VIH et cannabis : “La logique voudrait que pour exploiter ses vertus, on ne le fume pas…”

Militante à l’association ASUD (association Auto-Support usagers de drogues) et à Principes actifs, Fabienne Lopez connaît les vertus thérapeutiques du cannabis pour s’y être tout simplement intéressée à la suite d’un traitement du cancer qu’elle a dû démarrer en 2008. Interview.

Que sait-on de la consommation de cannabis par les personnes séropositives ?

Au final, pas beaucoup de choses. Les données que l’on a ne permettent pas de connaître les motifs de la consommation : à titre thérapeutique ou récréatif. En ce qui concerne le VIH, l’usage thérapeutique est arrivé des Etats-Unis, de Californie précisément, des usagers de cannabis militaient pour sa dépénalisation dans les années 80 et revendiquaient ses vertus thérapeutiques, et beaucoup de ces militant-e-s étaient dans les mouvements homos. Ces personnes séropositives arrivaient à soulager les effets secondaires des traitements lourds qu’elles consommaient, à stabiliser leur poids, calmer les nausées et garder le moral : il fallait que cela se sache, et elles l’ont fait savoir.

En France jusqu’en 1954, le chanvre (cannabis) a été utilisé en tant que plante médicinale et vendu en herboristerie à défaut d’avoir un bout de jardin pour en planter. C’est à l’association Asud au début des années 90 que j’ai rencontré des personnes séropositives qui fumaient de l’herbe pour ces mêmes raisons et comme en plus elles étaient sous substitution cela leur permettaient de “calmer le jeu” comme elles le disaient si bien : en clair éviter de boire de l’alcool. A l’époque, il ne fallait surtout pas le dire… En parler de manière positive était puni par la loi (incitation) alors que cela  aidait concrètement les personnes.

Quels sont les effets attendus du cannabis à usage thérapeutique sur la santé des personnes vivant avec le VIH ?

Les effets les plus connus du cannabis sont ses propriétés psychotropes dues au THC. Le cannabis provoque une légère euphorie, voire une ivresse, qui peut être désagréable pour une personne qui n’en a jamais consommé. On a longtemps cru que c’était le THC qui contenait ces vertus thérapeutiques, depuis, la recherche (à l’international) a permis de découvrir plusieurs cannabinoïdes qui participent à soulager tout un tas de douleurs, qu’elles soient d’ordre neurologique, musculaire, ophtalmique, osseux, etc. Des chercheurs américains travaillent actuellement sur les effets du cannabis sur les cancers, mais je reste sur mes gardes quant au résultat des études, j’ai très peur de ce qui s’est passé à la fin des années 80, quand un mouvement venant de Suisse (Zurich) a prôné l’usage de certaines plantes médicinales pour guérir du sida et arrêter les traitements : les gens qui y ont cru sont morts. Il faut certes se méfier des théories médicinales alternatives, mais le mieux serait qu’en France on aide davantage les chercheurs à travailler sur cette question. Peut-être que certains cannabinoïdes ont un effet sur les cellules cancéreuses, mais en France aucun cancérologue, aucun chercheur ne s’avance sur cette question. Si je prends mon exemple, mon cancérologue me dit que si cela me fait du bien il ne faut pas arrêter, mais je ne peux pas en discuter avec lui. En revanche, mon médecin traitant en discute facilement car il a d’autres patients qui, eux, sont séropositifs et il voit les effets bénéfiques du cannabis sur ces patients.

Est-ce un enjeu à prendre en compte quant à l’arrêt du tabac chez les personnes vivant avec le VIH ?

Vivre avec une maladie chronique ou un cancer est un énorme facteur de stress, et puis quand on angoisse, on fume davantage. Le cannabis est, pour beaucoup de malades, un antidépresseur, un moyen de faire diminuer le stress quotidien… Le problème est dans le joint : la consommation de cannabis et tabac sous forme de cigarette. Car ce n’est pas le cannabis en lui-même, mais sa combustion avec du tabac qui fait des dégâts au niveau pulmonaire et immunitaire. La combustion de l’herbe (cannabis sous forme naturelle) libère cinq fois plus de monoxyde de carbone que le tabac. Et pour arrêter la cigarette, il faut stopper ces deux consommations en même temps. Le tabac est un piège. Même si l’on possède l’information, c’est une vraie drogue. Il est donc important de dire aux personnes séropositives que fumer fragilise énormément et qu’arrêter est crucial pour leur santé. C’est la meilleure chose à faire, mais stigmatiser ou faire culpabiliser n’aide pas les fumeurs à arrêter. Beaucoup d’anciens fumeurs de joints ont réussi à quitter la “fumette” pour seulement vaporiser ou ingérer le cannabis. Mais c’est un mécanisme de transition complexe, et l’arrêt du tabac peut être facteur de dépression, surtout lorsqu’on s’est “construit” mentalement avec depuis longtemps. J’ai fait partie des “fumeurs lourds” et j’ai eu du mal à arrêter de fumer.

Pensez-vous que le cannabis thérapeutique puisse être un moyen d’amélioration de la vie des personnes séropositives ?

Oui, je dirais que cela apporte un meilleur confort de vie et beaucoup en témoignent plus librement maintenant. La logique voudrait que pour exploiter ses vertus, on ne fume pas le cannabis, mais qu’on le vaporise sur le même principe que l’e-cigarette, ou qu’on l’ingère par des décoctions, des gélules ou en le mélangeant à des aliments. Le cannabis possède un véritable intérêt thérapeutique pour les personnes, en agissant de manière efficace sur les effets indésirables majeurs des traitements. L’évolution récente de la loi [le décret du 5 juin, voir ci-dessous, ndlr] va aider à libérer la parole et les médecins vont pouvoir comprendre que le cannabis est efficace contre certaines pathologies et donc écouter enfin leurs patient-e-s. Avoir accès à un nouvel outil bénéfique à la santé, c’est pouvoir s’en faire prescrire, mais pas dans une forme “fumée”.  Mais cela induit de ne pas infantiliser les personnes.

Aujourd’hui, on ne donne pas suffisamment accès à des outils de substitution parfois onéreux, comme l’e-cigarette, qui favorisent l’arrêt d’une consommation qui coûte, elle aussi, en matière de santé. Je pense que cette volonté de créer une “guerre” entre non-fumeurs et fumeurs, en pointant du doigt la cigarette électronique comme nouveau mauvais exemple, est contre-productif. On dit aux gens : “Cachez-vous”. Mais stigmatiser une population de fumeurs, c’est stigmatiser également une population d’usagers de drogues.

Où est l’autorisation de médicaments à base cannabis thérapeutique en France ?

Le décret du 5 juin 2013 du ministère de la Santé va permettre l’autorisation de délivrer un médicament à base de cannabis naturel sous forme de spray (Sativex) et sa vente en pharmacies, mais avec une autorisation temporaire d’utilisation [Le 9 janvier 2014, le ministère de la Santé a délivré une autorisation de mise sur le marché pour ce médicament qui devrait être commercialisé en France en 2015]. Il était déjà possible depuis les années 90 d’obtenir un dérivé synthétique du cannabis, le Marinol, restreint à deux pathologies : cancer et  VIH, pour lutter contre la perte d’appétit et les nausées. Mais trop peu dosé, il reste assez peu efficace et provoque chez certains des angoisses et des maux de tête. Le Sativex a l’atout d’être du cannabis pur et utilisable en spray. L’Autorisation de mise sur le marché, a priori, n’est recommandée que pour les personnes atteintes de sclérose en plaques et/ou souffrant de douleurs neuropathiques. Cette décision, qui ouvre la porte vers une modification de la loi sur les stupéfiants concernant le cannabis pour la reconnaissance de ses vertus thérapeutiques, est une bonne chose, mais malgré cette ouverture cela ne permet pas son usage, ni sa production (personnelle à titre thérapeutique) : cela veut dire que ce sera du Sativex et rien d’autre ! La France reste en retard derrière de nombreux pays (Espagne, une vingtaine d’états aux Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Italie, Nouvelle-Zélande, Australie, Pays-Bas, etc.) qui reconnaissent désormais l’intérêt curatif des principes actifs du cannabis, et en permettent sa détention, son usage et pour certains une petite production : toutes ces choses qui, ici, vous mènent droit au tribunal.

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