Témoignage d’une victime de l’homophobie : Bruno Wiel répond à nos questions

Il a y six ans, Bruno Wiel se faisait agresser par quatre individus avec pour motif, son homosexualité. Un an après le procès, nous avons souhaité prendre de ses nouvelles.

Vous vous êtes fait agresser il y a six ans, comment allez-vous aujourd’hui ?
J’ai appris à vivre avec mes séquelles. J’ai surtout pris conscience que je ne serais plus le Bruno d’avant. Il m’est maintenant impossible d’enchaîner les soirées (besoin de beaucoup d’heures de sommeil), de vivre sans mon cerveau papier (un calepin sur lequel je dois presque tout noter ce qui m’évite d’oublier des choses à faire ou de faire deux fois la même chose par exemple). La gravité du traumatisme crânien a déjoué tous les pronostics des médecins qui pensaient que je ne sortirais pas du coma, ou qu’au mieux je serais en fauteuil roulant et incapable de vivre seul. Le 19 juillet prochain, cela fera 6 ans qu’en sortant du Banana Café et en essayant de trouver un taxi pour rentrer chez moi, que j’ai été enlevé par ces quatre personnes. J’ai repris mon indépendance, je vis désormais seul depuis presque deux ans après avoir vécu tout d’abord chez ma maman à la sortie de l’hôpital, puis en colocation avec un de mes petits frères, ensuite en colocation avec ma maman, j’ai ensuite pris un appartement seul en Basse-Normandie il y a un an et demi.

Etes-vous satisfait des condamnations et comment avez-vous vécu le procès ?
Comment pourrais-je être satisfait du verdict du procès civil ? Des années d’emprisonnement ne pourront jamais rien réparer. J’ai juste été soulagé que la circonstance aggravante d’homophobie ait été retenue, ce qui n’était pas gagné puisque ces quatre personnes ont louvoyé durant toutes les journées aux assises de Créteil, ils étaient bien préparé par leurs avocats. Ils n’ont par exemple jamais parlé de la façon dont je me suis retrouvé dans leur véhicule. Heureusement, un appel anonyme a donné la plaque d’immatriculation du véhicule de location utilisé par mes agresseurs, cet appel précisait que j’avais été frappé avant d’être poussé dans le véhicule. Selon leurs déclarations durant le procès, ils m’ont alors fouillé pour me voler argent et téléphone portable : je n’avais que dix euros sur moi, et j’avais oublié mon téléphone portable chez ma tante chez qui j’avais passé en début de soirée : l’avocat général leur a aussitôt demandé pourquoi alors m’avoir emmené dans ce parc de banlieue parisienne si leur seul but était de me voler. Ce procès a été des journées très très intenses, la semaine d’avant, j’étais déjà à Paris pour répondre dans le cabinet de mes avocats aux questions des journalistes. Nous pensions ainsi ne pas être sollicités durant le procès. Ce fut tout le contraire, et comme vous pouvez le constater en faisant une recherche Google, le procès a été énormément couvert : j’ai essayé de répondre au maximum de journalistes durant les pauses mais ils n’en avaient jamais assez. C’est la première fois en France qu’un crime reconnu homophobe a été autant médiatisé : j’ai toujours voulu que ce que j’ai subi serve à d’autres en éveillant les consciences.

Votre vie a-t-elle changée depuis ce jour-là et est-ce que cela a déclenché chez vous le besoin de participer ou de vous investir dans l’associatif ?
Ma vie a plus que changé, j’ai d’ailleurs été élevé deux fois par ma maman ! À ma sortie du coma, elle avait pris une location à côté de l’hôpital et me donnait à manger à la cuillère comme à un enfant. Je ne parlais pas et ne m’exprimais qu’avec les yeux, personne ne savait comment j’allais évoluer. On m’a ensuite réappris à marcher… J’ai donc du tout réapprendre. C’est aussi la raison pour laquelle seul le procès pénal jugeant mes agresseurs pour leurs actes s’est tenu. Le procès civil, pour mon « dédommagement », ne pourra intervenir que lorsque les experts médicaux auront statué sur mon cas, je suis en effet très loin de leurs pronostics au vu de mon état actuel et celui dans lequel j’étais lorsque l’on a découvert mon corps dans ce parc. Mon cas a mobilisé les plus grands experts médicaux et, selon le dernier compte rendu reçu, ce procès devrait se dérouler avant la fin de l’année… Je pourrais enfin tourner la page sur cette histoire mais continuerais à militer contre l’homophobie car comme je l’ai déclaré plusieurs fois, ce que j’ai subi ne peut plus exister en France. D’autres agressions et crimes se sont produits depuis mon histoire et malheureusement les médias n’en parlent pas. Si je peux continuer à alerter et à parler des ravages de l’homophobie en m’appuyant sur mon histoire, et pour montrer que nous sommes des citoyens égaux aux autres, je resterais présent.

Merci Bruno pour ce témoignage.

Propos recueillis par LGP Marseille, association organisatrice de la Lesbian & Gay Pride et de l’EuroPride Marseille Méditerannée 2013.

source:http://www.lgpmarseille.fr/bruno-wiel-temoigne-un-an-apres-son-agression-homophobe/