Fin de l’exigence du certificat psychiatrique pour le parcours de transition des personnes transgenres

Suite à notre plainte pénale déposée contre le médecin-conseil national de la CNAM (Caisse de l’assurance maladie) le 29 novembre 2022, l’établissement annonce mettre fin à l’obligation de produire un certificat psychiatrique pour les parcours de transition des personnes transgenres.

« Il n’y a pas lieu de réclamer la production d’un certificat psychiatrique » pour la prise en charge des parcours de transidentité, soulignent le médecin-conseil national et le directeur en charge du réseau médical de la CNAM, dans une consigne adressée le 12 décembre à toutes les CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie), qui doivent « strictement » l’appliquer.

STOP homophobie salue la fin d’une étape profondément « dégradante » et se félicite d’une « victoire » pour toutes les personnes trans en France, l’un des premiers pays à avoir retiré la transidentité des maladies psychiatriques.

L’Assurance maladie a discriminé les personnes transgenres en exigeant illégalement la production de « certificats psychiatriques »

Pour rappel, avec les associations MOUSSE et ADHEOS, STOP homophobie avait déposé une plainte le 29 novembre 2022 pour discrimination commise par le médecin-conseil national de la CNAM en raison de l’identité de genre d’une personne. La CPAM où était rattachée la victime, une femme trans, avait en effet refusé de prendre en charge le remboursement d’un acte, pourtant prescrit par son médecin traitant, et prévu par la nomenclature de la sécurité sociale. Un obstacle récurrent.

La CPAM s’en est justifiée par l’absence d’un certificat médical cosigné par une équipe pluridisciplinaire. Or, si l’obtention de ce document est recommandée par le protocole de la Haute Autorité de Santé, il n’est nullement imposé par la loi. Et les organismes de Sécurité sociale ne l’exigent pas de la part des femmes cisgenres. La requérante y avait droit, ainsi que l’a également reconnu le Tribunal judiciaire de Lille, qui a considéré décision de refus discriminante eu égard à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle crée une inégalité de traitement en matière d’accès à la santé puisque le protocole utilisé a pour effet d’ajouter une étape supplémentaire à la prise en charge d’une opération chirurgicale.

STOP homophobie se réjouit donc de cette décision de ne plus exiger de certificat psychiatrique, permettant ainsi aux personnes trans de poursuivre leur transition médicale. Une avancée majeure qui met fin aux disparités de traitement des demandes d’ALD relatives aux parcours de transition.

Nous appelons par ailleurs à ne pas relâcher la vigilance sur le respect des droits et libertés des personnes trans à déterminer librement leur parcours médical et paramédical auprès des professionnels de santé.

Évolution historique des droits des personnes transgenres

L’identité de genre correspond à l’expérience intime et personnelle de son genre vécue par chacun et chacune, indépendamment de ses caractéristiques biologiques. Les personnes transgenres sont des personnes dont le genre ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance. Les personnes cisgenres sont, au contraire, des personnes dont le genre correspond au sexe qui leur a été assigné à la naissance.

Avant 1992, la France refusait aux personnes transgenres toute modification de la mention de sexe à l’état civil. Cette position, qui revenait à nier l’existence des personnes transgenres, a fait l’objet d’une première condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme. Selon les juges européens, le refus de modifier l’état civil plaçait les personnes transgenres « dans une situation globale incompatible avec le respect dû à la vie privée ».

En 1992, l’État français a revu sa position en permettant aux personnes transgenres de modifier la mention de sexe à l’état civil. Les conditions posées par la jurisprudence consistaient alors à prouver « la réalité du syndrome transsexuel » et « le caractère irréversible de la transformation de l’apparence ». Cette seconde condition contraignait dans les faits les personnes transgenres à suivre des traitements médicaux stérilisants. Cette stérilisation forcée des personnes transgenres a fait l’objet d’une seconde condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de la vie privée. La France a donc dû à nouveau s’adapter. Désormais, les personnes transgenres n’ont plus à réaliser une stérilisation afin d’obtenir le changement de la mention de sexe à l’état civil.

En 2010, le ministère de la Santé a retiré « les troubles précoces de l’identité de genre » de la liste des affectations psychiatriques de longue durée. La transidentité a été reclassée dans la catégorie des affections de longue durée dites « hors liste » tout en garantissant une prise en charge totale des actes de réassignation sexuelle par les organismes de Sécurité Sociale.

Prise en charge des actes de réassignation sexuelle par l’assurance-maladie

La chirurgie de réassignation sexuelle consiste en un ensemble d’opérations chirurgicales permettant de modifier les caractéristiques sexuelles initiales afin d’obtenir l’apparence du sexe opposé. Cette chirurgie revêt une importance fondamentale pour les personnes transgenres en ce qu’elle leur permet de vivre en adéquation avec leur corps.

Désormais, la chirurgie de réassignation sexuelle est totalement prise en charge par l’assurance-maladie. En particulier, la mastoplastie d’augmentation, indiquée dans les reconstructions ou les augmentations mammaires, est prise en charge selon la classification commune des actes médicaux prévue à l’article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale rédigé comme suit :

« La prise en charge ou le remboursement par l’assurance maladie de tout acte ou prestation réalisée par un professionnel de santé, (…) est subordonné à leur inscription sur une liste établie dans les conditions fixées au présent article. L’inscription sur la liste peut elle-même être subordonnée au respect d’indications thérapeutiques ou diagnostiques, à l’état du patient ainsi qu’à des conditions particulières de prescription, d’utilisation ou de réalisation de l’acte ou de la prestation (…) ».

La liste des actes pris en charge ou remboursés par l’assurance maladie, publiée sur le site internet de la CPAM mentionne que la chirurgie de « mastoplastie bilatérale », classifiée QEMA004, fait partie des actes médicaux pris en charge par l’assurance-maladie.

Dès lors, selon une jurisprudence de 2004 réaffirmée par la Cour de cassation, seules deux conditions doivent être réunies pour que la prise en charge de la personne transgenre soit assurée, à savoir : « que soit reconnu le caractère thérapeutique des actes réalisés, d’une part, et que les actes pratiqués figurent sur la nomenclature générale des actes professionnels, d’autre part » (Civ. 2, 27 janvier 2004, n° 02-30.613).

Protocole de la Haute autorité de santé

Malgré une prise de position claire par la Cour de cassation en faveur du remboursement des actes de réassignation sexuelle, un protocole de la Haute autorité de santé, élaboré en 1989 et repris dans un rapport en 2009, conditionne encore à ce jour la chirurgie de réassignation sexuelle aux conditions suivantes :

  • Le suivi de la personne concernée, pendant au moins deux ans, par une équipe spécialisée composée d’un psychiatre, d’un endocrinologue et si possible d’un chirurgien,
  • La rédaction d’un certificat co-signé par ces spécialistes mentionnant le diagnostic, leur accord sans réserve pour les actes chirurgicaux et les motifs médicaux justifiant la réalisation de ces actes.

Comme l’a souligné elle-même la Haute Autorité de santé dans son rapport de 2009 : « ce protocole ne repose sur aucune base légale ». Il constitue une simple recommandation dépourvue de force contraignante, ce qui est régulièrement rappelé par les juridictions.

Toutefois, les personnes transgenres subissent actuellement deux types de discriminations en lien avec ce protocole :

  • D’une part, de nombreux médecins refusent de réaliser des actes de réassignation sexuelle si les personnes transgenres n’ont pas respecté le protocole de la Haute Autorité de santé ;
  • D’autre part, plusieurs CPAM refusent de prendre en charge le remboursement des actes de réassignation sexuelle si les personnes transgenres n’ont pas respecté le protocole de la Haute Autorité de santé (et notamment l’exigence de suivi psychiatrique), quand bien même ces actes ont été prescrits par un médecin et figurent sur la nomenclature de la Sécurité Sociale.

Pour Me Etienne Deshoulières, avocat des associations, « l’Assurance maladie a attendu plus de 18 ans pour demander à ses services d’appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation. Pendant ces 18 ans, les personnes transgenres ont été discriminée dans leur parcours de transition. Ce sont ces discriminations transphobes que les associations LGBT m’ont chargée de faire sanctionner en poursuivant un médecin-conseil national devant le Tribunal correctionnel de Paris. »

Mme. Maxime-Margaret LOIRY
Chargée des transidentités
Conseillère du Secrétaire général
Stop homophobie – loiry@stophomophobie.com