Une histoire des homos suisses

En 1942 entrait en vigueur la dépénalisation partielle de l’homosexualité. Quoi donc qu’est-ce comment? Vraie avancée ou hypocrisie? Un peu des deux mon Capitaine.

«A quoi bon poursuivre les invertis? C’est un vrai bonheur pour la société que ces malheureux psychopathes se contentent de leurs rapports mutuels, dont le résultat est absolument stérile et ne nuit en rien à notre descendance.» Auguste Forel, 1906. Un type sympa, ce Forel. Limite progressiste, pour l’époque. C’est avec cette citation que les historiens Thierry Delessert et Michaël Voegtli préfacent leur ouvrage «Homosexualités masculines en Suisse, De l’invisibilité aux mobilisations», sorti dernièrement aux Presses polytechniques et universitaires romandes. Outre l’histoire des associations, ce petit livre orange et fort bien documenté décrit, entre autres, les débats qui ont accouché de la dépénalisation partielle ainsi que le processus de catégorisation des homosexuels par toute une série d’experts, juristes et psychiatres. Dont Forel, donc. Auguste-Henri de son prénom, Vaudois de son état, entomologiste et psychiatre suisse au tournant des 19e et 20e siècles.

Pirouette rhétorique

Forel (1848-1931) est le fondateur de la chaire de psychiatrie de Zurich. Il influence la construction de l’avant projet de code pénal (voté en 1937 et entrée en vigueur en 1942), s’agissant notamment de l’amendement des criminels malades mentaux. Il introduit une notion capitale dans les débats, à savoir la notion de responsabilité restreinte, et surtout le concept qui, en un sens, changera tout: celui de dégénérescence, explicité par Thierry Delessert (photo) et Michaël Voegtli dans leur ouvrage. Pour Forel donc, l’homosexualité est une dégénérescence et non un vice, comme le veut la tradition chrétienne.La subtilité est de taille. Ce n’est donc pas répressible, donc non punissable. Fastoche. Alors que la règle canonique, elle, prône l’interdiction totale des vices. La volonté de légiférer sur le sujet se retrouve aussi dans l’idée du psychiatre selon laquelle «l’homosexuel est un malade, et que le rôle du droit est de protéger celles et ceux qui pourraient acquérir ce comportement.»

Côté chronologie, nous sommes ici dans les années 1910. Selon l’historien Thierry Delessert, «Forel était à son époque considéré comme un ingénieur du social». «Sur le papier, expliquet- il, ça donne la citation précitée selon laquelle il vaut mieux laisser les invertis entre eux, comme ça, ils ne lèguent pas de tare à une descendance.» Ça fait mal à une partie de l’anatomie de l’écrire, mais à l’époque, «ce concept est considéré comme une avancée». Joie. «A bien des égards, Forel à aider à libérer les homosexuels», ironise Thierry Delessert. dépénalisation partielle émerge dès la fin du 19e siècle. Dans les années 1910, nous expliquent les auteurs, un scandale en Allemagne va influencer la Suisse. Un scandale qui touche les proches de l’Empereur Guillaume II accusés d’homosexualité. Les bougres. «La Suisse ne veut pas de ce type d’affaire, raconte Thierry Delessert. Cela la conforte donc dans sa volonté de laisser les actes entre adultes consentants dans la sphère privée.»

Un nouveau code pénal

Dans les années 20, les politiciens helvétiques s’emparent du débat: les socialistes s’allient aux radicaux contre les conservateurs, les débats sont serrés. Pour les milieux religieux et traditionnalistes, la dépénalisation entrainerait une augmentation de l’homosexualité. Cela pourrait donner des idées vous comprenez. Fin 1937 se tient la lecture finale des 400 articles du Code pénal, un referendum est lancé. Août 38, votation populaire. La guerre survient, ce n’est donc qu’en 1942 que le Code pénal entrera en vigueur. Le but n’est clairement pas de reconnaître l’homosexualité en tant que telle. L’idée est plutôt «qu’une dépénalisation partielle serait la meilleure prévention contre les scandales». De plus «la pénalisation n’a pas du tout fonctionné» en Allemagne selon certains scientifiques, ce qui influera la Suisse dans son idée progressiste. Cerise sur le gâteau (ou string sur le chippendale c’est selon) un questionnaire est réalisé en 1929 auprès d’homosexuels suisses et les résultats sont édifiants: «l’homosexuel, en raison de l’opprobre sociale et de la répression pénale, est contraint à porter un masque et à mener une double vie, ce qui provoque une souffrance.» «C’est ça le progressisme helvétique! se réjouit Thierry Delessert.

Pénétrer ainsi la société helvétique, le vécu au quotidien, c’est une vraie approche progressiste de la Suisse, où l’on emprunte de nouvelles sciences, en l’occurrence la sociologie, pour objectiver un phénomène social.» Mais alors n’était-ce point de l’hypocrisie? «Non ils étaient sincères, à leur manière! rétorque Thierry Delessert, chercheur à l’UNIL. Ils ne voulaient pas que Zurich devienne Berlin. L’homosexualité doit être endiguée dans une hygiène sociale et morale.» Et doit rester invisible, une notion partagée par les autorités et Der Kreis, l’ancêtre des associations homosexuelles. A cette époque, on parle d’intégration invisible, viendra ensuite la période de l’intégration visible (avec le mouvement homophile) avant de passer à la libération homosexuelle des années 70, puis au coming-out.

Une abrogation tardive

Dans le courant des années 1980, les autorités lancent une procédure de révision du Code pénal. Le militantisme de l’époque permet aux homosexuels de s’installer comme instances de lobbying. «La coordination des homophiles et la coordination suisse des homosexuels – les ancêtres de Pink Cross – sont reconnues comme des instances avec qui parler», détaille l’historien. C’est le temps des militances de rues, du Sida. «Si avant les autorités influaient sur les associations, dans les années 1980 c’est le contraire.» C’est pourquoi ce n’est qu’en 1992 que la dépénalisation partielle de l’homosexualité est abrogée: la prostitution homosexuelle est autorisée, l’abus de détresse est équivalent entre hétéros et homos, et la majorité sexuelle est maintenant la même pour tous.

Exception masculine

Et encore … Tout ce qu’on vous raconte là, c’est pour les hommes. La sexualité des femmes (hein?) n’était pas thématisée. Elle n’existait pas. C’était une bonne société bien patriarcale qui réfléchissait à l’homosexualité. Les lesbiennes (les quoi?) sont encore moins connues, «on n’en parle pas pour ne pas donner l’idée aux jeunes filles de faire pareil», chuchote Thierry Delessert. Mais ça, ça fera l’objet d’un autre papier, sinon, on n’est pô rendu ma brave Mauricette.

«Les homosexuels sont un danger absolu. Homosexualité masculine en Suisse durant la Seconde Guerre mondiale», de Thierry Delessert. Editions Antipodes.

«Homosexualités masculines en Suisse. De l’invisibilité aux mobilisations», de Delessert Thierry, Voegtli Michael, Collection Le Savoir Suisse 81, Presses polytechniques universitaires romandes.

source:http://360.ch/blog/magazine/2012/06/une-histoire-deshomos-suisses/