Soutien aux proches de Jacques KOTNIK

Si nous nous sommes réunis aujourd’hui, c’est avant tout pour exprimer notre soutien aux proches de Jacques KOTNIK, qui a succombé à une agression particulièrement violente, exclusivement motivée – aux dires de l’agresseur présumé – par la volonté de tuer “un PD”.

Permettez moi tout d’abord, de préciser que le choix de ce lieu de rassemblement, ne tient ni du hasard ni d’un sens malsain de voyeurisme. Le parc d’Avroy ne peut être résumé à une scène de crime ou à un lieu de drague glauque pour homosexuels en manque de sensations. C’est, en effet, l’un des espaces verts préférés des Liégeoises et des Liégeois mais aussi de nombreux touristes. Il accueille différentes manifestations culturelles et festives.

Situé sur une axe de grand passage, il est également, par la force des choses, le théâtre de nombreuses rencontres fortuites ou non. Leurs motivations ne sont que rarement sexuelles et dans ces cas là, le partenaire recherché n’est pas nécessairement du même sexe. Nous tenions à ce que cela soit dit sans ambiguïté.

D’autre part, si le parc est vaste, c’est symboliquement au pied du Monument National à la Résistance que nous avons décidé de nous retrouver car il s’agit d’un acte de résistance face à l’intolérance que nous posons. A ce sujet, nous tenons tout particulièrement à remercier les responsables de l’Association Royale “Monument National à la Résistance” qui, ayant pris connaissance de nos motivations, nous autorise, à titre tout à fait exceptionnel, à nous rassembler ici.

Mais, revenons en à Jacques.

Jacques Kotnik était un homme ordinaire. Après un parcours scolaire assez court, il occupe des emplois demandant peu de qualifications (des petits boulots comme on dit) jusqu’au jour où il est victime d’un accident qui le plongera en incapacité de travail. Il y a environ trente ans, il rencontre celui qui deviendra son compagnon et dont il partagera la vie jusqu’à son décès en 2008. Selon le témoignage de proches, cette disparition sera le point de départ d’une lente et incompréhensible descente sociale. Les relations familiales se distendent, l’appartement et la voiture disparaissent dans le passé. Toujours d’après ses proches, Jacques était un homme gentil de caractère. Il ne se livrait pas facilement et certains sujets trop personnels n’étaient jamais évoqués.

Malgré la perte de son logement, il avait gardé sa fierté, veillant toujours à conserver son hygiène corporelle et vestimentaire ;  évitant de sombrer dans le piège des addictions (pas d’alcool pas de drogues) ; refusant de faire la manche mais acceptant volontiers ici le verre offert par une connaissance, là le repas servi dans les associations accueillant des sans abri à leur table.

Cette existence discrète a brutalement été interrompue à 61 ans par l’attaque meurtrière dont il a été victime ce 25 juillet dernier

En 2003, la Belgique ouvre l’accès au mariage à tous les couples, sans distinction. Trois ans plus tard, les couples de même sexe se voient accorder le droit d’adopter des enfants.

De plus, nos législateurs ne cessent de renforcer les cadres légaux qui condamnent et sanctionnent les actes et paroles discriminatoires notamment homophobes.

Et pourtant, en Belgique, en 2012 :

– les blagues de “PD” ou de “GOUINES” et les expressions fleuries s’entendent au quotidien dans les cours de récré, dans les usines, dans les bureaux, etc…

– des locations ou acquisitions de biens immobiliers sont refusées sous des  prétextes divers lorsque ce sont deux femmes ou deux hommes qui se présentent.

– des candidatures sont rejetées lors d’embauche et des collaborateurs sont  oubliés lors de promotions dans des entreprises.

– certain(e)s sont même licencié(e)s quand leur orientation sexuelle est  découverte.

– des insultes et menaces de toutes sortes sont proférées, en rue, dans des stades et les clubs sportifs; des coups sont portés et tout cela le plus  généralement dans l’indifférence générale  ou presque.

Mais à côté de cette homophobie “ordinaire”, ambiante, banalisée, l’année 2012 restera une année noire :

– le 1er mai, un jeune homme, disparu à la sortie d’une boîte de nuit à  Liège, est retrouvé assassiné dans un champ dans la région Hutoise. De  l’enquête, toujours en cours, il ressort que c’est son homosexualité qui aurait déclenché la violence de ses trois agresseurs. Au lendemain de  cette découverte, de nombreuses personnes ont manifesté leur  indignation au cours de deux  rassemblements citoyens.

– le 2 juin, un couple lesbien est agressé verbalement par un groupe de jeunes gens au centre de Liège. Un homme, qui voulait s’interposer pour protéger les deux femmes d’une éventuelle agression physique, est roué de coups à même le sol provoquant 8 jours d’incapacité de travail.

– le 18 juillet, deux hommes sont agressés à coups de chaises et de queues de billard à Alost. L’un d’entre eux, dans un état critique, n’est sorti du coma que quelques heures plus tard. Les témoins indiquent que les agresseurs s’en sont pris à eux en apprenant leur homosexualité.

– le 25 juillet,  Jacques est tué à coups de marteau à Liège. L’auteur présumé des faits dit “s’être défendu” face à une  proposition  homosexuelle”. On remarquera quand même qu’il portait un marteau à la ceinture.

Ces agressions relativement rapprochées dans le temps ne peuvent que rappeler que le cadre législatif, aussi répressif soit-il – et on ne peut que se réjouir des modifications adoptées par le gouvernement fédéral à la veille de la fête nationale – est loin d’être suffisant. Une fois de plus, démonstration est faite que c’est au niveau de la prévention, c’est-à-dire du changement des mentalités que les efforts et les actions doivent se concentrer.

A ce niveau, la modification du décret mission, adoptée ce 11 juillet et incluant l’éducation à la vie affective et sexuelle, est une avancée significative.

Les autorités communales liégeoises s’étaient engagées à organiser un groupe de travail composés de responsables de services communaux et de représentants des associations de défense des droits des personnes LGBT afin de définir des pistes d’action au niveau local. Celui-ci est déjà réalité et une première réunion a déjà été organisée.

De plus Arc-en-ciel Wallonie s’est attachée à la conception d’animations en milieu scolaire.

Il est évident qu’il est plus facile et plus judicieux d’induire des comportements civiques et tolérants par une information neutre et objective que de combattre préjugés, clichés et intolérance souvent engendrés  par l’ignorance.

Mais l’éducation ne doit pas se limiter à l’enseignement.

A titre individuel, chacun(e) d’entre nous peut, au quotidien, peser dans ce sens: réagir à des “blagues” homophobes racontées par un(e) collègue ou un(e) proche, intervenir (sans se mettre en danger) et dénoncer les agressions plus graves.

Ces deux axes d’actions seront certainement les armes les plus efficaces dans cette lutte. Peu à peu, nous devons inverser la situation et faire en sorte que ce soient les homophobes qui se sentent rejetés et condamnés.

C’est cette conviction qui nous avait déjà décidés à organiser le rassemblement du 17 mai dernier, déclarée “Journée Mondiale de Lutte contre l’Homophobie” en référence au 17 mai 1990, date à laquelle l’O.M.S. retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales.

C’était pour nous l’occasion :

Un, de rappeler que l’homophobie est malheureusement une réalité bien présente un peu partout sur la planète. Dans de nombreux pays, elle est même organisée par l’état. Dans une poignée d’entre eux le prix d’un amour différent est tout simplement la mort. Dans d’autres, des châtiments corporels s’apparentant à de la torture et/ou des peines de prison allant de quelques mois à plus de vingt ans. De plus, dans ces pays, par peur ou par conviction, les proches d’homosexuel(le)s les dénoncent, dans le meilleur des cas, ou participent aux représailles. Cela à pour conséquences le déni de soi, le suicide ou en dernier recours, l’exil.

Deux, d’évoquer les formes diverses et multiples, que je viens de rappeler, qu’elle peut prendre au quotidien chez nous.

Trois, de souligner le douloureux paradoxe vécu à Liège.

En effet, les autorités locales (communales et provinciales)  reconnaissent et soutiennent les associations qui défendent les droits des personnes LGBT : mise à disposition de la maison Arc-en-ciel, subsides divers, accueil officiel à l’Hôtel de Ville et au Palais Provincial à l’occasion des grands évènements, accrochage du drapeau arc-en-ciel à la façade des mêmes édifices le jour de la Gay Pride et de la Journée Mondiale de Lutte contre l’Homophobie,  formation de membres de la police à un accueil bienveillant de plaintes et une présence à certaines manifestations (telles que les gay Tdances) , etc…  Tous ces éléments font que les actes homophobes commis dans notre cité ces derniers mois sont ressentis avec encore plus de force et de douleur.

Quatre, de permettre à Liège, autorités et citoyens unis pour l’occasion, de rappeler son attachement aux valeurs de convivialité, d’accueil et de respect de l’autre, quel qu’il soit, qui sont les siennes.

Malheureusement, l’attention des média est sans cesse sollicitée et passe rapidement d’un sujet à l’autre. Il se fait que le 17 mai dernier, la city parade s’installait à Liège et les caméras et micros se sont tous tournés vers la “fête” et la musique. Résultat : 10 minutes dans le JT pour la city parade et rien concernant la Journée Mondiale de Lutte contre l’Homophobie.

Ayant été informées de notre démarche, certaines âmes bien pensantes nous avaient demandé pourquoi nous organisions un rassemblement quatre jours après le “grand cri contre l’homophobie”. D’autres allaient même jusqu’à nous suggérer de l’annuler afin d’éviter je cite : “la concurrence”, “le double emploi”, “la confusion” voire la “dé crédibilisation de notre association”.

Les derniers évènements qui nous obligent, une nouvelle fois,  à nous rassembler aujourd’hui prouvent sans laisser place au moindre doute qu’il était légitime d’en parler.

Alors, pour que les mentalités changent, nous disons :   STOP !!!   STOP A L’HOMOPHOBIE !!

Les autorités publiques ont entendu nombre de nos interpellations, rencontré de nombreuses demandes et restent, aujourd’hui encore, disponibles afin de veiller à l’organisation du mieux vivre ensemble et à son amélioration continue.

Mais comme nous le disions tout à l’heure cela ne suffit pas :

Chefs d’entreprises, ne choisissez pas la  solution de facilité en fermant les yeux sur des comportements discriminatoires au sein de vos services;

Responsables syndicaux, faites de la discrimination sur base de l’orientation sexuelle, un sujet de réflexion au sein de vos organisations, un axe dans la formation de vos délégués;

Présidents de fédérations, d’associations et de clubs sportifs, refusez les actes homophobes au sein de vos structures et prévoyant des pénalités et des sanctions pour crédibiliser votre démarche

Responsables d’établissements scolaires, abandonnez les dispositions discriminatoires dans vos règlements d’ordre intérieur, et osez accorder le même accueil à des initiatives d’informations que celles que vous accordez à la lutte contre les drogues dans vos établissements;

Membres et dignitaires des différents cultes, se stigmatisez plus les membres de vos congrégations, ne jetez plus l’opprobre  sur celles et ceux qui aiment autrement;

Responsables des grands média; évitez d’utiliser un vocabulaire culpabilisant (par exemple : a l’occasion de l’affaire Trusnack, Elio Di Rupo a avoué son homosexualité), évitez un angle de présentation trop cliché (l’exemple par excellence : la Gay Pride), ne passez pas sous silence des évènements tels que les actions du 17 mai;

Parents, et autres citoyens ne vous détournez pas de ces informations, répondez aux invitations à témoigner de votre attachement au bien vivre ensemble et de votre rejet de l’homophobie comme devant toutes les formes d’intolérances. Car, à chaque fois que je suis témoin de paroles et d’actes de discrimination contre les femmes alors que je suis un homme; contre les étrangers alors que je suis Belge; contre les handicapés alors que je suis encore valide; contre les gens hors normes (gros, vieux, laid, moins éduqué…) alors que je pense valoir mieux et que je  ne réagis pas ou que je détourne les yeux, je me rends de fait  complice de l’appauvrissement de l’humanité de notre société.

De plus, même si vous n’êtes pas homo, même si personne de votre entourage ne l’est, vous n’êtes pas à l’abri. De très nombreuses personnes sont victimes d’homophobie “latente” parce qu’elles ont le “type” homo. N’attendez pas qu’un policier vienne sonner à votre porte au milieu de la nuit pour vous annoncer que l’un de vos proches vient d’être agressé ou pour vous inviter à venir l’identifier à la morgue pour réagir. Il sera trop tard. Vous pouvez commencer par un geste simple et arborer le pin’s, créé par Arc-en-ciel Wallonie, qui affirme en silence le rejet de l’homophobie. Nous vous en offrirons un exemplaire dans quelques minutes.

N’hésitez pas à consulter notre site internet si vous avez des questions.

Permettez-moi d’adresser quelques mots en néerlandais aux associations, média et citoyens flamands qui sont ici. Par leur présence, ils prouvent leur solidarité et démontrent que nous partageons tous les mêmes valeurs.

Hierbij zou ik de Vlaamse verenigingen, (onder anderen çavaria) en sympathisanten en de media willen bedanken voor hun komst naar hier. Het feit dat jullie hier zijn bewijst dat jullie solidair zijn met ons en dat we dezelfde waarden delen. Het doet ons deugd dat jullie ons hier een hart onder de riem steken .We danken jullie dus van harte.

Bien d’autres nous ont apporté leur soutien : personnalités politiques locales et régionales présentes ou représentées, la Ville et la Police de Liège, Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme, l’Association Royale du Monument National à la Résistance, çavaria, Arc-en-ciel Wallonie, et les différentes associations LGBT, et l’ensemble des média qui ont relayé notre appel et qui s’en feront l’écho.

Nos derniers remerciements, c’est à vous que nous les adressons. Vous qui  avez répondu présent à notre appel, vous qui avez tenu à manifester votre soutien aux proches de Jacques et à dire non à la discrimination meurtrière, à vous enfin qui aurez à cœur, à votre échelle, de faire évoluer les mentalités.

Bonne journée à toutes et à tous.