Etre homosexuel au Sénégal: “pour vivre heureux, vivons cachés”

Vivre son homosexualité au grand jour au Sénégal vaut la clameur et la violence de la rue mais aussi un passage par la case prison. Dans ce pays musulman (95%), que l’on qualifie de modèle démocratique pour l’Afrique de l’Ouest, la dépénalisation de l’homosexualité dont les homosexuels eux-mêmes ne se prennent pas à rêver, est un sujet sensible et politiquement instrumentalisé.

Il est près de deux heures du matin à Dakar. Ce jeudi soir, dans la capitale sénégalaise, la fête bat son plein dans un maquis du quartier de Soumbédioune. L’alcool coule à flots. L’odeur du tabac se mêle aux relents des plats de poisson frit et autres délices locaux. Sur le dancefloor, des hommes éméchés se frottent, bière en main, à quelques jeunes femmes se déhanchant lascivement au son de la musique nigériane en vogue. May* est l’une d’entre elles. A 28 ans, cette maigre jeune femme au visage dur et aux cheveux coupés courts, est venue se défouler tout en espérant finir la nuit chez quelque conquête rencontrée sur le tas. En leggins noirs et débardeur multicolore, May, habituée des lieux, cherche sa proie : une femme mûre “qui a de la thune”. “La plupart des femmes que j’ai fréquentées ne sont pas forcément lesbiennes”, raconte May. “Ce sont des femmes mariées à la recherche de nouvelles sensations et qui savent mettre la main à la poche”, sourit-elle. C’est ainsi que May, serveuse dans un restaurant en ville, arrondit ses fins de mois. “Pour ne pas trop me faire remarquer, je drague aussi les mecs. Tu ne me verras jamais rouler une pelle à une nana en public. C’est trop risqué même si tout le monde sait que beaucoup d’homosexuels se donnent rendez-vous ici”, continue-t-elle.

Choung-Ryu, architecte d’origine coréenne, en mission à Dakar depuis janvier 2011, ne s’est pourtant rendu qu’une seule fois dans ce maquis. “Seuls mes amis expatriés savent que je suis gay. Depuis que je suis ici, je n’ai plus de vie sexuelle car on est jamais trop prudent”, souffle-t-il. Il faut dire qu’au Sénégal, le code pénal prévoit, depuis 1965, une peine d’un à cinq ans de prison pour “quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe”. Ancien activiste en faveur des droits LGBT en Corée du Sud, l’arrivée de Choung-Ryu à Dakar lui a fait oublier son combat. “J’ai lu des choses plutôt horribles sur la situation des homosexuels au Sénégal. Je préfère donc me tenir à carreaux”. Et d’évoquer la mésaventure d’un ami homosexuel, venu d’Espagne, qui croupit en prison depuis décembre 2012 pour une sombre histoire de harcèlement sexuel. “Il s’est fait piéger. Officieusement, c’est bien parce qu’il est gay qu’il est derrière les barreaux”, soupire Choung-Ryu. Ce dernier n’en dit pas plus.

“L’homosexualité n’existe pas”

“Plus il y aura d’homosexuels en prison, plus le Sénégal se portera bien. Ca a failli chauffer pour les fesses de Macky (Macky Sall, chef de l’Etat Sénégalais ndlr.) quand tout le monde a cru qu’il était prêt à dépénaliser l’homosexualité”, s’amuse May. Si Macky Sall a été maintes fois attaqué suite à cette rumeur lui prêtant des intentions indignes du point de vue des autorités islamiques – qui pèsent lourd sur les processus de mutation sociale au Sénégal et qui sont montées au créneau avec une violence inouïe – , le chef de l’Etat s’est empressé de démentir tout projet de loi allant dans ce sens. Il a, par ailleurs, été vivement encensé lorsqu’il a rétorqué au Président Barack Obama, en visite dans le pays en juin dernier, que le Sénégal n’était pas prêt à légaliser l’homosexualité tout comme d’autres pays ne sont pas prêts à abolir la peine de mort. Et vlan ! Mieux encore, le tout nouveau ministre de la Justice, l’avocat Sidiki Kaba, ancien directeur de la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l’Homme) qui criait à la légalisation de l’homosexualité en 2009 – suite à la condamnation à huit ans de prison de neuf homosexuels -, a déclaré, après sa nomination en septembre, être désormais en phase avec le chef de l’Etat sur cette question.

May ne semble pas se sentir concernée par la cause homosexuelle. “Il n’y a pas de cause homosexuelle à défendre au Sénégal pour la simple raison que l’homosexualité n’existe pas”, avance-t-elle d’un ton cynique. “Ce sont les imams qui le disent. Ils veulent notre mort à tous”, ajoute-t-elle, désabusée. Les homosexuels vivant au Sénégal appliquent donc à la lettre la morale selon laquelle “pour vivre heureux, vivons cachés”.

“J’arrêterai de coucher avec des hommes” 

C’est le cas de Malick*, mannequin qui n’avouera jamais son homosexualité à son entourage. “Je viens d’une grande famille musulmane. J’ai trop de respect pour mes parents pour leur dire que je suis gay”. Il sort depuis six ans avec une fille qu’il compte bien épouser. “Quand nous faisons l’amour, je prends sur moi. Je préfère que ce soit dans le noir. Elle n’a jamais rien soupçonné malgré mes pannes consécutives”, raconte le jeune homme de 27 ans. “Même si l’homosexualité venait à être dépénalisée, je ne changerai pas de mode de vie. Dans quelques années, j’arrêterai définitivement de coucher avec des hommes.” En sera-t-il plus heureux ? “Je ne sais pas…. Il n’est d’ailleurs pas fier de ses nombreuses aventures homosexuelles. “J’étais tellement mal à l’aise. J’avais trop peur d’être pris en flagrant délit. J’ai des amis qui ont été agressés et à qui on a essayé de soutirer de l’argent”.

Des mésaventures que Cheikh* s’applique rigoureusement à éviter. A 23 ans, ce jeune homme un brin efféminé, ne sort qu’avec des expatriés pouvant subvenir à ses besoins. “Je n’en ai rien à faire du mariage gay. Tout ce qui m’intéresse c’est de quitter ce pays”, lance-t-il. Au chômage, il habite seul avec sa mère dans le quartier populaire de Scat Urbam. “Je dors à Scat Urbam mais je vis plutôt aux Almadies (quartier riche de Dakar)”, corrige-t-il. Il passe généralement ses soirées dans des boîtes de nuit en compagnie de la jeunesse dorée dakaroise, des adolescentes arborant des sacs de luxe dernier cri. “Je me sens dans mon élément avec mes copines. Elles ne me traitent pas de « gorjiggen » (« hommes-femmes » en wolof, langue la plus parlée au Sénégal ndlr.) comme les pouilleux de Scat. Elles me comprennent…”

“Au Sénégal, la lutte contre l’homophobie prend le pas sur la défense de la cause homosexuelle”, note Frédéric Philippe Diouf, membre du secrétariat général de l’organisation non-gouvernementale RADDHO (Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme). “Nous venons en aide aux homosexuels persécutés et victimes de violences. Quand leur vie est en danger, nous les hébergeons dans les locaux de la RADDHO à Dakar le temps de prendre contact avec les ambassades pouvant faciliter une extradition vers l’Europe ou les Etats-Unis”, indique-t-il. La RADDHO prend également en charge les homosexuels originaires de la sous-région comme les Maliens ou les Gambiens.

 Katia Touré

*Le prénom a été modifié.

http://www.lesinrocks.com/2013/10/12/actualite/societe/etre-homosexuel-au-senegal-11435422/