Le football féminin : “Un monde tout aussi fermé et sclérosé par des pelletées d’idées reçues”

Ramona Bachmann est une pionnière, une vraie. Après un joli triplé contre l’Équateur, la Suissesse a rendu publique son homosexualité. À 24 ans, l’attaquante de FC Rosengård en Suède a annoncé la nouvelle en toute décontraction pour le quotidien Sonntags-Blik. Avec ses mots, Ramona a fait le point sur une situation pas si facile : « Quand je me promène main dans la main avec Camille en Suisse, les gens se retournent. Ce qui n’est pas le cas en Suède, ou ici au Canada. » Malheureusement pour elle et de nombreuses autres sportives, le monde ne se limite pas à la Suède et au Canada. Pour beaucoup de ses confrères et consœurs, le fait d’aimer une personne du même sexe constitue une tare, un handicap à la pratique du football. Et c’est peu dire que les femmes sont loin d’être épargnées. On le dit plus ouvert et moins machiste que celui des garçons, mais le football féminin s’afficherait aussi comme un monde fermé, sclérosé par des pelletées d’idées reçues.

« La gangrène du football féminin »

L’Afrique, représentée au Canada par le Nigeria, le Cameroun et la Côte d’Ivoire, apparaît comme le continent le plus ouvertement hostile à l’homosexualité des femmes en crampons. Ainsi, l’ancienne footballeuse des années 80 Peggy Lucie Auleley, aujourd’hui professeur de littérature et écrivain, avait dérapé il y a peu sans que cela n’émeuve grand monde. En janvier dernier, lors des journées de réflexion sur le football féminin à Libreville, elle avait notamment déclaré : « Il faut assainir les mœurs dans le milieu et lutter contre l’homosexualité si nous voulons redorer le blason de notre sport, lequel s’est dévergondé. J’ai quitté le milieu du sport à cause des mauvaises pratiques qui entouraient nos activités, notamment le lesbianisme et la corruption. » Rappelons que ce fameux événement dirigé par le ministère des Sports gabonais s’intitulait « Développement du football féminin au Gabon : stratégies et plan d’actions prioritaires. » Ambiance.

Ce pays coincé entre la Guinée équatoriale et le Congo n’a cependant pas le peu glorieux monopole de la lutte contre le lesbianisme. Le Nigeria avait également défrayé la chronique ces dernières années. Avec l’homophobie en guise de leitmotiv, la patronne de la Nigeria Women Football League et l’ex-coach des Super Eagles Eucharia Uche s’étaient relayées pour aboutir à des sommets jamais atteints. En 2011, l’ancienne entraîneuse avait profité d’une défaite des siennes contre l’équipe de France pour causer d’amour dans le New York Times : « Les lesbiennes dans notre équipe étaient vraiment un gros problème, mais depuis que je suis sélectionneur, le problème est réglé. Il n’y a plus de joueuses lesbiennes dans mon équipe. Elles sont beaucoup plus concentrées comme ça et savent que le football peut leur apporter la renommée, le bonheur et l’amusement. L’homosexualité détruit tous ces espoirs. » OK… Quelques années plus tard, c’était au tour de Dilichukwu Onyedinma, boss de la ligue féminine du pays, de reprendre le flambeau avec sa volonté d’interdire le football aux gays. Heureusement, la FIFA était passée par là, empêchant la liberticide manœuvre.

« Allez, regardez, on applaudit les lesbiennes !»

La France, quant à elle, n’est pas épargnée. Ici, peu importe le niveau, amateur ou pro, les questionnements sont légion. Les clichés ont la peau dure : dans l’Hexagone, le football féminin est vu comme un sport de garçon manqué et donc irrémédiablement lesbien. Dans la bouche de beaucoup, le mot revient souvent, comme s’il était impossible d’avoir sa préférence, peu importe son physique. Le cliché s’est installé jusqu’à gêner les footballeuses, plus à l’aise balle au pied qu’avec le mot « lesbienne » au bout des lèvres. Camille Abilly, milieu de l’équipe de France et de l’Olympique lyonnais a ainsi flirté avec la limite dans les colonnes du site web Lyon Capitale : « Il faut être franc aussi, ça a existé. On ne peut pas le nier. Certaines faisaient du foot uniquement pour rencontrer d’autres femmes. Lorsque j’ai commencé le foot, à 14 ans, je ne sais pas comment mes parents ont accepté que j’y aille. C’était plus un club de rencontres qu’une équipe de foot. Maintenant, ce n’est plus le cas. » Preuve que si le débat se pose plus franchement que dans le foot masculin, le sujet reste encore tabou.

Si les idées reçues imprègnent le monde professionnel, elles règnent également en maître dans le monde amateur. À Paris, le 28 janvier dernier, c’est tout un effectif de footballeuses qui s’est fait alpaguer. À 19h30 sur un terrain du 20e arrondissement, l’équipe des Dégommeuses s’est fait agresser verbalement par un éducateur pas très disposé à l’idée de filer sa pelouse à la petite troupe. Les filles, qui se décrivent comme « une association composée de lesbiennes et d’amies de lesbiennes qui promeut l’égalité dans et par le sport », ont dû faire face à des salves d’insultes. Accompagné de ses ouailles, l’entraîneur mécontent avait alors donné dans le scabreux : « Je vais te faire bouffer mes couilles dans ta bouche. Allez, regardez, on applaudit les lesbiennes ! » D’après les Dégommeuses, ces actes et propos homophobes sont récurrents sur les terrains de sport. Pour le moment, les joueuses lesbiennes présentes à la Coupe du monde au Canada ont été épargnées par ces dérives. Espérons que ça dure.

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Par Thomas Fourcroy et Lhadi Messaouden