Trois ans après leur interdiction par la loi, les thérapies de conversion continuent d’être pratiquées et défendues publiquement en France. Le reportage d’Envoyé spécial, diffusé jeudi 25 septembre sur France 2, a mis en évidence des discours et des méthodes qui, malgré leur illégalité, perdurent au sein de certaines communautés religieuses et circulent largement sur les réseaux sociaux.
Des responsables religieux qui assument
À Créteil, des responsables de l’Église évangélique MLK affirment face caméra leur rejet de la loi. « France 2 ne va pas changer ce qu’il y a écrit dans la Bible », lance l’un d’eux, opposant son interprétation religieuse au cadre républicain. Le documentaire montre également Antoine David, kinésithérapeute et influenceur, se présentant comme défenseur de la « guérison » de l’homosexualité auprès de ses abonnés : « Des personnes homosexuelles rencontrent Christ et redeviennent hétéros ». Pour celles et ceux qui ‘pensent’ qu’on naît homosexuel, il assure : « Ils le ressentent peut-être comme ça mais ce n’est pas le cas, sans quoi ils n’y en aura pas tant qui redeviennent hétéros. »
Ces propos, s’ils peuvent séduire certains croyants, sont scientifiquement faux et dangereux. L’orientation sexuelle n’est pas un choix et ne peut pas être « modifiée » par la religion ou la volonté extérieure. Pour les personnes LGBT+, ce type de discours génère culpabilité, honte et souffrance psychologique, et justifie indirectement des pratiques qui ont été qualifiées de torture psychologique par l’ONU.
Le reportage a par ailleurs révélé le cas d’un jeune homme soumis à des séances d’« exorcisme » dans une Église évangélique, jusqu’à déclencher chez lui une bouffée délirante aiguë et une désorientation totale. Selon les médecins cités, il aurait pu finir hospitalisé en psychiatrie.
« Une mise en danger de vies »
Pour le collectif de rescapés Rien À Guérir, qui milite depuis des années pour la reconnaissance et l’interdiction de ces pratiques, la gravité est indéniable :
« Les propos pro-thérapies de conversion de l’Église MLK sont ahurissants. L’interprétation homophobe dévoyée de textes, quelle que soit la religion, n’autorise personne à se placer au-dessus des lois de la République française et à mettre en danger la vie de citoyens. »
L’association rappelle que ces pratiques ne sont pas de simples « croyances » mais des atteintes reconnues comme dangereuses, qualifiées par l’ONU de proches de la torture. Elles entraînent dépression, anxiété, isolement et peuvent mener au suicide.
Un rescapé témoigne :
« Moi-même, j’ai été victime de ces pratiques inhumaines. Elles m’ont broyé la vie. J’ai mis des années à me reconstruire. Je m’en suis sorti, mais beaucoup d’autres n’ont pas eu mon chemin de rémission. »
Une loi votée à l’unanimité, mais bafouée
Adoptée en 2022 à l’unanimité de l’Assemblée nationale, la loi prévoit jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour ceux qui tentent de modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. Mais, comme l’illustre Envoyé spécial, certains acteurs continuent de les revendiquer ouvertement, défiant l’interdit légal.
« À ciel ouvert, ou même devant les caméras, certains se défendent sans complexe de ces pratiques », déplore Rien À Guérir, qui annonce saisir les ministères concernés et demander un signalement au procureur de la République, en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale.
Une action judiciaire imminente
Face à ces pratiques persistantes, STOP homophobie déposera une plainte. L’avocat de l’association, Me Deshoulières souligne :
« Grâce au travail de STOP Homophobie en lien avec des députés, les associations LGBT+ peuvent désormais agir contre les thérapies de conversion. Le droit pénal s’applique à toute pratique de thérapie de conversion, même dans un cadre religieux. »
Cette démarche illustre la volonté des associations de ne pas se limiter à la dénonciation médiatique, mais de mobiliser la justice pour faire respecter la loi de 2022 et protéger les victimes.
Réactions des communautés évangéliques
Le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) et la Fédération protestante de France (FPF) ont exprimé leur « choc » et leur « vive préoccupation », dénonçant des méthodes journalistiques qu’ils jugent « contestables » et des « amalgames » stigmatisant l’ensemble des protestants évangéliques. Ils ont annoncé des signalements à l’Arcom et contacté le ministère de l’Intérieur.
France Télévisions, par la voix de Christophe Tardieu, secrétaire général, a répondu que le reportage respecte la charte déontologique et repose sur des faits et témoignages vérifiés, soulignant que la liberté éditoriale n’a pas pour objectif de présenter les communautés sous un jour favorable.
Surtout dans leurs réactions publiques, l’Église MLK, le CNEF et la FPF ne prennent aucune disposition pour empêcher la pratique et la diffusion de thérapies de conversion dans leurs églises, et ne montrent aucune volonté de respecter la loi interdisant ce type de propos.
Un appel aux pouvoirs publics
Les associations exhortent l’État à réagir sans ambiguïté.
« Ces postures que certains appelleront séparatistes sont inacceptables. Nous demandons au gouvernement et aux ministères compétents de réagir avec fermeté et, si nécessaire, de sanctionner », insiste le collectif.
Selon un autre rescapé, l’enjeu dépasse la sphère religieuse :
« Si on ne fait rien, ce sont des centaines de milliers de personnes qui sont potentiellement en danger, du fait de la banalisation de cette mouvance obscurantiste grandissante. »
Une vigilance toujours nécessaire
Le documentaire montre que l’interdiction de 2022 n’a pas suffi à enrayer ces pratiques, loin de l’image bienveillante que certains groupes évangéliques souhaitent projeter. Les mises en scène d’« exorcisme » et l’emprise psychologique exercée sur les participants mettent en évidence la gravité de ces dérives. Sans contrôle effectif ni sanctions, la loi reste lettre morte. Pour les associations, seule une mobilisation collective et une volonté politique claire permettront de protéger durablement les victimes.
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