La France se contrefout du droit des trans

Je suis née dans le bon corps et sans doute que vous aussi. Je suis née fille, avec un vagin, des seins qui ont poussé à l’adolescence, une voix aiguë, on m’appelle « Mademoiselle » à la boulangerie et tout ça correspond à ce que je me sens être : une femme. Les choses sont plus compliquées pour les personnes dites « transidentitaires », c’est à dire dont l’identité de genre diffère de leur sexe de naissance. Ces personnes sont transsexuelles, intersexes, transgenres, bigenres,… et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles en prennent plein la gueule.

Pour vous filer quelques chiffres : trois personnes trans sont assassinées chaque jour dans le monde, généralement dans l’indifférence la plus totale. 78 % des trans rapportent avoir été victimes de harcèlement verbal. 70 % ont déjà pensé au suicide et 30 % passent à l’acte.

Afin d’alerter l’opinion sur sa triste condition, la communauté trans organise tous les 20 novembre depuis 15 ans le T-DoR, « Trans Day of Remembrance ». Cette journée, dédiée à la mémoire de celles et ceux qu’on a tués à cause de leur transidentité, est aussi l’occasion d’alerter sur les problèmes que rencontrent les trans dans leur vie quotidienne. Un rassemblement du T-DoR aura lieu à 17h30 place de la Bastille, histoire de rappeler qu’en 2013, les trans de France subissent toujours des violences et des atteintes à leurs droits fondamentaux. Certes, on aurait pu croire que la patrie des droits de l’homme protégeait les 15 000 trans qui y vivent, mais ce n’est pas vraiment ce que nous ont raconté les manifestants de la marche Existrans, qui a eu lieu il y a un peu moins d’un mois.

Salut Sébastien, c’est quand la dernière fois qu’on a oublié que tu avais des droits ?
C’était avant mon changement d’état civil, en 2010. J’étais déjà sous hormones et j’avais subi la mastectomie mais pas l’hystérectomie. Du coup, selon mes papiers, j’étais toujours une femme [en France, pour changer d’état civil, une personne trans doit passer par un long parcours psychiatrique, juridique et médical, qui comprend une stérilisation forcée, ndlr] et c’était la galère. Un jour, mon banquier m’a raccroché au nez : « Je suis désolé mais j’ai des oreilles, j’entends bien que vous n’êtes pas “Mademoiselle”. »

À la même période, je cherchais un appart avec ma copine, on avait un dossier de location complet, contrats de travail, pièces d’identité… Un proprio m’a balancé : « Qui me prouve que c’est bien vous sur ces papiers ? Ça pourrait aussi bien être votre sœur. » Le type voulait la preuve que j’étais en transition, il a même insisté pour que je lui fournisse mon dossier de demande de changement d’état civil, avec la partie médicale dans laquelle figurait jusqu’à la taille de mes ovaires… Je n’ai pas voulu le lui donner et du coup, il nous a refusé l’appart. Selon lui, on avait « quelque chose à cacher ».

Salut Lize, alors comme ça, la France s’en branle de vos droits ?
Ça a été dur au travail, en tout cas. Quand j’ai démarré ma transition, j’arrivais enfin au travail avec des vêtements qui me correspondaient et chaque matin, mon patron me disait : « Mais enfin, arrête de te déguiser ! » Je n’avais jamais eu de problème jusque-là, mais d’un coup, au moment de la transition, j’ai ressenti des pressions, jusqu’à ce qu’ils décident de ne pas renouveler mon CDD. J’ai été voir la CGT et la CFDT mais selon eux, c’était trop difficile de prouver juridiquement que leur attitude était de la transphobie. Je crois aussi qu’ils ne comprenaient pas trop mon cas, ça aurait été plus simple si j’avais été homo plutôt que trans. J’ai donc trouvé une asso pour me représenter auprès de ma hiérarchie. Ils ont flippé, leur discours a changé, on m’a dit que j’avais dû mal interpréter certaines paroles… Pour autant, ils n’ont pas reconduit mon contrat. Chez Pôle Emploi, ils ont regardé mes papiers avec beaucoup d’attention, j’ai dû expliquer qui j’étais. Mais ils ont compris maintenant, ça va mieux.

Hey, Oscar, qui est la dernière personne à avoir bafoué tes droits ?
Le juge qui s’est occupé de mon changement de prénom. Pour changer d’état civil, on doit obligatoirement passer par l’hystérectomie – en gros, la stérilisation. Après ça et une phalloplastie, je suis passé devant un juge pour changer d’état civil. D’abord, le juge a fait des commentaires sur mon âge, c’était il y a deux ou trois ans et il trouvait que j’étais trop jeune pour savoir si j’étais un homme ou une femme. Mon avocat lui a dit que de toute façon, pour eux, on était toujours soit trop jeune, soit trop vieux. Alors il a commencé à me faire chier sur mon choix de prénom. Moi, je voulais m’appeler Lahcène, c’est un prénom arabe. Je suis pas arabe, je suis espagnol, mais j’aimais bien. Le juge a refusé mon choix parce que ça n’était pas un prénom français. Du coup, j’ai demandé Oscar et là encore, il m’a dit que ça n’allait pas être possible, qu’il fallait un prénom neutre, genre « Dominique » ou « Claude ». Ça m’a paru d’autant plus débile qu’à l’époque, j’étais hyper viril, j’avais pas encore pris le look androgyne que j’ai maintenant. Bref, avec toutes les opérations chirurgicales, j’avais un super bon dossier, du coup j’ai pu m’appeler Oscar. Mon dossier aurait été moins avancé, c’est sûr, ça ne serait pas passé.

Salut Florence, ça arrive qu’on foule au pied vos droits de femme ?
Ce qui m’ennuie, c’est à l’hôpital ou chez le médecin, quand on me colle le « M. » de monsieur. C’est marrant comme quand il s’agit d’un service où l’on paie, comme les impôts ou les transports, on n’a aucun problème à être désignée comme « Madame ». Par contre, avec la Sécu…

J’ai décidé de vivre ma vie de femme il y a 43 ans. Je suis arrivée au travail avec un beau tailleur bleu et des escarpins Roger Vivier, et mes collègues m’ont dit que j’étais mieux comme ça. Mais j’ai aussi choisi de ne pas me faire ôter le pénis. Du coup, je suis toujours un « M. ». Ça m’a causé des soucis quand je travaillais pour un décorateur parisien, je voyageais souvent en Italie pour son entreprise et j’avais des ennuis à la frontière, « Est-ce que ce sont bien vos documents d’identité ? », « C’est vraiment vous sur le passeport ? », on me retenait à la douane… On finit par mentir et par dire qu’il y a une faute d’impression sur ses papiers. Ce genre de choses a fini par ne plus m’atteindre. Un jour, un type a commencé à ricaner : « Je vois une belle femme qui est en fait un beau garçon » ; je lui ai balancé que j’avais autre chose à foutre que d’écouter un blaireau Chasse, Pêche, Nature et Traditions. Aujourd’hui ça me glisse dessus, mais c’est dur quand on est jeune.

Salut Valentin, c’est quand la dernière fois qu’on a piétiné tes droits ?
À l’école. Je fais des études pour devenir travailleur social, un milieu où tu t’attends à trouver des gens plutôt respectueux et informés… Sauf que j’ai des tas de problèmes en classe. Je suis trans et homo, ce que ne supportent pas un certain nombre de mes camarades. L’un d’eux m’a même dit : «T’es comme Hitler, tu finiras en enfer. » Lui et d’autres refusent que je parle de qui je suis, de mon implication dans une asso LGBT, de qui j’aime…  Tout ce qui fait ma vie, en fait. La règle dans ce genre de formation, c’est qu’on doit fonctionner en équipe, alors je ne parle plus de rien pour éviter les conflits. Et c’est pas mieux avec les profs : plusieurs m’ont dit qu’ils refuseraient toujours de m’appeler Valentin, sous prétexte que ça serait contraire à ce que disent mes papiers, donc à la loi. Je vais faire la démarche pour tout officialiser mais le changement de nom, avec les frais de notaire, d’avocat et tout ça, ça coûte plus de 500 €. Certains de mes potes économisent pour s’acheter une Playstation, moi je vais m’acheter mon prénom.

Jolie moto, Murielle… T’as été discriminée dernièrement ?
Oui, par La Poste. À chaque fois que je vais chercher un recommandé ou un colis, c’est la galère. La dernière fois, je montre mes papiers et là, le type me demande : « J’ai la carte d’identité de votre mari, mais elle est où, la procuration qui va avec ? » Il ne voulait pas me donner mon courrier. Un autre jour, la guichetière me prend ma carte d’identité puis va trouver sa collègue un peu plus loin. Au bout d’un moment, je les voyais rigoler en me regardant et j’ai compris qu’elles étaient en train de se foutre de ma gueule derrière leur comptoir. En plus, je ne suis pas française, je viens du Québec et ça complique encore les choses. Ce qui m’ennuie aussi, ce sont les insinuations pendant les entretiens d’embauche, « Vous comptez avoir des enfants ? », ce genre de phrase… Mais ça, toutes les femmes y ont droit.

Dis, Shana, quand est-ce que la société t’a foutu tes droits dans la gueule ?
Il y a quelques mois, un type m’a cassé la figure dans la rue en bas de chez moi, à Limoges. J’avais mes écouteurs, je ne l’ai pas entendu arriver. J’ai compris ce qui se passait seulement quand j’ai pris les premiers coups. J’ai eu la lèvre éclatée, l’arcade défoncée et puis mon nez aussi, je pissais le sang. Le type n’a pas été retrouvé.

Ah et puis il y a 6 mois, j’ai été licenciée. Je bossais pour une marque de vêtement qui fait du porte-à-porte. Je m’habillais très mec quand j’ai pris ce travail, jogging, baskets… Puis j’ai commencé l’hormonothérapie et j’ai expliqué à l’entreprise que j’entamais une transition. Un mois plus tard, certains de mes clients m’ont téléphoné pour me dire que mon patron les avait contactés et qu’il cherchait à produire des témoignages bidon sur de soi-disant fautes professionnelles. J’ai ensuite été virée pour « Motif réel et sérieux ». Je n’ai même pas bataillé, je me suis tirée. Je sais très bien ce que c’était, leur « motif sérieux ».

Par Coline CM
Coline est sur Twitter : @colinecm. Elle anime également une émission de radio, Chicks
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