Maroc : Deux hommes condamnés pour “activités homosexuelles consensuelles”

>> Morocco jails two men for gay sex

Deux hommes accusés d’homosexualité purgent actuellement des peines de prison au Maroc à l’issue d’un procès qui semble avoir été inéquitable, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et Aswat, une groupe marocain de défense des minorités sexuelles.

Le Tribunal d’instance de la ville méditerranéenne d’Al-Hoceima a déclaré les deux accusés coupables de sodomie, à l’issue d’un procès très court qui s’est tenu cinq jours seulement après leur arrestation le 13 décembre 2014. Ils ont été jugés coupables sur la base d’« aveux » faits, selon la police, lors de leur détention mais qu’ils ont ensuite rétractés devant le juge. Le tribunal n’a appelé aucun témoin à la barre. Une Cour d’appel a confirmé le verdict le 30 décembre.

« La combinaison de ces trois éléments – un État qui applique des lois sur la sodomie, un système judiciaire qui prive le prévenu d’un procès équitable et les préjugés sociaux liés à l’homosexualité – constitue une formule infaillible pour nuire à des vies humaines », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

La Cour d’appel d’Al-Hoceima a confirmé le verdict de culpabilité pour commission d’un « acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe » (article 489 du code pénal) et « outrage public à la pudeur » (article 483), mais a réduit les peines des deux hommes, de trois ans de prison et une amende à six mois pour l’un et à un an pour l’autre, ce dernier ayant été également reconnu coupable de tentative de corruption (article 251).

Human Rights Watch a documenté une tendance de la part des tribunaux marocains à violer le droit des accusés à un procès équitable en s’appuyant sur leurs aveux pour les déclarer coupables, tout en s’abstenant d’enquêter sérieusement, voire d’enquêter tout court, quand ces accusés rétractent leurs aveux en affirmant qu’ils leur ont été extorqués sous la contrainte, ou qu’ils ont été falsifiés. De nombreux prévenus ou leurs avocats ont affirmé à Human Rights Watch que la police avait intimidé les accusés pour les forcer à signer leurs dépositions sans les lire.

La loi marocaine pénalise ce qu’elle appelle les actes « impudiques ou contre nature » entre personnes du même sexe, termes qui sont d’ailleurs  utilisés dans les rapports de police et dans les documents judiciaires pour faire référence plus généralement à l’homosexualité.

La Constitution marocaine de 2011 stipule, dans son article 24, que « toute personne a droit à la protection de sa vie privée ». Ce droit, qui était absent dans la précédente constitution, devrait conduire à l’abolition de la loi qui criminalise les relations sexuelles consentantes entre personnes majeures de même sexe, ont affirmé Human Rights Watch et Aswat.

Le 13 décembre, vers 23h00, un groupe de gendarmes a arrêté une voiture qui circulait de manière erratique sur une route côtière dans la province d’Al-Hoceima, selon le rapport de police rédigé après l’incident. Alors que les gendarmes s’approchaient de la voiture, le plus jeune des passagers aurait  agité un bras comme s’il voulait leur dire quelque chose.

Quand les gendarmes ont séparé les deux hommes pour les interroger, selon le rapport, ils ont observé que le plus jeune « montrait des signes d’homosexualité (déviance sexuelle) dans ses mouvements, sa façon de parler et son comportement. » Il aurait affirmé que l’autre homme, plus âgé, avait tenté de le violer. Le conducteur aurait nié cette accusation et affirmé que les deux hommes s’étaient seulement livrés à des « caresses », toujours selon le procès-verbal de la police. Le procès-verbal ajoute que l’aîné des deux hommes a alors proposé aux gendarmes de leur donner 970 dirhams (US$ 100) qu’il avait dans sa poche s’ils accepteraient de les laisser partir. Les gendarmes ont alors emmené les deux hommes au poste de police d’Imzouren pour les interroger davantage.

L’accusé le plus âgé est un élu local âgé d’une cinquantaine d’années, l’autre est un étudiant d’une vingtaine d’années

La police a interrogé les deux suspects séparément et a obtenu d’eux des dépositions signées (procès-verbal de la police d’Al-Hoceima n° 276, 13 décembre 2014). Le prévenu le plus jeune, selon sa déclaration, a reconnu être « un homosexuel (déviant sexuel) » « ayant pour habitude d’avoir des relations sexuelles avec quelque personne que ce soit en échange d’argent », et qu’il avait eu « des relations sexuelles tarifées avec son co-accusé dans la voiture de celui-ci à six reprises ». Dans sa propre déposition, le prévenu le plus âgé a reconnu avoir payé son co-accusé pour une relation sexuelle ce soir-là, a décrit les actes sexuels auxquels ils s’étaient livrés, a reconnu avoir tenté de verser un pot-de-vin aux gendarmes et a décrit le véhicule qu’il conduisait lors de leur arrestation comme étant « la voiture qu'[il] utilise lorsqu'[il] recherche des proies homosexuelles, et dans laquelle [il] satisfait ses désirs ».

Deux jours après leur arrestation, quand il a comparu devant le procureur, le plus jeune des deux hommes a nié les accusations et nié s’être jamais livré à des activités homosexuelles, selon les minutes de cette audition. Lors du procès, son co-accusé a lui aussi rétracté ses « aveux ».

Nader Yahiaoui, un avocat qui a défendu le plus jeune des deux hommes, a déclaré à Human Rights Watch ne pouvoir affirmer avec certitude si les dépositions à la police avaient été extorquées car aucun avocat n’était présent quand la police a interrogé son client ou quand elle lui a demandé de signer sa déclaration – ce qui est légal et pratique courante au Maroc. Toutefois, le père du prévenu a déclaré à Human Rights Watch que lors d’une de ses visites à la prison, son fils lui avait dit qu’il avait signé le procès-verbal de police sans le lire car les policiers lui avaient fait peur en criant et en tapant du poing sur la table. On ignore si l’accusé a informé le tribunal de cette prétendue manœuvre d’intimidation.

Le code de procédure pénale (CPP) du Maroc, dans son article 293, stipule que tout aveu obtenu par « la violence ou la coercition devra être rejeté en tant que pièce à conviction » par le tribunal.

Dans cette affaire, le Tribunal d’instance n’a apparemment fait aucun effort en matière d’enquête afin de pouvoir évaluer la crédibilité des « aveux » des accusés par rapport à leur rétractation lors du procès. Le tribunal, qui était présidé par le juge Nabil Wahyani, n’a appelé aucun témoin à la barre et a expédié le procès en 10 minutes, a affirmé à Human Rights Watch le père du jeune accusé, qui était présent.

Dans son jugement écrit (décision n° 574/14), le tribunal a noté que les accusés avaient rétracté les déclarations qu’ils avaient faites à la police, mais a néanmoins décidé de les accepter comme éléments de preuve. Le tribunal a cité l’article 290  du CPP, qui présume la crédibilité des procès-verbaux préparés par la police « jusqu’à preuve contraire », imposant ainsi indûment aux accusés la charge de la preuve pour démontrer que le contenu de ces procès-verbaux est faux.

Devant la Cour d’appel, les prévenus ont de nouveau nié les accusations portées contre eux. Leurs avocats ont souligné que personne n’avait été témoin de l’acte sexuel constitutif de l’infraction sanctionnée par le code pénal. La Cour d’appel, présidée par le juge Mohamed El-Andaloussi, n’a convoqué aucun témoin et, tout comme le tribunal d’instance, a déclaré les accusés coupables sur la base de leurs procès-verbaux contestés, invoquant le principe sus-mentionné du CPP selon lequel les procès-verbaux dressés par la police font foi jusqu’à preuve du contraire. (Décision 436, Affaire 364-2601-2014.)

Les avocats de la défense ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils prévoyaient un pourvoi devant la Cour de Cassation, qui ne statue pas sur le fond mais peut renvoyer une affaire devant les instances subalternes si elle considère que celles-ci ont mal appliqué la loi. L’un des problèmes soulevés lors du procès a été une tentative infructueuse de la part de la défense de contester le fait que le tribunal traitait l’affaire selon la procédure expéditive qui s’applique dans les cas de flagrant délit. Dans cette affaire, le recours à cette procédure a eu pour résultat la conclusion d’un procès en première instance, puis en appel, dans les 17 jours suivant la prétendue infraction. Or le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) stipule, dans son article 14.3(b), que toute personne accusée d’une infraction pénale doit « disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. »

En 2014, une Cour d’appel de Beni Mellal a confirmé la condamnation à une peine de prison de deux hommes déclarés coupables en vertu de l’article 489 du code pénal sur la base des procès- verbaux rédigés par la police, que les accusés ont ensuite rétractés lors du procès.

Les militants des droits humains au Maroc affirment que d’autres poursuites judiciaires similaires pour des chefs d’accusation de sodomie ont lieu, mais restent confidentielles en raison des préjugés sociaux ressentis par les accusés et leurs familles et de la réticence de la plupart des activistes à se mobiliser pour les défendre.

« La honte qui s’attache à l’homosexualité au Maroc intimide beaucoup de ceux qui sans cela seraient susceptibles de défendre des personnes qu’ils considèrent comme ayant été condamnées injustement », a déclaré un membre d’Aswat. « C’est un fait qui devrait inquiéter non seulement les personnes homosexuelles mais tous les Marocains. »

La criminalisation des pratiques homosexuelles entre adultes consentants est contraire au droit international en matière de droits humains. Le PIDCP, que le Maroc a ratifié, interdit les violations du droit à la protection de la vie privée. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a condamné les lois qui répriment les pratiques homosexuelles consensuelles comme constituant des violations du PIDCP. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a affirmé que les arrestations pour pratiques homosexuelles consensuelles constituaient, par définition, des violations des droits humains.

« Si le Maroc aspire réellement à être un leader régional dans le domaine des droits humains, il devrait montrer la voie en décriminalisant les pratiques homosexuelles », a conclu Sarah Leah Whitson.

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>> Two men accused of consensual homosexual activity are serving prison terms after a trial that seems to have been unfair, Human Rights Watch and the Aswat Group for Sexual Minorities, a Moroccan group, said today.

The First Instance Court in the Mediterranean city of al Hoceima convicted the two defendants of sodomy in a very brief trial held only five days after their December 13, 2014 arrest. They were convicted based on “confessions” the police said the defendants made in pretrial detention but that the defendants repudiated before the judge. The court called no witnesses to testify. An appeals court upheld the sentence on December 30.

“The combination of a state that enforces sodomy laws, a justice system that denies a fair trial, and the social stigma attached to homosexuality is a formula for damaging people’s lives,” said Sarah Leah Whitson, Middle East and North Africa director.

The al Hoceima Appeals Court upheld the conviction for committing a “deviant sexual act with a member of the same sex” (penal code article 489) and “public indecency” (article 483), but reduced the sentences for both men from three years in prison and a fine to six months for one and one year for the other, who was also convicted of attempted bribery (article 251).

Human Rights Watch has documented a pattern by which Moroccan courts violate the right to a fair trial by relying on confessions to convict defendants and by failing to investigate seriously or at all when defendants repudiate those statements as either coerced or falsified. Defendants in many cases or their lawyers have repeatedly told Human Rights Watch that the police either forced or intimidated the defendants into signing their statements without reading them.

Moroccan law penalizes what it refers to as acts of “sexual deviancy” between members of the same sex, a term that police reports and court documents use to refer to homosexuality more generally.

Morocco’s 2011 Constitution states, in article 24, “All persons have the right to protection of their private life.” This right, absent in the previous constitution, should lead to the abolition of the law criminalizing consensual same-sex conduct, Human Rights Watch and Aswat said.  

At about 11 p.m. on December 13, a group of gendarmes stopped a car they observed to be driving erratically on a coastal road in al Hoceima province, the police report of the incident says. As the gendarmes approached the car, the younger passenger waved his arm as if he wanted to tell them something.

When the gendarmes separated the two men in the car to question them, the report says, they observed that the younger man “showed signs of homosexuality (sexual deviancy) in his movements, manner of speaking and behavior.” He said the older man had tried to rape him. The driver denied it and said that they had only been “caressing,” the police report states. It then notes that the older man offered the gendarmes the 970 dirhams (US$100) he had in his pocket if they would agree to let the men go. The gendarmes took both men to a police station in Imzouren for more questioning.

The older defendant is an elected local official in his 50s and the other a student in his 20s.

The police questioned the two suspects separately and obtained signed statements from both (al Hoceima Police statement no. 276, December 13, 2014). The younger defendant, according to his statement, acknowledged that he was “a homosexual (sexual deviant)” who “will have sex with anyone who pays [him],” and that he had had “sex with his co-accused in his car for money on six occasions.” The older defendant, in his statement, acknowledged that he paid his co-accused for sex that evening, described the sex acts that they had performed, admitted attempting to bribe the gendarmes, and described the car he was driving when arrested as “the same car I use when hunting for homosexual victims, and in which I satisfy my desires.”

Two days after their arrest, when he appeared before the prosecutor, the younger defendant denied the charges and that he had ever engaged in homosexual activity, according to the minutes of that hearing. At trial, his co-defendant also repudiated his “confession.”

Nader Yahiaoui, a lawyer who defended the younger man, told Human Rights Watch he could not say for certain if the police statements were coerced because – as is legal and common practice in Morocco – no lawyer was present when the police interrogated his client or asked him to sign his statement. However, the defendant’s father told Human Rights Watch that during a prison visit, his son said that he signed his police statement without reading it because the police scared him by shouting and banging their fists on the table. It is not known whether the defendant informed the court about this alleged intimidation.

Morocco’s code of penal procedure (CPP), article 293, states that any confession obtained through “violence or coercion shall not be considered as evidence” by the court. 

In this case, the First Instance Court seemingly made no effort to investigate so that it could weigh the credibility of the defendants’ “confessions” against their repudiation in court. With Judge Nabil Wahyani, presiding, the court called no witnesses and concluded the trial in 10 minutes, the younger defendant’s father, who was there, told Human Rights Watch.

The court, in its written judgment (ruling number 574/14), acknowledged that the defendants repudiated their police statements but opted to accept them as evidence anyway. It cited CPP article 290, which presumes the credibility of statements prepared by the police, “save proof to the contrary,” thereby placing an unfair burden of proof on defendants to show when such statements are false. 

Before the Appeals Court, the defendants again denied the charges. Their lawyers pointed out that no one had observed the sex act that constitutes the offense in the penal code. The appeals court, with Judge Mohamed El-Andaloussi presiding, called no witnesses and, like the lower court, convicted the defendants on the basis of their contested “confessions,” invoking the above-mentioned principle from the CPP that statements prepared by the police are to be deemed trustworthy until proven otherwise. (Ruling 436, Case 364-2601-2014.)

The defense lawyers told Human Rights Watch they planned an appeal to the Court of Cassation, which does not re-try the facts but can send a case back for retrial if it determines that the courts misapplied the law. One issue that arose at trial was an unsuccessful challenge by the defense to the court’s handling of the case according to the expedited procedures that apply in flagrant délit (“caught in the act”) cases. In this case, the application of these procedures resulted in the conclusion of a first-instance and appeals trial within 17 days of the alleged offenses. The International Covenant on Civil and Political Rights states in article 14.3(b) that an accused party shall “have adequate time and facilities for the preparation of his defense.”

In 2014, an appeals court in Beni Mellal upheld the imprisonment of two men convicted under article 489 on the basis of “confessions” to the police that the defendants repudiated at trial.

Human rights activists in Morocco say that similar prosecutions on sodomy charges occur and go unreported due to the social stigma felt by the defendants and their families and the reluctance of most activists to rally to their defense.

“The shame attached to homosexuality in Morocco intimidates many of those who might otherwise defend people they believe to have been wrongly convicted,” said a member of Aswat. “That’s something that should worry not just homosexuals but all Moroccans.”

Criminalizing consensual, adult homosexual conduct violates international human rights law. The International Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR), which Morocco has ratified, bars interference with the right to privacy. The United Nations Human Rights Committee has condemned laws against consensual homosexual conduct as violations of the ICCPR. The United Nations Working Group on Arbitrary Detention has held that arrests for consensual homosexual conduct are, by definition, human rights violations.

“If Morocco truly aspires to be a regional leader on human rights, it should lead the way in decriminalizing homosexual conduct,” Whitson said.

Source : hrw.org