Mariage pour tous: «Les maires récalcitrants s’exposent à des sanctions»

Interview : Des maires ont publiquement affiché leur refus de marier deux personnes du même sexe. Que risquent-ils exactement ?

«Je marie un homme et une femme. C’est mes convictions, j’ai été élu sur ces convictions et je n’en démords pas». Ainsi parle Jacques Remiller, maire UMP de Vienne, dans l’Isère. Ce n’est pas le premier à exprimer clairement son refus d’appliquer la loi sur le mariage pour tous. Avant lui, un maire d’un village de Dordogne a juré que ni lui ni ses adjoints ne se plieraient au texte. Les maires peuvent-ils, légalement, refuser de marier un couple du même sexe ? A quelles sanctions s’exposent-ils ?

Un maire peut-il refuser de célébrer un mariage au nom de ses convictions politiques ?

Non. Quand le maire célèbre un mariage, il agit en tant que représentant de l’Etat, et non comme élu. Le maire a deux casquettes, c’est un héritage des lois de décentralisation de 1983. Il agit tantôt comme représentant politique de sa commune, tantôt comme représentant de l’Etat. Cet habit d’agent de l’Etat, il l’endosse en tant qu’officier de police judiciaire chargé de la sécurité des personnes et des biens de sa commune. Et en tant qu’officier d’état civil quand il célèbre des mariages par exemple. Il relève dans ce cadre-là de l’autorité du procureur de la République.

Le maire n’est pas le seul à pouvoir marier. La célébration peut très bien être menée par un membre du conseil municipal.

Le maire ou ses adjoints peuvent célébrer un mariage ainsi que le(s) conseiller(s) municipaux sur délégation expresse du maire. Sachant que le maire peut déléguer cette mission sans avoir à se justifier. Il arrive fréquemment d’ailleurs que les conseillers municipaux marient. Chaque commune a son planning, avec des roulements par week-end.

En cas de refus, que peut faire le couple lésé ?

Les citoyens sont en droit d’attaquer le maire devant le tribunal administratif pour refus d’appliquer la loi. La responsabilité de l’Etat sera alors engagée et le couple pourra se voir verser des indemnités. Ils peuvent aussi déposer une plainte auprès du procureur de la République, garant de l’état civil.

Que risque un maire récalcitrant ?

Il y a deux cas de figure. Première situation : le maire refuse de marier un couple d’homosexuels mais l’un de ses adjoints (ou conseiller municipal) s’en charge. Dans ce cas-là, la continuité du service public est assurée. Le maire ne sera certainement pas sanctionné même si théoriquement, il peut l’être.

En revanche, si le mariage n’est pas célébré, là, il y a rupture du principe de continuité du service public, un principe à valeur constitutionnelle. Dans une telle situation, toute une procédure se met en place. Passé les mises en demeure, le ministre de l’Intérieur peut suspendre, le temps qu’il veut, le maire et ses adjoints de l’exercice de leurs fonctions. Le procureur de la République désignera alors d’autorité une personne pour célébrer le mariage. Et pourra engager des poursuites pénales contre le maire et les adjoints récalcitrants.

L’éventail des sanctions est assez large, selon la base légale sur laquelle s’appuie le procureur. Il peut invoquer la discrimination en vertu de l’article 432-7 du code pénal. Ou l’impossibilité pour les citoyens d’accéder au service public, par exemple. Pour le maire et ses adjoints, cela peut aller de la révocation à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende.

De telles sanctions ont déjà été prises dans le passé ? Existe-t-il une jurisprudence en la matière ?

Il y a eu l’affaire Noël Mamère en 2004. A l’époque, le maire de Bègles avait marié un couple homosexuel alors que ce n’était pas prévu par loi. Il a été sanctionné (suspendu de ses fonctions pendant un mois, NDLR) pour deux raisons. La première, c’est le non respect de la loi. La deuxième, c’est le fait de le rendre public. Qu’un agent de l’Etat dise dans la presse qu’il ne respecte pas la loi, c’est un acte sanctionnable. C’est d’ailleurs ce qui peut être reproché à ces maires qui annoncent aujourd’hui ne pas vouloir marier des couples homosexuels.

En novembre, devant le congrès des maires de France, François Hollande avait reconnu «une liberté de conscience» des élus, avant de rétropédaler. La loi définitive ne comporte pas de clause de conscience. Si cela avait été le cas, la donne aurait été vraiment différente ?

Non, cela n’aurait rien changé sur le fond. On n’aurait pas pu reprocher à un maire d’afficher ouvertement son opposition, c’est la seule chose. Pour le reste, en tant qu’agent de l’Etat, il aurait été de toutes les façons tenu d’appliquer la loi et donc de marier des couples du même sexe. Tout ceci n’est que théorique, car la clause de conscience aurait été censurée par le conseil constitutionnel, car elle porte atteinte au principe de continuité du service public

Le droit de retrait des fonctionnaires peut-il être invoqué par les maires ?

En tant qu’officier d’état civil, les maires relèvent de la fonction publique, même s’ils n’ont pas le statut de fonctionnaire en tant que tel. Le code de la fonction publique s’applique pour eux aussi.

Le droit de retrait est régi par un décret du 28 mai 1982 qui reconnaît aux agents de l’Etat le droit de ne pas respecter les instructions s’ils estiment être exposés à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Je vois mal comment un maire peut dire que célébrer un mariage entre personnes du même sexe met en péril sa santé physique ou psychique…

Antony Taillefait, professeur de droit public.
Recueilli par Marie Piquemal
http://www.liberation.fr/societe/2013/04/27/mariage-pour-tous-les-maires-recalcitrants-s-exposent-a-des-sanctions_899475