Égalité : l’adoption du mariage pour tous en Allemagne ravive l’espoir d’un « tremplin » pour la Suisse

Depuis ce 1er octobre, l’Allemagne est officiellement le 15e pays européen à avoir ouvert le mariage aux homosexuels, qui bénéficient des mêmes droits désormais que les couples hétérosexuels, en ce qui concerne notamment la fiscalité, mais surtout la possibilité d’adopter un enfant. La mesure avait été adoptée le 30 juin à une large majorité au Bundestag. Plus de 75% des citoyens allemands y sont favorables, selon les sondages. Conclusion d’une vingtaine d’années de lutte pour les associations LGBT qui devrait inspirer sa voisine, la Suisse, très « à la traine ».

« Je suis quasiment sûr que cela va donner un sacré coup d’accélérateur ! », déclare sur Le-Temps Thierry Delessert, chargé de cours à l’Université de Lausanne et spécialiste de l’histoire de l’homosexualité en Suisse : « Cela renforcera le sentiment de retard. Le fait que l’Allemagne ait franchi le pas montrera le chemin à un pays qui a toujours un peu suivi la législation allemande. »

La Suisse figure à la 26e position du classement d’ILGA-Europe 2017 (au 31 décembre 2016), sur les 49 états étudiés, derrière l’Albanie et la Bosnie. Elle a pourtant été le premier pays à légaliser le « partenariat enregistré » par votation populaire en 2005.

« Il y a actuellement deux types de citoyennes et citoyens. Ceux de première classe, qui ont accès à un mariage basé sur un système juridique solide et inclusif, et ceux qui se voient refuser ces droits », dénonce Mehdi Künzle, président de l’association vaudoise VoGay.

La question du mariage pour tous apparait bien pourtant à l’agenda politique suisse. En 2015, les Commissions des affaires juridiques des Chambres avaient même décidé, malgré l’opposition de membres du Parti démocrate-chrétien (PDC) et de l’Union démocratique du centre (UDC), de donner suite à l’initiative parlementaire, « Un mariage civil pour tous », lancée par les vert’libéraux en 2013. Mais, en juin dernier, le parlement s’est accordé deux années supplémentaires pour traiter l’objet. Le président de VoGay met en garde : « Nous verrons comment les discussions évoluent, mais un mariage light sans adoption et sans procréation médicalement assistée, qui ne serait rien d’autre qu’un partenariat enregistré bis, n’est pas envisageable. »

Dans une enquête de l’institut Léger, 54% des personnes interrogées se disaient favorables au mariage égalitaire – 62% chez les femmes et 46% chez les hommes. Selon un autre sondage de l’institut GFS Zurich, le taux grimpait à 71%, les femmes à 77%, contre 64% chez les hommes. Et dans les deux études, 70% des sympathisants du PDC étaient pour cette ouverture aux couples homosexuels.

Mais, « la Suisse tend effectivement à conserver la nature hétérosexuelle » de l’institution, affirme Marta Roca i Escoda, professeure en études genre à l’Université de Lausanne. La législation du pays conserve « une vision très naturaliste de la filiation. » Les articles constitutionnels régulant par exemple « la PMA, restrictifs, renforcent l’idée que l’enfant ne peut naître qu’au sein d’un couple hétérosexuel. » Aux yeux des experts, cette conception se répercute dans l’espace public, comme l’illustrent les propos de certains politiciens sur « le sens historique du mariage ».

Et puis, l’élite politique helvétique montre plus de réticences que d’autres à révéler publiquement son homosexualité. « Tandis qu’en Espagne et Belgique des coming out avaient déjà lieu dans les années 1980, en Suisse c’est un phénomène très récent, qui s’est déroulé dans le milieu des années 2000 », explique Marta Roca i Escoda. Ce tabou a indéniablement eu des répercussions négatives sur l’avancée des droits des LGBTI, la question étant plus difficilement portée et défendue dans l’arène politique.

Rappelons que le Code pénal suisse ne reconnait pas non plus l’homophobie comme un délit. Il n’y a d’ailleurs aucun rapport ni bilan officiel, si ce n’est les chiffres alarmants, dénoncés par les ONG, via leurs services d’assistance téléphonique, pour soutenir les victimes. Stop Suicide, association genevoise, annonce également une probabilité de passer à l’acte « 2 à 5 fois plus élevée chez les jeunes bis et homos que chez les hétéros. »