits de l’homme, situation à laquelle nombre de démocraties européennes ont d’ailleurs mis un terme définitif.

35 ans sans proposition de loi décente

Je sais bien qu’il y a d’autre sujets de préoccupations que l’on jugera avec raison plus importants qu’une législation concernant quelques milliers de personnes mais, sachant que la dernière tentative de légiférer sur ce sujet à été rejetée en 1981, serait-ce trop demander qu’au bout de 35 ans nos élus fassent enfin une proposition de loi décente ?

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Le décès d’Alan à provoqué des manifestations de protestation contre la transphobie dans une dizaine de villes d’Espagne.

Chez nous, quand on évoque le sort des trans, on entend plutôt la voix de l’ancien ministre de la Santé, médecin de surcroît, Jean-François Mattéi, pour qui nous ne sommes que des “malades mentaux”.

Combien faudra t-il d’Alan et de Leelah pour que notre démocratie reconnaisse enfin aux personnes trans le droit d’exister ?

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