Témoignage. Un an de « Manif pour tous » : athée, homo et maintenant débaptisé

Septembre 2012, je reviens d’un long semestre dans la capitale Allemande, un tournant décisif dans ma vie. Berlin, mon échappatoire, cette ville où j’ai dû m’exiler pour enfin apprendre à m’aimer, là-bas, à l’abri des regards, en finir avec la haine de moi.

Je ne m’étendrai pas en détail sur mon parcours et ses douleurs, toutes ces années où j’ai pensé que mourir serait plus simple que d’assumer ce que j’étais, ces deux dépressions camouflées, l’alcool et les drogues, et quelques comportements que d’aucun jugeront extrêmes.

Mais je peux dire qu’il a été long, le chemin de l’acceptation. Il m’en aura fallu du temps pour marcher enfin la tête haute, ne plus ciller, ne plus me taire, comprendre ce que le mot fierté veut dire.

En septembre, me voilà de retour à Paris avec des souvenirs plein la tête, un amoureux Irlandais qui m’adore et la résolution de ne plus jamais mentir, même et surtout par omission.

J’apprends encore à l’époque (et je l’apprends toujours aujourd’hui) à construire et apprivoiser mon identité, je lutte encore un peu avec les étiquettes et les mauvais souvenirs mais je suis un peu plus heureux.
Je ne sais pas encore comme l’année scolaire (je suis encore étudiant) qui va suivre sera rude.

Facebook, le début de l’angoisse

Dès la toute fin de l’été, les débats sur le mariage commencent à pointer leur nez sur Facebook. Trois de mes cousins (un futur St-Cyrien, un étudiant en médecine envisageant actuellement la prêtrise et un étudiant à Science-Po) qui sont frères et catholiques pratiquants prennent position contre.

N’ayant qu’une patience limitée pour les gens qui parlent politique sur Facebook, je leur rentre dedans par principe (ils ne savent pas, à l’époque, que je suis homosexuel, peut-être ne le savent-ils toujours pas d’ailleurs). Les débats dégénèrent rapidement, je finis par les supprimer de mes amis, ne supportant pas leur acharnement sur le « mariage » gay (avec des guillemets, s’il vous plait), qui occupe de plus en plus de leur posts.

Lors d’une conversation privée, l’étudiant en médecine m’explique, interview de l’Abbé Grosjean à l’appui, que l’Eglise n’est pas homophobe (même si elle prétend que les homosexuels doivent s’abstenir et que l’homosexualité relève d’un désordre moral). Puis de m’envoyer vers le blog de Philippe Arino, avec ses thèses douteuses sur la violence de l’acte homosexuel et le « désir de viol ».

Au détour de cette discussion, mon cousin finit par m’avouer, gêné, « ne pas être un expert concernant le désir homosexuel ». Autrement dit il n’y connaît rien, n’a jamais vu un queer de sa vie. Au moins il en est vaguement conscient…

Il n’empêche qu’aujourd’hui nous ne nous parlons plus. Ni lui, ni aucun des deux autres.
Novembre : les premières manifs

Les débats sont durs, mais ce ne sont que des mots. A partir de novembre, l’impensable se produit : les gens transforment leur (bonne ?) parole en actes et partent en croisade dans la rue. Je suis choqué, mais pas surpris. Je pense que ça ne durera pas, attends que le mouvement se tasse.

Parmi eux, ma tante et marraine, avec ses deux aînés. Dont l’un, âgé de 16 ans, partage depuis quelques temps des vidéos d’Alain Soral sur Facebook, qualifiant les Femen de « putes ». Je m’interroge sur la teneur des débats, quand ils dînent dans leur pavillon de banlieue.

Retrouvant à Londres mon amoureux irlandais le temps d’un week-end, je loupe la manif de décembre (en soutien au mariage) et m’en veux.

Sur Facebook, les gens se dévoilent. Je réalise que d’anciens amis, des gens avec qui j’ai partagé des bons moments et suis même parti en vacances, n’apprécient pas « l’homofolie ». Ils se félicitent les uns les autres de « défendre la famille » et de « protéger les enfants ». Ils sont si arrogants et fiers, tellement sûrs de leur bon droit et de la supériorité de leur mode de vie.

Je ressens un profond dégoût quand je les vois se faire passer pour des martyrs, se croyant une minorité opprimée : ce sont de jeunes privilégiés et je connais leur façon de penser, je m’en rends mieux compte, à présent : j’ai longtemps été un des leurs, j’ai même grandi parmi eux ; au Vésinet (Yvelines) puis en école de commerce j’ai tout fait pour leur ressembler.

(Mal)heureusement j’étais pédé.

Je fais du tri dans mes contacts. J’ai la haine de ces gens qui prétendaient un jour m’aimer. Je me souviens de leurs petites blagues et mon passé me revient à la gueule, l’homophobie intégrée et le reste, quand moi aussi je pensais, comme eux, qu’être homo était ridicule, que c’était passable chez les autres, mais chez nous jamais, quand même pas ! C’est qu’on a des valeurs, enfin, une éducation, croyez bien.

Décembre : en finir avec les mensonges

C’est un sale moment à passer, une tâche injuste et harassante mais il va bien falloir s’y coller : annoncer à mes parents que je sors avec un garçon. Mes frères et sœurs sont au courant, il est temps de lever le voile complètement. Ce que je fais.

Leur réaction n’est pas affreuse, elle n’est pas dramatique ou violente. Elle est tout simplement frustrante. Ignorante. Pleine de bêtise et de préjugés.

Mon père me dit « tu t’engages sur une voie difficile ». J’aimerais pouvoir lui répondre que le plus gros du chemin est derrière et que je l’ai parcouru seul. Que les années noires sont passées et que maintenant c’est trop tard.

J’aimerais lui expliquer que ce n’est pas un choix et que je m’en serai même bien passé, lui dire que plutôt que d’être soucieux, il devrait être fier, ce con. Je ne le fais pas.

Il me demande si mes frères et sœurs sont au courant. Je lui réponds que oui. Ses phrases suivantes me donnent la gerbe tant elle sont bêtes et décevantes, peu dignes de quelqu’un comme lui :

« Tu n’aurais pas du faire ça. Et ton petit frère ? Il est encore jeune ! Tu imagines, et si ça l’influence ? Nous sommes ses parents, tu aurais du nous demander notre avis. »

Je voudrais lui répondre que si mon frère aime les garçons alors il a bien de la chance d’avoir un frangin tel que moi. Je ne le fais pas.

Ma mère elle semble plus préoccupée de savoir qui est au courant et surtout ce que ses amies en penseraient.

Je finis par raccrocher avec un sale nœud dans le ventre.

Peu de temps après, je me confie à ma grand-mère, une chrétienne comme on en fait plus. Je lui raconte ma honte de ne pas avoir osé lui dire, quelques mois auparavant, quand en plein débat sur le genre, elle m’avait demandé : « Tu en connais toi, des homosexuels ? » Je m’étais tu. J’avais tort.

Ma Manou comprend, j’ai l’impression, elle m’assure de son affection. Et même si elle reste convaincue que ce sont « des gens qu’il a rencontré sur une île en Grèce » qui ont rendu un de ses frères introverti, même si elle pense qu’être homosexuel rend les gens terriblement malheureux, je sens qu’elle est fière de moi. Et qu’elle changera bien d’avis. Sur le mariage et sur le reste.

Au diner de Noël, mon grand-père, de l’autre côté, enchaîne des crasses sur les pédés. Il ne sait pas. Je croise le regard de ma mère. Personne ne bronche. On change de sujet, et de cible : il balance une sale blague raciste et poursuit sur les immigrés. Crevure.

Janvier : la débaptisation, enfin

L’idée est là depuis plus de six mois mais, ces derniers temps, l’envie se fait sentir, de plus en plus forte. A partir d’octobre, je harcèle mes parents pour connaître la date de mon baptême, nécessaire pour faire acte d’apostasie.

Athée depuis mes 12 ans, je ne supporte plus que mon nom puisse être associé de quelques manières que ce soit à une institution violente et rétrograde qui oserait émettre un jugement sur ma vie amoureuse et sexuelle.

En janvier, je franchis le pas. J’écris à l’évêché de Versailles pour demander à ce qu’on mon nom soit rayé, mais laissé visible, des registres de l’Eglise, qu’y soit inscrite la mention suivante :

« A renié son baptême par lettre datée du 22 janvier 2013. »

Après un échange très cordial avec le chancelier du diocèse, qui m’explique les conséquences de ma démarche et demande une copie de ma pièce d’identité, me voilà enfin débaptisé. J’en ressens un grand soulagement. Moi, Matthieu Marie (mon prénom en entier), je ne veux plus jamais être de ces gens là.

Ma manif, ma famille, ma joie

En janvier, alors que j’ai dormi quelques heures et suis en descente de MDMA, je vais militer pour mes droits. Ma première manif, MA manif. Je marche avec des gens comme moi mais aussi plein d’hétéros solidaires, dont deux amis que j’ai trainés ici, et des trans qui sont là pour nous. Je suis plein de reconnaissance, de joie d’être parmi les miens. Même les frasques d’une poignée de fachos n’arrivent pas à ruiner ce jour. Je me sens soulagé d’être là et de m’être levé malgré tout, je crois que si je l’avais loupée je l’aurais regretté toute ma vie.

Deux petites gouines se roulent des pelles, deux bears dansent et se donnent en spectacle, je sens ma gorge qui se noue. J’ai des larmes qui me montent aux yeux mais je les ravale tant bien que mal. Je ne veux pas que mes amis les voient, ne souhaite pas qu’ils voient mes fêlures, ma plaie béante est toujours là mais je l’ignore, comme d’habitude.

Alors je me concentre sur ma famille, ma grande et belle famille queer, profite de la magie du moment. Le temps est clément, aujourd’hui, le soleil éblouit mes yeux rougis par le manque de sommeil et illumine le ciel bleu. Si dieu existe il est avec nous.

Au printemps : l’overdose face à l’obsession

Les mois suivants, la mèche prend feu. Impossible d’y échapper : « mariage pour tous » à toutes les sauces, resservi à tous les repas. Si je suis convaincu que la cause LGBT a souvent manqué de visibilité, cette obsession soudaine me tue. La France, ou du moins une partie, découvre les pédés et les gouines qui semblaient planqués jusqu’alors, et se passionne pour le sujet (pour les trans, par contre, on repassera). Ma sexualité, ma vie amoureuse et mes chances de me marier se retrouvent dans toutes les bouches. On parle de nous en permanence, on nous prend à parti, c’est usant.

Une véritable indigestion. Car si les gens, pour ou contre, s’obsèdent maintenant pour cette question, aucun ne semble imaginer la douleur que ce débat provoque. Aucun n’a l’air d’avoir idée de la peine immense qu’on ressent. Voir des nuées défiler dans la rue et militer contre mes droits a quelque chose d’ahurissant, de suffoquant, de terrifiant et d’attristant.

Un jour que sur le quai du métro à Boulogne, je me retrouve au milieu d’une horde rose et bleu, rentrant joyeusement de sa marche, je dévisage les jeunes enfants de ces familles bien habillées et me revois, quelques années plus tôt. Dans le lot, il y en a forcément… Les pauvres. Alors je contemple les rails et une vieille idée me reprend. Je me souviens d’une époque où je me demandais « comment c’est, quand un wagon vous passe dessus : est-ce la loco qui enfonce le crâne ou les roues qui tordent les os ? ».

En avril, dans la même semaine, Wilfred de Bruijn se fait agresser et le Printemps fait des siennes. Il ne fait plus bon trainer la nuit, la tension monte, c’en devient flippant. Non pas que je craigne pour ma peau (je suis un « homo invisible ») mais Paris m’écœure violemment : je commence à frôler l’overdose.

L’overdose oui, face à l’obsession. Je voudrais juste qu’on en finisse, que la loi passe et qu’on tourne la page. Ce débat vire à l’affaire Dreyfus, la société française se divise. Ma famille illustre la fracture : la plupart des cousins ne se parlent plus, ils se sont scindés en deux clans : les catholiques d’un coté, les athées de l’autre, c’est aussi bête et caricatural que ça.
Mes parents au milieu se taisent, n’ont pas le moindre mot de soutien. « On ne parle pas de politique… »

La loi votée : une fête gâchée

Le 17 mai, la loi est votée. Ma grand-mère, innocemment, m’appelle, me demandant de mes nouvelles. Je ne tilte pas tout de suite mais crois saisir, quand j’ai raccroché, que c’est sa façon de fêter avec moi.

En fait, je ne réalise pas. Je ne suis même pas tellement joyeux. Ce qui devait être une joie me laisse un étrange goût amer, que je ne connais que trop bien. La fête est gâchée, exactement comme ce diner de Noël sali par un grand-père bourré. D’ailleurs, je n’ai personne avec qui célébrer : j’ai quitté le bel Irlandais. Qu’est ce que j’en ai à branler, du mariage, moi qui ne crois plus tellement en l’amour et doute même que les pédés y aient droit ?

Pour la gay pride, même scénario : personne pour venir avec moi. Ces hétéros que sont mes potes ne voient pas bien ce qu’ils foutraient là, aucun d’entre eux ne semble comprendre combien c’est important pour moi. Heureusement qu’un petit amoureux, un garçon rencontré en boîte, me prend gentiment sous son aile. C’est avec lui que je défile, jaloux de voir tous ses amis qui sont là mais quand même bien content d’être ici, malgré une descente lancinante (toujours de la MDMA).

En Hollande, je suis heureux d’être moi-même

Aujourd’hui, je suis reparti. Je ne dirai pas que c’est à cause de ça, j’avais des tas d’autres raisons sans doute, mais ça a sûrement joué un peu. Mon pays m’a soulé cette année, je n’aimais que peu Paris avant mais maintenant c’est encore pire : quelque chose est cassé. Il me faudra du temps pour revenir.

J’écris ce témoignage d’Amsterdam, c’est fou comme c’est différent ici : les « rainbow flags » sont quasiment partout et personne ne trouve rien à y redire. Les gens y vont à la gay pride en famille parce que c’est comme ça, tout bêtement.

On peut y dire qu’on est pédé sans passer pour un dégénéré. Juste un bonhomme comme les autres, avec son vécu, ses blessures… J’essaye de les panser d’ailleurs. J’écris beaucoup, ça me fait du bien. Mes bobos nourrissent mes histoires, que je rêve de voir publiées. Je continue de me construire et d’apprivoiser qui je suis (ça durera sûrement très longtemps), et découvre les joies de Grindr. Je suis heureux d’être moi-même et essaye d’accepter le passé.

Mais cette année (2012-2013, toujours cette histoire d’année scolaire), je ne l’oublierai pas. Ni toi, marraine, ni vous, cousins. Ni tous les autres non plus, d’ailleurs.

Matthieu Foucher | Etudiant
Rue89.com