Pour la septième fois, l’Allemagne a vu à Stuttgart un défilé de La Manif pour tous locale

Ses membres prennent modèle sur la France, et espèrent parvenir au même retentissement… Pour la septième fois depuis février 2014, la ville allemande, capitale de la région prospère du Bade-Wurtemberg, a vu défiler ce dimanche 21 juin des opposants à la légalisation du mariage homosexuel et à «l’enseignement de l’idéologie du genre et la sexualisation des enfants dans les écoles».

Ce dernier point fait référence à un projet de réforme des programmes scolaires du Bade-Wurtemberg prévue pour la rentrée 2015, en vertu de laquelle les collégiens et les lycéens seraient sensibilisés à la «tolérance de la diversité sexuelle». Il n’en fallait pas plus pour provoquer une levée de boucliers au sein des milieux conservateurs et traditionalistes. Ce fut le point de départ du mouvement.

La manifestation de Stuttgart, ouvertement soutenue par le parti populiste et eurosceptique Alternative für Deutschland mais boudée par les grands partis, a poussé le mimétisme jusqu’à se nommer la Demo für Alle, traduction littérale de «la Manif pour tous», et à se doter d’une égérie catholique et cathodique, la journaliste et polémiste Birgit Kelle, 40 ans, mariée, mère de quatre enfants et auteur du pamphlet Gender-gaga: comment une idéologie absurde veut chambouler notre quotidien, paru en mars 2015.

L’admiration pour le modèle français

«Nous avons adopté une identité visuelle et des des logos qui ressemblent à ceux de la Manif pour Tous, en concertation avec eux. Mais nos logos ne sont pas tout à fait identiques», précise la baronne Hedwig von Beverfoerde, fondatrice du mouvement Initiative Familienschutz («initiative pour la protection de la famille») et coordinatrice de la Demo für Alle.

Mais l’identification au grand mouvement anti-mariage gay français, même superficielle, est clairement assumée. A l’instar de la «Manif pour Tous», le collectif allemand est une alliance qui réunit plusieurs mouvements différents de sensibilité conservatrice: des associations religieuses, des réseaux de «défense» de la famille ou de l’enfance, des cercles d’intellectuels ou encore des forums citoyens plus ou moins impliqués dans la vie politique régionale. A 52 ans, la baronne von Beverfoerde, mère de trois enfants, compte à son actif de nombreuses années de militantisme catholique. Elle ne tarit pas d’éloges pour la Manif pour Tous française, une «organisation impressionnante» selon elle, «qui a su créer une véritable marque et à faire passer des messages simples et clairs: autant de raisons pour nous de nous aligner sur ce modèle.»

Il y a tout juste deux ans, les médias allemands observaient avec étonnement chez le voisin français le spectacle des défilés monstres de la «Manif pour tous». La réprobation était quasi unanime, comme dans cet éditorial de l’hebdomadaire Der Freitag, qui qualifiait sans ambages la première importante manifestation anti-mariage pour tous, en novembre 2012, de révélateur de l’homophobie encore «effroyablement répandue» en France. Six mois plus tard, le quotidien de gauche Die Tageszeitung voyait dans la dernière marée bleue et rose à Paris un «défilé d’ultraconservateurs dépités et amers» dans un reportage intitulé «Homophobie en France: les anti-mariage pour tous s’obstinent».

Un «succès» moindre

C’est cette même contestation qui tente depuis un an de prendre racine outre-Rhin, avec toutefois un succès bien moindre que son modèle français. Car la Demo für Alle, un temps éclipsée par le mouvement populiste PEGIDA, peine à mobiliser les foules lors de ses manifestations. Ils étaient seulement 4000 tenants des «valeurs» traditionnelles à défiler dimanche 21 juin, à Stuttgart, selon les estimations de la police. C’est toutefois plus que le précédent record d’affluence du défilé du 21 mars, où Ludovine de La Rochère, présidente de la «Manif pour Tous» en France, avait harangué et galvanisé quelques 2400 besorgte Eltern («parents inquiets», comme ils se font aussi appeler) descendus dans les rues de Stuttgart, lors d’une allocution de 15 minutes.

De précédentes manifestations, à Cologne, Hambourg ou Hanovre, avaient mis à l’honneur d’autres figures de proue de la «Manif pour tous» comme Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps français, ou encore Alain Escada, président de Civitas, sans susciter davantage de ferveur. «Les responsables de la Manif pour tous nous apportent volontiers leur soutien; notre combat est aussi le leur», se réjouit Hedwig von Beverfoerde.

La «Manif pour Tous» s’était initialement montrée prudente avant d’accepter de parrainer officiellement les nouveaux venus allemands, se souvient Ludovine de La Rochère, présidente de l’organisation:

«Nous voulions être sûrs qu’il ne s’agisse pas d’un mouvement extrémiste ou violent. Nous nous associons à des organisations et nous leur permettons d’utiliser nos logos si elles répondent à des critères bien précis», souligne-t-elle.

Dans d’autres pays d’Europe, en revanche, la «Manif pour Tous» s’est directement impliquée dans la création de véritables antennes locales contre le mariage homosexuel, notamment en Finlande et en Italie. C’est ainsi que sont nés les mouvements Aito Avioliitto («le mariage véritable») dans le pays nordique et «La Manif pour Tous Italia», en français dans le texte, dans la péninsule. «Ils utilisent nos logos, évidemment, mais ils mènent leurs actions locales en toute indépendance. Nous leur faisons entièrement confiance et d’ailleurs n’avons pas le temps de les chaperonner», précise Ludovine de La Rochère.

De son côté, la Demo für Alle d’outre-Rhin s’active elle aussi à renforcer un réseau d’organisations similaires dans les pays voisins: «Avec nos confrères de la Manif pour Tous nous avons des contacts réguliers en Suisse, en Autriche et en Pologne pour défendre la famille et faire barrage au lobby LGBT», explique Hedwig von Beverfoerde. C’est ce même «lobby» que la baronne rend responsable de la timide mobilisation suscitée par la Demo für Alle.

«Les LGBT sont nettement plus actifs et influents chez nous en Allemagne qu’en France et de ce fait cela décourage beaucoup de politiciens qui voudraient nous soutenir», se désole-t-elle.

En Allemagne, les couples de même sexe ont depuis 2001 la possibilité d’obtenir une reconnaissance légale en contractant un partenariat civil enregistré qui, contrairement au PACS français, n’est pas ouvert aux couples hétérosexuels. Au fil des années, le Parlement et les juges du Tribunal constitutionnel fédéral ont gommé la plupart des différences juridiques entre les couples gays en union civile et les couples hétérosexuels mariés, mais un certain nombre de distinctions persistent. En particulier, l’adoption conjointe n’est pas permise aux couples en partenariat civil. Tout au plus, la loi autorise l’adoption des éventuels enfants biologiques de son compagnon, mais à condition que l’autre parent biologique abandonne son autorité parentale.

Le mois dernier, au lendemain de l’adoption par référendum du mariage gay dans la très catholique république d’Irlande, l’Allemagne s’est subitement découverte plus discriminatoire que la plupart de ses voisins d’Europe de l’ouest et du nord. Le débat sur la Gleichstellung (l’égalité de traitement) pour tous les couples était relancé une nouvelle fois. Dans la foulée du vote irlandais, plusieurs régions allemandes dirigées par la gauche, dont le Bade-Wurtemberg, ont annoncé leur intention d’organiser un vote au Bundesrat (le Conseil fédéral, chambre haute du Parlement où les gouvernements des 16 Länder sont représentés). Le Conseil fédéral a d’ores et déjà voté une première résolution non contraignante le 12 juin et travaille à l’élaboration d’une proposition de loi allant dans ce sens. les régions de gauche pourraient théoriquement obtenir la majorité des voix au sein du Bundesrat, et dans ce cas les Länder obligeraient le Bundestag, dominé par les chrétiens-démocrates, à légiférer.

Cette situation s’était déjà présentée au printemps 2013, après l’adoption du mariage pour tous en France. Mais le Bundestag avait pu esquiver un vote grâce à l’imminence des élections législatives. Cette fois-ci, un tel scénario risque de mettre le gouvernement en difficulté. La plupart des personnalités de la CDU, dont la chancelière Angela Merkel, mais aussi de son puissant allié bavarois, la CSU, plus conservatrice et idéologiquement proche de l’église catholique, restent hostiles au mariage gay et voudraient maintenir le statut quo des unions civiles.

Le parti social-démocrate est dans une position moins confortable encore : favorable au mariage pour tous à l’échelon régional ainsi que dans son programme électoral lors des dernières législatives de 2013, il y a renoncé dans le contrat de coalition qui le lie aux chrétiens-démocrates d’Angela Merkel afin de former avec eux le gouvernement fédéral actuel, dont le mandat court jusqu’en 2017. Au niveau national, le SPD ne peut donc plus défendre le mariage gay, malgré la pression de ses militants et de ses élus locaux.

Pourtant, un sondage récent révèle que les deux tiers des Allemands sont en faveur du mariage pour les couples de même sexe, même les sympathisants CDU/CSU (favorables à 58%), rapportait début juin le quotidien Bild Zeitung. Ce qui n’empêche pas 71% des sondés de plébisciter le modèle familial traditionnel, selon la même enquête.

Le débat est donc encore loin d’être clos. L’Allemagne devrait s’habituer à voir les foules clairsemées des Demos für Alle s’installer dans le paysage. «À l’origine de la Manif pour Tous en France, il y avait d’abord l’opposition à la loi Taubira et au mariage gay, et maintenant leur action se concentre sur la lutte contre l’idéologie du genre dans les écoles. Nous, en Allemagne, suivons précisément la trajectoire inverse. C’est cocasse, vous ne trouvez pas?» s’amuse la baronne Hedwig von Beverfoerde.

Jean-Michel Hauteville
slate.fr