En Colombie, une initiative référendaire contre l’adoption d’enfants par les couples homosexuels

Ce 24 et 31 août, quelque 65 citoyens colombiens, surtout des avocats et étudiants en droit, se sont exprimés sur l’adoption d’enfants par les couples homosexuels, lors d’audiences publiques convoquées par une Commission du Sénat, qui doit décider de la conduite d’un référendum sur la question.

Une initiative de la sénatrice officiellement inscrite au Parti Libéral, Viviane Morales, militante chrétienne et membre de la « Iglesia Casa sobre la Roca » (Église de la Maison sur le Rocher), puissante organisation politico-religieuse colombienne dirigée par un ancien journaliste anti-communiste. Dans les années 90, elle a obtenu que soit votée la loi de liberté de cultes, qui a permis aux églises chrétiennes et évangéliques de se développer pour devenir aujourd’hui l’une des principales forces politiques organisées du pays. Le nombre de députés nationaux élus avec le soutien de ces groupes est très supérieur à celui des députés de gauche.

Suite aux décisions de 2015 et 2016 de la Cour Constitutionnelle colombienne, permettant aux couples homosexuels de se marier et de former une famille, Viviane Morales a lancé une campagne pour leur interdire l’adoption d’enfants. Et les plus de 2 millions de citoyens qui ont signé sa proposition lui suffisent largement pour réclamer la tenue d’un référendum, précise Mediapart. Elle souhaite pour les enfants susceptibles d’être adoptés, « une famille colombienne idéale, composée par un homme et une femme : ce critère serait suffisant pour que l’enfant soit éduqué correctement. »

Un argument qui étonne par sa naïveté, souligne le site d’information, qui rappelle que cette mobilisation survient dans un pays où les mineurs subissent de grosses violences : entre 2008 et 2016, environ 250 000 enfants ont en effet été recensés par l’ICBF, l’Institut de protection de l’enfance, comme ayant subi des agressions, des violences, des viols, de la maltraitance, ou l’abandon. Et la grande majorité de ces agressions ont été réalisées par l’entourage immédiat des enfants, leur famille hétérosexuelle dite « normale ».

Mais les 32 sénateurs de tous les partis (sauf le Polo, parti de gauche) qui ont déjà annoncé leur soutien à Viviane Morales ne semblent pas préoccupés par ce genre de questions. D’ailleurs, les multiples formes de violences sur les enfants font rarement l’objet de discussions dans l’espace public. En revanche, « l’intérêt des enfants » déclenche les plus incroyables fantasmes sur… les homosexuels !

Ceux-ci seraient foncièrement inaptes à élever des enfants. Citant un rapport financé par des organisations conservatrices aux États-Unis, une étude qui a rencontré des critiques considérables venant des milieux universitaires et médicaux, le projet de texte de référendum soutient que, par rapport aux enfants d’autres couples, « les enfants de couples homosexuels ont des taux plus élevés de chômage ; ils votent moins ; ils sont moins bons à l’école ; ils ont subi des agressions sexuelles par leurs parents ou d’autres adultes ; ils ont été forcés à avoir des relations sexuelles ; ils ont une mauvaise perception de leur famille ; ils consomment plus de marihuana et de tabac ; ils ont eu plus de problèmes avec la loi ; quand ces enfants sont des femmes, elles ont connu un grand nombre de partenaires sexuels. »

Ainsi, pour les uns, le référendum s’inscrit dans l’ordre constitutionnel, vu que la Charte définit la famille colombienne, « noyau fondamental de la société », comme étant formée par un homme et une femme. Pour les autres, il faut respecter les traités internationaux, ainsi que la Constitution de 1991, qui parle de garantir les droits, y compris des minorités. Dans le même registre juridique, certains s’interrogeaient non pas sur le contenu de l’initiative, mais sur le bien ou le mal-fondé (juridique) de soumettre au peuple une telle question.

Les personnes les plus favorables aux adoptions ont été, pour la plupart, des universitaires, provenant surtout des facultés de droit de Bogota, quelques militants LGBT, ainsi que des mères qui élèvent seules leurs enfants. Elles se sont invitées aux débats pour rappeler que seuls un tiers des foyers en Colombie étaient constitués par un homme et une femme. Certaines ont témoigné en tant que mères seules au foyer suite au départ du conjoint, d’autres en tant que mères par choix (insémination). Avec le projet de loi actuel, l’adoption par une personne seule serait désormais impossible.

Un homme gay et chrétien, une mère lesbienne, et des enfants ayant grandi dans des familles homoparentales ont également apporté leur témoignage, avec des arguments qui s’appuyaient d’abord sur la normalité de leurs vies. Ils mettaient en avant le non-abus par leurs parents ou leurs amis homosexuels, leur excellence académique et « leur peu de goût pour les drogues ou la bière. »

Le projet doit encore transiter par le Congrès et la Cour Constitutionnelle, mais s’il est probable, selon Mediapart, qu’il finisse aux archives, les partis chrétiens ne fléchiront pourtant pas. Ils auront plusieurs autres fronts de bataille dans les mois qui viennent. Parmi les plus grosses manifestations des derniers temps en Colombie se trouvent notamment les légions d’opposants aux nouveaux manuels scolaires, qui contiennent une approche en termes de genre et sont défendus par une ministre de l’éducation… lesbienne !