Caroline Fourest : Interdire ou encadrer ? A-t-on le droit de débattre de la GPA?

Comme on pouvait s’y attendre, comme après le PaCS, “La Manif pour tous” -qui porte si mal son nom- n’en finit plus d’être en minorité. Sur le mariage pour tous, sur la Procréation médicale assistée mais aussi, c’est plus inattendu, sur la gestation pour autrui. Alors que ce sujet fait a priori peur, qu’il est propice aux dérives et qu’il n’a donné lieu à aucun vrai débat dans ce pays, autre que la réprobation venue de la droite intégriste ou de la gauche anti-capitaliste et féministe.

L’émoi est surprenant de la part de réseaux anti-IVG, généralement assez favorables au capitalisme, et qui incitent depuis des années des femmes à accoucher sous X pour faire adopter leur enfant plutôt que d’avorter. Il l’est moins venant d’une gauche logiquement hostile à l’exploitation. Faut-il pour autant verser dans l’hypocrisie et la pudibonderie dès qu’il s’agit du corps?

Maladresse gouvernementale

Manuel Valls et Laurence Rossignol ont cru bon d’annoncer que la France allait prendre la tête d’une campagne mondiale pour faire interdire la GPA, au nom du refus de la marchandisation du corps des femmes. Des mots également utilisés par La Manif pour tous. Est-ce pour autant le même combat ? Ces mêmes mots ne partent pas des mêmes intentions.

Dans le cas de la Manif pour tous, le refus de la marchandisation du corps s’inscrit dans une démarche moraliste, pouvant aller jusqu’à refuser les progrès scientifiques permettant de lutter contre l’infertilité. Il s’agit moins de lutter contre l’ordre marchand que de rétablir l’ordre moral ; naturel et divin. À l’opposé d’une démarche féministe, que combattent de toutes leurs forces les réseaux anti-IVG à l’origine de la Manif pour tous, comme Alliance Vita ou Familles de France.

Ce n’est pas la même intention que celle du gouvernement ou de féministes opposées à la GPA. Pourtant, le fait que le Premier ministre, la Secrétaire d’État aux droits femmes et la Secrétaire d’État à la famille expriment leur répulsion vis-à-vis de la GPA en réponse à la Manif pour tous crée la confusion. Au lieu de clarifier le débat et les différentes façons d’être opposé à la gestation pour autrui, leurs déclarations donnent le sentiment d’abonder dans le sens des antiféministes. C’est plus que maladroit. C’est une faute politique.

Interdire ou encadrer ?

Sans tenir compte du calendrier politique, que faut-il faire de la gestation pour autrui ? Le problème est que nous n’avons même plus le droit d’en débattre. L’intimidation qui règne nous empêche de poser la seule vraie question qui vaille. Faut-il l’interdire, quitte à la laisser avoir lieu dans la clandestinité, ou l’encadrer?

Il est absurde de croire que la France pourra interdire aux autres pays d’autoriser la gestation pour autrui, aux Etats-Unis, en Inde ou dans sept pays européens.

Que ça plaise ou non, la gestation pour autrui existe depuis la nuit des temps, depuis Marie mère porteuse de Jésus jusqu’à nos jours, et va continuer. Personne n’empêchera des couples désireux de fonder une famille de louer les services d’une mère porteuse. C’est vrai pour des couples homosexuels mais aussi pour des couples hétérosexuels, bien plus nombreux à avoir recours aux mères porteuses alors qu’ils ont bien plus de chances d’être autorisés à adopter. Leur désir d’enfant à eux n’est pas qualifié d’égoïste…

Dans les deux cas, qu’il s’agisse de couples hétérosexuels ou homosexuels, vous pouvez montrer ces parents du doigt, leur faire la morale, cela ne changera pas grand-chose à leur détermination. Le fait d’interdire la GPA n’aura qu’une conséquence : compliquer la vie de leurs familles. Transformer quelques dizaines d’enfants en apatrides (quand ils ne peuvent pas bénéficier de la nationalité de leur mère porteuse ni être adoptés par leurs vrais parents) et fragiliser leur lien juridique avec leurs parents. Sans réglementation de la GPA, ils vont exister quand même, ils vont grandir, mais avec une nationalité qui n’est pas la leur, sans être reconnus comme étant les enfants de leurs parents.

Interdire la GPA ne protège pas les mères porteuses

L’interdit ne protège pas, au contraire. Comme pour l’avortement, le fait d’interdire au lieu d’encadrer ne fait que pousser vers la clandestinité, propice au plus sauvage des rapports d’exploitation. Comme elle est interdite en France, les futurs parents se tournent vers des pays moins développés et moins régulés.

En Inde par exemple, où la GPA n’est ni interdite ni encadrée par la loi. De jeunes mères porteuses volontaires, de celles qui préfèrent porter un enfant neuf mois plutôt que de se prostituer, se retrouvent quasi prisonnières de pensionnats jusqu’à l’accouchement. Elles sont payées une misère et ne peuvent pas se rétracter. Interdire la GPA en France ne va rien changer. Les pousser à la clandestinité risque de les priver de tout suivi médical. Ce qu’il faut, c’est encadrer.

Autre cas qui a, à juste titre, ému. Un couple australien a, semble-t-il, refusé de récupérer l’enfant d’une mère porteuse en apprenant qu’il était trisomique à la naissance. Là non plus, interdire la GPA n’y changera rien. Son encadrement légal, en revanche, peut permettre d’obliger ces parents à tenir leurs engagements vis-à-vis de la mère porteuse.

Car il existe une réalité que les amateurs d’interdits semblent ignorer. Il existe des parents prêts à payer des fortunes pour avoir le bonheur d’avoir un enfant et des femmes qui préfèrent enfanter que se prostituer ou crever de faim. Dans certains pays, porter l’enfant d’un couple pendant neuf mois permet de sortir de la prostitution ou de la misère, tout en rendant un couple heureux. Est-ce terrible en soi ou faut-il lutter contre les dérives de la gestation pour autrui ? Si ce sont les dérives qui nous choquent, alors il faut l’encadrer et non l’interdire. Notamment pour obliger les futurs parents à respecter le consentement de ces mères porteuses, qui doivent pouvoir changer d’avis pendant la grossesse.

L’hypocrisie n’a jamais permis d’apaiser le monde. C’est la loi qui rend les rapports marchands moins sauvages. Reste à savoir ce que veulent vraiment les gens. Faire la morale aux autres ou lutter pour un monde meilleur, plus apaisé parce que plus régulé ? On connaît déjà la réponse de la Manif pour tous. Aux progressistes de s’éclaircir les idées. Autrement dit d’en débattre.

Caroline Fourest
Essayiste, journaliste