Inde : pour la sortie de son film sur l’homosexualité, un réalisateur se heurte à l’hostilité de l’administration fiscale

En décidant de réaliser un film sur l’homosexualité, le réalisateur indien, Kiran Kumar Devmani s’était préparé à un combat contre l’autorité de censure, traditionnellement conservatrice dans son pays. Mais jamais ce spécialiste de médecine ayurvédique devenu cinéaste n’avait imaginé devoir batailler contre l’administration fiscale, qui estime que ce long-métrage pourrait troubler l’ordre public.

« Mon film ne contient pas une seule scène avec des gays se tenant ne serait-ce que la main. Ce film traite des difficultés que rencontrent des homosexuels dans la société à différentes étapes de leur vie », explique le réalisateur de 30 ans à l’AFP.

Trois ans après la fin de son projet, comme tous ses confrères indépendants, Devmani a demandé une déduction fiscale avant la diffusion du film. Mais le gouvernement de l’Etat du Gujarat, les terres du Premier ministre Narendra Modi, a rejeté sa requête au motif que « Meghdhanushya – The Colour of Life » pourrait envoyer un « signal négatif » laissant croire que l’administration promeut « une telle idéologie ».

Et tandis que le bureau de censure indien a donné son feu vert à la sortie du film avec la mention « réservé aux adultes » et que la Haute-Cour du Gujarat a donné raison à Devmani à propos de sa demande au fisc, l’Etat du Gujarat a ainsi déposé un recours auprès de la Cour suprême, qui risque d’allonger sérieusement le processus.

Le combat de Devmani intervient au moment où la communauté LGBT célèbre la décision de la plus haute juridiction indienne de réexaminer l’article 377 du code pénal prévoyant l’emprisonnement pour les actes sexuels entre personnes du même sexe, considérés « contre nature ».

Cette annonce n’est qu’une mince consolation pour le réalisateur qui se dit ostracisé dans un pays socialement conservateur où l’homophobie affleure régulièrement et où les homosexuels sont victimes de harcèlement et de violence.

« Les arguments du gouvernement de l’Etat pour ne pas accorder l’exemption fiscale reflètent son attitude envers les homosexuels de notre société », estime-t-il. L’administration, qui s’est refusée à tout commentaire auprès de l’AFP, avait estimé devant le tribunal que le film « promouvait » une activité illégale constituant un « fléau social » et était par conséquent inéligible à une déduction fiscale : « sa diffusion pourrait troubler l’ordre public en suscitant des tensions entre les partisans et les opposants à l’homosexualité ».

Devmani a reçu le soutien de groupes de défense des homosexuels, ainsi que du prince Rajpipla Manvendra Singh Gohil, activiste des droits LGBT et de la lutte contre le VIH, qui estime pour sa part que de tels films devaient être encouragés pour lutter contre l’ignorance de la société : « Il n’y a aucune obscénité ou vulgarité dans le film de Devmani… Je pense que les responsables du fisc doivent être mieux informés à ce sujet. Ils semblent ne rien connaître des homosexuels », a confié le pince à l’AFP.

Agé de 50 ans, Gohil est le descendant d’une famille royale du Gujarat, qui a été rejeté par sa communauté et par sa propre famille lorsqu’il a fait son coming out.

Devmani se dit usé par le combat judiciaire mais prêt à sortir son film en gujarati même sans l’exemption de la taxe de 25% imposée sur les recettes en salle.

« Je vais attendre encore six mois et sortir le film même sans l’exemption », explique-t-il.

Le réalisateur compte bien poursuivre sa carrière dans le cinéma malgré cette controverse. Il a deux autres films en hindi en préparation.

Peu de films en Inde abordent sérieusement la thématique de l’homosexualité, que Bollywood tourne fréquemment en dérision. « Aligarh” de Hansal Mehta, inspiré de la vie de Shrinivas Ramchandra Siras, professeur au sein de la prestigieuse université musulmane d’Aligarh, dans le Nord de l’Inde, suspendu en 2010 pour « faute grave », en raison de son orientation sexuelle, a en revanche reçu un excellent accueil du public lors de sa sortie l’an dernier. 

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stophomophobie.org
avec l’AFP