Jean-Luc Romero-Michel : « Le sida est devenu une maladie invisible »

La lutte contre le sida constitue un défi considérable de santé publique, de société et de solidarité, en France comme ailleurs. Elle rassemble depuis plusieurs années toutes les couleurs politiques afin de faire face à un problème de grande envergure. A l’heure actuelle, autour de 150 000 personnes sont infectées par le VIH en France. 30 000 d’entre elles l’ignorent et autour de 20% des personnes connaissant leur séropositivité ne suivent pas de traitement permettant d’améliorer leurs conditions et leur espérance de vie. En outre, les personnes séropositives sont souvent marginalisées et stigmatisées.

La prévention et la lutte contre les discriminations restent ainsi les piliers majeurs de la mobilisation contre le sida. Et, l’association « Elus Locaux Contre le Sida » (ELCS) est un des acteurs clé qui maintient l’attention de l’opinion publique à ce défi de santé publique.

Aujourd’hui 11 juin, l’ELCS fête ses 20 ans d’engagement à Paris, en présence de nombreux invités politiques et artistiques, et sous le Haut Patronage de François Hollande, Président de la République.

Entretien avec Jean-Luc Romero-Michel :

Est-ce que le combat contre le sida a changé depuis vingt ans ?

Paradoxalement, à la fin des années 80 et au début des années 90, il y avait une mobilisation plus importante. Les traitements qui permettent aujourd’hui aux personnes séropositives de vivre plus longtemps n’existaient pas. Beaucoup de gens mouraient et il y avait une réelle mobilisation médiatique et politique. Les militants étaient nombreux parce-que beaucoup de personnes devaient accompagner les gens qu’ils aiment vers la mort. Il y avait de la compassion pour les personnes séropositives, alors qu’aujourd’hui on est plus dans la culpabilisation. Le sida est devenu une maladie invisible, plus personne n’en parle.

C’est paradoxal car en réalité il n’y a jamais eu autant de personnes qui vivent avec le VIH, soit 35 millions de personnes dans le monde. Mais aujourd’hui plus personne n’ose le dire et on s’attaque plus aux malades qu’à la maladie.

Est-ce que la lutte contre le sida est encore aujourd’hui un combat politique ?

Ce n’est plus dans l’agenda politique, mais la lutte n’a jamais été aussi politique. Le slogan d’Elus Locaux Contre le Sida est « le sida se soigne aussi par la politique ». Les politiques ont une responsabilité énorme face à cette maladie qui stigmatise. C’est une question politique car pour cela, il faut mettre l’argent sur la table. On sait qu’on peut faire disparaître le sida. Mais malheureusement, la mobilisation internationale n’est pas à la hauteur, on laisse des gens mourir, notamment dans les pays du sud, alors qu’elles pourraient être sauvées. Aujourd’hui et chaque jour, 4000 personnes vont mourir dans le monde à cause du VIH.

Quelles sont aujourd’hui les principales revendications d’Elus Locaux Contre le Sida vis-à-vis des pouvoirs publics ?

Aujourd’hui, nous fêtons nos vingt ans mais nous aurions préféré ne jamais fêter cet anniversaire. Plus que jamais, la mobilisation est nécessaire face à la démobilisation politique. ELCS demande qu’il y ait à nouveau une parole politique. Les deux problèmes principaux auxquels font face les personnes séropositives sont la précarité et les discriminations. C’est plus difficile aujourd’hui il y a vingt ou trente ans. On a des solutions, mais elles doivent être remises à l’agenda politique.

Il faut qu’on ait à nouveau recours à des campagnes importantes et mettre l’accent sur le dépistage. On a une vraie responsabilité pour pousser les personnes à effectuer des dépistages. Il y a des progrès, par exemple avec l’autotest qui sera accessible bientôt, mais il faut aller plus loin car beaucoup de personnes vivent avec le VIH sans le savoir, et c’est surtout à cause de cela que de nouvelles personnes sont contaminées.

Nous demandons également plus de mesures de solidarité et une campagne poussée contre les discriminations. L’enjeu est de faire tomber les dernières discriminations qui existent pour beaucoup de personnes séropositives jusqu’à la fin de leur vie. Par exemple, une personne séropositive ne peut pas voyager où elle veut car près de 40 pays interdisent l’accès aux personnes séropositives. En France, il est très difficile d’obtenir un prêt à la banque, c’est quasiment impossible. Une personne séropositive qui décède n’a pas le droit aux soins de conservation. Nous espérons que la loi de santé publique changera cela.

Ce n’est pas en pénalisant et en sanctionnant les personnes séropositives qu’on lutte contre le sida. Les victimes ne sont pas assez valorisées, il n’y a pas de message d’espoir. Il faut leur dire qu’elles peuvent vivre, travailler, aimer.

Propos recueillis par Maria Gerth-Niculescu

Jean-Luc Romero était également l’invité politique de France Bleu 107.1 ce jeudi matin :