17ème Existrans : Le parcours du combattant des trans en France

Pour beaucoup de trans qui changent d’identité sexuelle, le changement d’état civil est une renaissance mais reste en France un véritable parcours du combattant.

Près de 20 ans après son changement d’état civil, Camille Barré se souvient de tous les “moments de doutes, de pleurs, de rage”. “Depuis toute petite, je jouais le jeu en société mais je ne me sentais pas un garçon comme les autres”, raconte cette femme de 54 ans, qui sera l’une des doyennes de la 17e marche Existrans samedi à Paris pour réclamer plus de droits.

“Pendant des années, vous trimballez ce mal-être; un jour vous parvenez à l’identifier et il devient vital de changer, pourtant d’autres difficultés commencent”, ajoute cette assistante de bibliothèque.

Entre les premières consultations médicales, la transformation physique et l’obtention d’une nouvelle identité, le processus en France est douloureux, coûteux et long, quand d’autres pays ont adopté des lois moins contraignantes.

Depuis 2012, en Argentine, les citoyens peuvent changer d’état civil selon leur bon vouloir, sans l’accord d’un médecin ou d’un juge, et plusieurs pays européens – Espagne, Portugal et Royaume-Uni – ont aussi adopté des textes facilitant le changement d’identité.

Dans l’Hexagone, c’est à la justice de trancher. Faute de législation, tout est basé sur la jurisprudence et reste donc “totalement arbitraire”, dénonce Coline Neves de l’association OUTrans, réseau de soutien pour les personnes trans.

Les tribunaux exigent de nombreuses expertises médicales (endocrinologue, psychiatre et gynécologue), à la charge des personnes trans, et souvent la preuve de la transformation physique donc de la stérilisation. Conséquence: “de nombreuses personnes trans ne font pas les démarches pour un changement d’état civil”, ajoute-t-elle.

Un peu plus d’une centaine de demandes sont faites chaque année en France, pour quelque 15.000 personnes trans selon les associations (en comptant transgenres, qui ont l’apparence du sexe opposé mais sans modifier le corps, et transsexuels, qui vont au bout de la transformation).

Les prises de conscience et l’acceptation sont plus ou moins rapides: à 53 ans, Hélène a seulement récemment franchi le pas, après une “vie de souffrance”. “Mes premiers souvenirs sont liés à la question de mon identité. Je me suis toujours identifiée comme fille. A 4 ans, la maîtresse a dit à ma grand-mère que cela me passerait. Deux ans plus tard, j’ai tenté de faire tomber mon sexe en l’étranglant avec un mouchoir. A 14 ans, mes camarades m’ont tabassé pour me faire payer ma différence. A partir de là, j’ai arrêté d’en parler et j’ai joué le rôle que la société voulait me voir tenir… jusqu’à mes 50 ans”.

Pourtant, même quand la décision de changement est prise, la transformation reste une “grande violence”. La transition est une épreuve au quotidien ponctuée d’humiliations.”La situation actuelle oblige les trans à vivre des années sans papiers correspondant à leur apparence. Et dans notre société on ne peut pas vivre sans: prendre l’avion, changer de logement, de travail…”, explique Laura Leprince de l’association ID-Trans. En effet, pour pouvoir obtenir de nouveaux papiers devant un juge, les personnes trans doivent avoir l’apparence de leur “nouvelle” identité et donc entamer des démarches de transformation physique avant les procédures judiciaires qui prennent ensuite plusieurs mois voire des années.

“Pour moi, être contrôlée par la police ou récupérer un recommandé à la Poste sont des situations stressantes”, explique Hélène, dont le changement d’état civil est actuellement examiné par la justice. “J’ai l’apparence d’une femme mais mes papiers sont ceux d’un homme. Donc certains refusent de comprendre et d’autres se font un plaisir de m’humilier en m’appelant ‘monsieur’ bien fort!”

Caroline Pale, née garçon il y a 23 ans, et qui vient de rencontrer un psychiatre pour entamer les premières démarches, explique qu’il est “difficile de ne pas devenir parano”: “Quand je vois des gens rigoler je me demande toujours si ce n’est pas pour moi”.

“La souffrance liée à la transidentité est principalement due au rejet de la société et au regard des autres”, estime Marie-Laure Peretti, psychothérapeute et auteure d’une thèse sur le sujet. Elle rappelle que cela “est susceptible de toucher toutes les classes sociales, toutes les familles. Contrairement aux idées reçues, parmi mes patients, beaucoup était des personnes parfaitement intégrées”. Mais il existe, pour elle, un “véritable blocage” de la société française, y compris des médecins alors que certains pays autorisent aujourd’hui des traitements bloquant la puberté chez les adolescents pour permettre ensuite de changer de sexe plus facilement.

D’autres autorisent la prise d’hormones bien avant la majorité. “Une partie du corps médical est carrément maltraitant envers les transsexuels”, affirme-t-elle, plaidant pour une démédicalisation du processus.

A l’exception de certains tribunaux, “cela reste encore souvent l’épreuve du feu: on veut voir si la personne est prête à se mutiler pour prouver sa conviction”, constate Magaly Lhotel, avocate qui traite chaque année une quinzaine de dossiers liés à des changements d’état civil. “Voilà des années que nous attendons qu’une législation mette les choses au clair”, explique Dorothée Delaunay d’Amnesty International.

L’arrivée de la gauche au pouvoir avait suscité beaucoup d’espoir mais les dispositions tant attendues par les trans viennent d’être de nouveau reportées au premier semestre 2014 dans un projet de loi de simplification du droit. “Après le débat sur le mariage pour tous, il semble que le gouvernement ait peur de remettre une telle question sur le tapis”, ajoute Dorothée Delaunay.

Pour Laura Leprince, “c’est désespérant, cela fait plus de 30 ans que le sujet n’a pas été abordé au Parlement. Le monde politique a fait l’effort de dire que les homos font partie de la société, pour les trans, le pas n’a pas encore été franchi”.

> Marche Existrans le 19 octobre à Paris

L’Existrans, marche des personnes trans et intersexes et de celles et ceux qui les soutiennent, organise sa marche annuelle le 19 octobre à Paris.

Cette 17ème édition partira des Invalides à 14h pour se terminer à la Bastille.

Les manifestants sont invités à venir “scander et défendre les revendications du collectif”.

Le mot d’ordre choisi pour cette marche sera “Trans, intersexes: une loi, des droits!”.

L’Existrans 2013 sera suivie, le dimanche 20 octobre, d’une réunion inter-associative au centre LGBT Paris Ile de France avec les associations, collectifs, groupes, trans, afin de faire un point sur l’état actuel des revendications et les perspectives.