Après le vote du mariage gay, quel avenir pour les néocons?

Qu’adviendra-t-il des processions de cette France bourgeoise et chrétienne, tantôt scout bon enfant, tantôt odieuse dans ces slogans indécents ? Son unité pourrait bien voler en éclats.

« Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi… » On dirait que ce slogan de plus de 40 ans, qu’on ne trouve même plus sur les murs, les poursuit encore aujourd’hui, tant ils sont nombreux, les commentateurs carabosses du Figaro et de Valeurs actuelles, à vouloir transformer la mobilisation antimariage gay en mouvement d’avenir porteur d’espérances spirituelles et électorales lointaines.

Et d’abord d’un règlement de comptes définitif avec Mai 68, avec « l’esprit de Mai 68 » – le libertarisme, l’hédonisme, le féminisme, etc. – qui continuerait de pervertir la société, quelle que soit sa gouvernance.

Et voilà donc le divin enfant politique, annoncé par « un papa et une maman » : la présidente du Parti chrétien-démocrate, Christine Boutin, et le héraut de la pensée néoconservatrice, dominante à droite, Eric Zemmour.

Tous deux ont eu la même vision, pendant que sonnaient à la volée les cloches de l’église Sainte-Clotilde au passage des milliers de croisés manifestant contre « le choc homo de civilisation » : celle « d’une révolte générationnelle contre la société marchande et les élites de 68 ». Ils croient à la révolte « tradi » du peuple de France, qui voudrait retrouver ses pères et ses repères d’autrefois. Las…

FRONT SPIRITUEL COMMUN

Ce n’est pas faire injure aux plus convaincus de ces manifestants que de constater, après avoir suivi de près les principaux rendez-vous démonstratifs de La Manif pour tous, que leur foi fervente a constitué leur force et leur faiblesse.

Leurs cortèges, leurs processions plutôt sont demeurées très « catho-style ». La France chrétienne et bourgeoise sortait des catacombes où certains la voulaient croire disparue pour se rappeler au souvenir des autorités gouvernementales qui les méprisaient au début.

Ces familles au complet, avec parents, enfants et grands-parents, tous bien mis et proprets, repassés de frais comme pour aller à l’église – ils en venaient souvent -, étaient escortées parfois par le curé en tenue missionnaire.

Cette « cathosphère » à serre-tête et polo de marque, parfois d’apparence très sympathique par son côté patronage scout bon enfant, parfois odieuse dans ses slogans indécents – « On veut du boulot, pas du mariage homo… » – n’a jamais réussi à mobiliser au-delà d’elle-même.

Jeunes gens et jeunes filles à l’identique, fort polis, rarement encapuchonnés d’hostilités, confiaient venir des établissements scolaires les plus chic et souvent privés. Même exaspérés, ils savaient se tenir, si l’on excepte les nervis d’extrême droite qui se souvenaient eux aussi d’avoir battu le pavé en Mai 68, avant d’en être chassés par les foules. Alors que là, ils se lâchent, pendant que psalmodient des « veilleurs de nuit » complètement dépassés…

Ce n’est pas, contrairement aux descriptions figaresques, « une génération qui a pris la rue », mais sa version catho-aisée, droitière, insérée et protégée. Les rupins rupinent entre eux et s’émerveillent de se trouver à chaque fois si nombreux et déterminés, mais sans pouvoir rassembler d’autres qu’eux-mêmes. Même si tous les monothéismes étaient censés se mobiliser de concert…

Sans doute y avait-il des juifs, certainement trouvait-on des musulmans qui ont fréquemment interpellé les élus de gauche, en leur assurant parfois qu’ils regrettaient d’avoir voté Hollande. Tous les dignitaires calotins ont fait front spirituel commun.

Mais La Manif pour tous est demeurée celle des cathos blancs des beaux quartiers et des belles villes, sans Belleville ni les banlieues mal aisées et déchristianisées. Mouvement de classe, dira-t-on, qui s’opposait à un mouvement bobo pas précisément populo-populaire, sans doute.

Mais cette clôture bourgeoise, cet enfermement social explique sans doute l’échec des antimariage gay à freiner le processus législatif.

Etonnante projection en noir et blanc et rose et bleu de la famille d’autrefois, idéale pour eux, mais en fait à domination patriarcale. Avec papa en chef de famille qui assurait la nourriture et l’« ordre naturel », et maman s’occupant des petits et de la maison.

Pour tous ces enfants du divorce, il y avait quelque chose de surréaliste et de totalement hors des réalités à réclamer un papa et une maman quand ils participaient eux-mêmes de familles décomposées-recomposées, avec des géniteurs qui n’envisageaient pour rien au monde de revenir en arrière.

Ils exprimaient une nostalgie de cette époque qu’on savait perdue où les parents ne se séparaient pas, comme s’ils voulaient conjurer un avenir de déchirure qu’ils savaient inéluctable.

Mais une nostalgie, même maquillée de frais, ne fait pas un projet politique d’avenir confronté désormais à des contradictions de tous ordres…

Faut-il tout entreprendre, y compris le pire, et jouer le désordre quand on aspire à l’ordre ? Est-il envisageable de prôner la sédition, l’insurrection contre les autorités, et de dresser des barricades quand on a encore celles de Mai 68 en travers de la gorge ? Les velléités de subversion risquent de briser la fragile unité de la protestation.

Comment cette démarche, difficilement unitaire jusqu’ici, survivra-t-elle à ces interpellations qui font déjà apparaître des fractures fatales ? Faudra-t-il célébrer ces « mariages homo » une fois que le Conseil constitutionnel aura validé la loi ? Les réfractaires sont nombreux à arguer de la liberté de conscience, mais ils prennent le risque d’être marginalisés et condamnés.

Enfin, la loi, si la droite revient au pouvoir, devra-t-elle être abrogée ? Certains prétendent que oui, d’autres reconnaissent que non et que dans aucun autre pays la droite n’est revenue sur une telle réforme – ce qui revient à reconnaître qu’elle est… positive ! Horreur ! Malheur !

Ceux qui, à l’origine, militaient contre le Pacs ne sont-ils pas d’ailleurs devenus, à l’occasion de la loi sur le mariage gay, ses plus fervents supporteurs ? D’autres imaginent s’en tirer en promettant une hypothétique récriture du texte. Mais ils sont déjà accusés de vouloir « pactiser avec le diable ». Dans une histoire si empreinte de religiosité, on est vite excommunié…

Puisque beaucoup imaginent avoir le feu sacré, ils iront sans doute brûler quelques diaboliques cérémonies de l’impiété mariale. Comme contre l’IVG, on retrouvera des groupes de fanatiques qui iront poursuivre de leur haine ceux qu’ils appellent « les sodomites sataniques ».

Ainsi repousseront-ils aussi, par leur extrémisme fulminant, les plus modérés qui, pour certains, tenteront la pression politique et donc électorale. Formeront-ils un Tea Party à la française ? « Un street parti », comme l’appelle le socialiste Jean-Christophe Cambadélis, grand expert des mouvances sociétales devenues politiques, et qui constate que celle-là tente un alliage inédit entre un hyper-conservatisme en matière de mœurs et un libéralisme débridé et anti-impôts en économie.

La contradiction est certes patente entre ces deux termes, et peut se révéler funeste pour ce mouvement, d’autant que les partis de droite et d’extrême droite vont tout faire pour l’empêcher de se développer et le récupérer. C’est déjà en route…

UMP et FN ont entrepris de recruter pour leurs listes municipales une partie des forces vives qui se sont manifestées. Mais, avec Frigide Barjot, ils peuvent aussi tomber sur un os. L’égérie foldingue s’est muée en star médiatique. On la palpe, on l’embrasse, on la porte. Elle ne touche plus terre.

Il est possible qu’elle se perde, qu’elle s’explose en vol quand elle réintégrera l’atmosphère terrestre. Mais, en Italie, Beppe Grillo, tout aussi barjot, ne s’est pas volatilisé. Il est vrai que les élites politiques y sont encore plus déconsidérées que chez nous.

Reste que les néoconservateurs ont des visages partout différents qu’on aurait tort d’ignorer. Il faudra en scruter les moindres grimaces et rictus, de chair comme de langage.